La captive de Noël

Dominique Floutier - Editions Le Phare, 5620 Flavion (Belgique)

Diana, la fille du puissant Sénateur Julius Quartus, discute avec Livie, une esclave de son.âge. Elle souhaite en savoir plus sur les réunions secrètes qui ont lieu dans les catacombes de la ville. Elle est si intéressée, qu'elle désire même accompagner Livie. Cette dernière essaie à tout prix de l'en dissuader. Elle sait que le sénateur déteste les chrétiens et qu'il n'hésiterait pas à punir sa fille en l'envoyant dans l'arène s'il apprenait qu'elle se rend à ces réunions.

— Ton père serait obligé de te punir. Sinon il ne serait plus auprès de l'Empereur le Sénateur préféré. Il deviendrait suspect lui aussi. Crois-moi, il ne faut pas aller là-bas.

— Comment Livie? toi qui me dis que tous doivent connaître cette bonne nouvelle et la faire leur, tu voudrais que je reste ici à t'écouter?

— Maîtresse, tu m'as dit que ton

père voulait que tu ailles à ces fêtes où l'on torture les chrétiens?

— Oh! oui, Livie! hier encore il m'a donné une splendide toilette pour la prochaine fête que Néron veut donner dans les jardins du palais impérial. Il m'a dit: «Tu verras, Diana, les jardins de notre grand Néron illuminés comme jamais encore ils ne l'ont été!» Il riait, se frottait les mains de plaisir en disant cela.

— Et qu'as-tu répondu?

— Mon père, je préférerais rester ici et me parer de cette robe pour toi tout seul... et il m'a répondu: «Non ma fille, tu iras à cette fête, c'est un ordre». J'ai peur Livie. J'ai peur de voir un spectacle terrible. Une lueur cruelle brillait dans ses yeux.

— Tu vois bien que j'ai raison. Il veut te conduire à cette fête pour que tu n'aies pas envie d'aller où je vais.

— Rien ne m'empêchera d'aller là-bas. Tu m'en as trop dit, Livie.

— Ton père est ambitieux. Il désire tant être obéi qu'il oublierait que tu es sa fille... Maîtresse, puisque tu ne veux pas m'écouter, va demander conseil à Terentilla, tu verras ce qu'elle te dira!

— Comment? ma nourrice aussi...! Elle va...!

— Oui, elle aussi.

— Et d'autres ici encore?

— ... oui!

— Livie, je viendrai avec toi ce soir. Dis à Terentilla de me préparer des vêtements d'esclave. J'irai m'habiller chez elle. Dis-lui bien, Livie, que je veux y aller. Qu'elle ne te gronde pas... Descendons maintenant, rentrons à la villa, comme si je passais ma soirée là. Mon père ne rentrera pas ce soir, il est parti pour plusieurs jours. Il ne reviendra que quelques heures avant la fête de l'Empereur. Ne pleure pas Livie, tu m'as dit que je serais toujours heureuse si j'entendais l'apôtre et si je gardais ses paroles en mon cœur.

— Puisque tu le veux, maîtresse, je t'obéirai. Ce soir, quand la nuit sera venue, par un chemin que tu ignores, Terentilla te conduira à la petite porte qui se trouve au pied de la terrasse du jardin d'hiver. J'y serai.

— Merci Livie, ne parlons plus de cela. Courons et chantons! Viens dans mon salon, je jouerai sur mon luth et nous chanterons accompagnées par la musique des fontaines.

2 - Sortie nocturne

Dans la grande salle des banquets, Diana est seule. Même en l'absence de son père, elle doit prendre ses repas dans cette immense salle luxueuse et imposante. Elle déteste ce cérémonial. Plusieurs serviteurs s'empressent autour d'elle. Pour chacun, elle a un sourire aimable.

Chaque fois qu'elle est seule à table, elle essaie de bavarder avec eux, mais ils n'osent répondre, effrayés à la pensée que leur maître pourrait arriver et les entendre. Aussi, malgré la gentillesse de leur jeune maîtresse, restent-ils muets, impassibles, alors qu'ils aimeraient, ne serait-ce que par un sourire, la remercier de vouloir les traiter comme s'ils étaient de sa famille.

En soupirant, elle continue son repas solitaire. Névrius, le grand chambellan, n'aurait pas dû refuser son invitation. Elle lui a proposé de s'asseoir à sa table pour partager son repas, mais lui s'est écrié que jamais il ne se permettrait cela! «C'est bien dommage», se dit-elle.

Distraite, elle goûte aux mets qui lui sont présentés. Elle pense:

«Le cérémonial de ce repas pour une petite personne comme moi est parfaitement ridicule... Mon père si intelligent devrait bien le comprendre. Pourquoi est-il si orgueilleux?... Nous pourrions être si heureux à vivre simplement...»

Cependant ce soir, tout ce défilé de plats, de boissons et de serviteurs lui paraît moins ennuyeux que d'habitude. Dès que Névrius aura fini d'ordonner ce protocole compliqué, elle sortira, dignement, comme si elle n'était pas pressée; elle gagnera ses appartements, puis là... ah là! Elle ne s'arrêtera pas, elle sortira en courant par l'issue qui la conduit directement chez sa nourrice... et puis...

Elle est tellement plongée dans ses rêves qu'elle ne s'est pas aperçue que le repas est fini et que les serviteurs inclinés attendent qu'elle se lève de table.

— Je crois que je dormais éveillée. Je vous remercie tous de m'avoir si bien servie.

«Que dirait le Sénateur?» pensent les serviteurs en entendant Diana, la fille du puissant, de l'orgueilleux Julius Quartus, s'excuser auprès d'eux. Névrius, toujours si impassible et sévère, sourit. Diana ne vient-elle pas de s'incliner devant chacun d'eux en leur souhaitant bonne nuit? Il la regarde s'éloigner vers ses appartements. Son visage sévère s'empreint d'une grande douceur en la regardant.

«Non, notre maître n'en fera jamais une fière Romaine. Elle sera toujours bonne, aimable, enjouée avec tous et encore plus avec ceux qui la servent. Pauvre petite!...»

C'est une ombre légère qui entre chez la vieille nourrice qui a aussi élevé sa mère, morte en la mettant au monde, elle, Diana, que longtemps son père n'a pas voulu voir.

— Vite Terentilla, ôte-moi cette toilette et montre-moi comment m'habiller comme une esclave. Chut! ne parle pas, ma bonne nourrice. Je sais d'avance tout ce que tu pourrais me dire... mais vois-tu, ni tes larmes, ni ta tendresse, ni tes supplications ne m'empêcheront d'aller entendre le prédicateur. Dis, tu voudrais que ton enfant soit privée de ce que tu connais et qui t'apporte la joie et l'espérance? Tu sais, à moi aussi il en faut de la joie, parce que la vie dans ce palais magnifique n'est pas gaie, surtout depuis que je suis grande!

— Je le sais ma fille, mais s'il t'arrivait malheur...

— Alors le Seigneur que tu aimes me viendrait en aide, comme il vient en aide aux autres.

— Que veux-tu que je te dise?... tu as réponse à tout.

— Écoute Terentilla, il faut que tu m'aides pour qu'il ne m'arrive pas malheur ici. Des nobles romains comme des gens du peuple je ne suis pas connue, ou si peu; là-bas, je n'ai rien à craindre. Qui me reconnaîtrait sous ces voiles d'esclave?... Mais ici, si mon père arrivait par hasard... il faut que tu veilles. Jamais il ne va dans mes appartements, jamais il ne me fait appeler, mais il pourrait changer ses habitudes. Alors toi, va chez moi et veille jusqu'à mon retour, veux-tu? Et s'il me demande, tu sauras lui répondre. Toi, il t'écoute toujours, en souvenir de ma mère sans doute... Alors je peux être tranquille?

— Oui ma jolie, j'avais déjà pensé que j'attendrai ton retour. Ne crains rien pour ici, il n'est pas un esclave, pas un serviteur qui n'aille aux assemblées des chrétiens, et tous te sont dévoués.

— Comment? Des chrétiens dans la maison du Sénateur Julius Quartus? Quelle ironie! Terentilla, s'il le savait ... quelle colère! J'y songe, peut-être se méfie-t-il... C'est pour ça qu'il m'a parlé avec cet air cruel l'autre soir.

— De quoi t'a-t-il parlé?

— D'une fête chez l'Empereur où je dois l'accompagner. Je ne voulais pas y aller, mais maintenant que je sais tout cela, j'irai et si je peux vous protéger, je le ferai.

— Pauvre agneau!... Pourvu que tu ne sois pas la première victime!

— Allons Terentilla, pas d'idées noires quand ta fille est si heureuse. Conduis-moi vite! Va, je serai prudente.

— Adieu ma fille, que notre Dieu te garde

... La nuit est sans lune. Les ténèbres profondes protègent de leur voile sombre ceux qui s'en vont écouter la parole de vie au plus profond de la terre.

Diana et Livie ont pris le chemin des catacombes. Sans échanger une parole, elles sont arrivées là où d'autres ombres furtives comme elles s'engouffrent en silence dans un souterrain. Diana, enveloppée dans ses voiles d'esclave, s'est assise près de Livie, osant à peine regarder autour d'elle. Puis, à la faible lueur des torches, à la dérobée, timidement, elle observe ce qui se passe autour d'elle. Enfin, une voix forte et chaude s'élève. Pour Diana, tout ce qui l'entoure alors disparaît. Les yeux rivés sur l'homme qui parle, elle écoute haletante le message qu'il délivre. Il lui semble qu'elle est arrachée au milieu, à la vie qu'elle a toujours connus, qu'elle est transportée dans un monde de paix, de joie, de force inébranlable.

Diana comprend qu'elle a besoin d'un Sauveur et que seul Jésus Christ peut lui offrir le salut. Elle comprend que lui a porté ses propres péchés à la croix. Dès l'instant où la voix se tait, elle sait que quoiqu'il arrive, elle croira à ce message, elle le fait sien, rien ne la séparera du berger qui est venu pour chercher ses brebis.

Sans bruit, avec ordre, l'assemblée se disperse. Diana, la main dans celle de Livie, avance comme dans un rêve, avec une joie nouvelle, toute fraîche, dans son cœur. L'obscurité est presque totale. Elle trébuche souvent. Elle n'est pas habituée à circuler dans ces souterrains étroits et obscurs. Par moment, une main masculine la soutient, la guide. Entre Livie et ce compagnon plein d'attention, elle avance sans crainte.

Les voilà enfin sortis de terre. Rasant les murs, courant dans les sentiers, car l'aube commence à blanchir l'horizon, elles reviennent au palais sans être aperçues par quiconque. Elles sont allées de l'avant sans jamais tourner la tête, bien que se sachant suivies par celui qui les a aidées à sortir rapidement du lieu de l'assemblée.

Sûr de les savoir arrivées sans fâcheuse rencontre, le jeune tribun1 Claudius Faustulus rentre chez lui. Parmi la foule des fidèles, il a souvent remarqué Livie, l'esclave de la fille de Julius Quartus qu'il a aperçue au cours des réceptions du Sénateur. Ce soir son regard a été attiré par sa compagne, la jeune esclave assise près d'elle. Jamais encore il ne l'a vue aux assemblées. L'expression intense de la jeune fille a d'abord retenu son attention, puis il a été bouleversé quand, sous ses voiles, il a reconnu Diana. La fille de Julius Quartus ici! Le jeune homme a compris à l'expression de la nouvelle venue que ce n'est pas par curiosité qu'elle se trouve là. Il a la certitude que désormais ce sera tous les jours qu'il la verra venir s'asseoir pour écouter avec avidité les paroles du prédicateur. «Chaque fois que ses obligations de fille de Sénateur ne la retiendront pas, elle sera là..., elle sera là jusqu'au jour où...» Il ne veut pas penser à cette éventualité mais la personne du Sénateur s'impose à lui. Son port altier, sa démarche orgueilleuse, son regard fier et impitoyable, tout cela fait craindre le pire au jeune tribun.

1 Tribun: magistrat romain qui jouissait de l'autorité des consuls.

«Je veillerai sur leur retour, pense-t-il, c'est tout ce que je peux faire. Mais sera-ce suffisant? Le jour où la colère paternelle éclatera, cette charmante enfant aura devant elle une épreuve terrible... il faudrait un miracle... Julius Quartus sera-t-il accessible au miracle? Pour elle il faut le croire et l'espérer. Il faut croire que tout est possible à notre Dieu...».

À suivre