Sans rien dire

E. Argaud

«L'homme la regardait avec étonnement sans rien dire» (Genèse 24: 21)

Au soir de sa vie, Abraham confie à l'un de ses serviteurs, le plus ancien de sa maison — sans doute Éliézer (Genèse 15: 2) — une mission difficile: il doit aller chercher dans le pays de ses pères une épouse pour Isaac, son fils. Sitôt arrivé dans ce pays, le serviteur adresse à Dieu une fervente prière: «Éternel! Dieu de mon seigneur Abraham, fais-moi faire, je te prie, une heureuse rencontre aujourd'hui, et use de grâce envers mon seigneur Abraham. Voici, je me tiens près de la fontaine d'eau, et les filles des gens de la ville sortent pour puiser de l'eau; qu'il arrive donc que la jeune fille à laquelle je dirai: Abaisse ta cruche, je te prie, afin que je boive, et qui dira: Bois, et j'abreuverai aussi tes chameaux, soit celle que tu as destinée à ton serviteur, à Isaac; et à cela je connaîtrai que tu as usé de grâce envers mon seigneur» (Genèse 24: 12-14).

«Avant qu'il eût achevé de parler», Dieu avait répondu (verset 15). Aussi promptement, Dieu répondra aux prières de Daniel: «Au commencement de tes supplications la parole est sortie, et je suis venu pour te la déclarer» (Daniel 9: 23). À ceux qui connaîtront le règne millénaire de Christ, Dieu a fait cette promesse: «Avant qu'ils crient, je répondrai, et pendant qu'ils parlent, j'exaucerai» (Ésaïe 65: 24). Quel Dieu que notre Dieu!

Voici donc une jeune fille, très belle de visage, la cruche sur l'épaule, qui descend à la fontaine et remplit sa cruche. Éliézer, comme Esdras plus tard, a dû sentir «que la bonne main de son Dieu était sur lui» (Esdras 7: 9). Remarquons qu'Éliézer était un homme qui s'attendait à Dieu pour accomplir sa mission, qu'Esdras avait disposé son cœur à rechercher la loi de l'Éternel, à la faire et à l'enseigner (Esdras 7: 10) et que Daniel était un bien-aimé captif, mais fidèle à son Dieu. Pour être entendue par Dieu, la prière doit s'accompagner de dispositions morales qui conviennent à Dieu. Et à l'inverse: «Qui détourne son oreille pour ne pas écouter la loi, sa prière même est une abomination» (Proverbes 28: 9).

Alors le serviteur s'enhardit et dit à la jeune fille: «Permets, je te prie, que je boive un peu d'eau de ta cruche. Et elle dit: Bois, mon seigneur. Et vite elle abaissa sa cruche sur sa main, et lui donna à boire». Puis elle ajouta: «Je puiserai aussi pour tes chameaux, jusqu'à ce qu'ils aient fini de boire» (versets 17-19).

Quel tableau délicieux! une fontaine qui donne une eau en abondance, un voyageur altéré qui boit à longs traits, des chameaux fatigués qui se reposent et se désaltèrent, une jeune fille heureuse de servir et puis, bien sûr, derrière la scène, Dieu qui dirige tout et exactement selon ce que le serviteur avait demandé dans sa prière.

Nous comprenons que l'homme regarde la jeune fille avec étonnement, sans rien dire (Genèse 24: 21). Il devait se demander si Dieu avait déjà fait prospérer son voyage, s'il avait déjà répondu à sa prière. Étonné, il ne dit rien. Comme David, il sent que la bonté de Dieu est devant ses yeux (Psaumes 26: 3), et elle est si grande qu'elle le surprend. Comme Mephibosheth, il aurait pu se prosterner (2 Samuel 9: 8). Il le fera un peu plus tard, quand Dieu lui confirmera qu'il est sur le bon chemin, le chemin où Dieu le dirige et l'accompagne (versets 26 et 52). Ce silence recueilli d'Éliézer est très beau. Pas d'excitation, pas de cri de victoire, pas de précipitation. Quelle leçon pour nous! Les moments de silence, en particulier dans nos réunions de culte, alors que nous évoquons le sacrifice de Christ, manifestation la plus merveilleuse de l'amour divin, ne devraient-ils pas exprimer la louange autant que nos actions de grâces et nos cantiques?

Nous ne relaterons pas la suite du récit; le lecteur la lira ou la relira avec profit dans le chapitre 24 de la Genèse. Nous voulons seulement nous arrêter un peu sur l'étonnement et le silence du serviteur. C'est la première attitude que prend l'homme de foi lorsqu'il est placé devant «la surabondante grâce de Dieu» (2 Corinthiens 9: 14). Cette grâce nous interpelle. Nous ne la méritons pas et nous disons comme Ruth: «Pourquoi ai-je trouvé grâce à tes yeux» (Ruth 2: 10)? Cette même grâce étonnait Jacob, avec raison; il disait: «Je suis trop petit pour toutes les grâces… dont tu as usé envers ton serviteur» (Genèse 32: 10). David avait appris ce qu'était la bonté de Dieu et il voulut user de la même bonté envers Mephibosheth, petit-fils de Saül. Celui-ci, confondu d'être un objet de grâce alors qu'il s'attendait à un jugement, s'écrie: «Qu'est ton serviteur, que tu aies regardé un chien mort tel que moi» (2 Samuel 9: 8)? Objets de tant de délivrances tout au long de notre course ici-bas, avons-nous pris le temps de nous arrêter, de nous étonner de l'immensité de la grâce divine et de bénir celui qui nous l'a dispensée? Il n'est pas encore trop tard pour le faire.

L'Écriture nous parle d'un homme, objet lui aussi de la bonté de Dieu et qui, avec orgueil et jalousie, s'étonne que cette bonté puisse s'exercer envers d'autres. Il faudra que Dieu le reprenne. Ne faisons pas comme Jonas (Jonas 4). Réjouissons-nous parce que «la grâce de Dieu qui apporte le salut est apparue à tous les hommes» (Tite 2: 11); car «Dieu… veut que tous les hommes soient sauvés» (1 Timothée 2: 4). C'est la plus grande des délivrances.

Il est d'autres silences mentionnés dans la Parole, silences devant l'épreuve. C'est le silence d'Aaron devant la mort de ses deux fils Nadab et Abihu, sous le jugement de Dieu parce qu'ils ont présenté à l'Éternel un feu étranger. «Et Aaron se tut» (Lévitique 10: 3). Au milieu des ruines de Jérusalem, «les anciens de la fille de Sion sont assis par terre, ils gardent le silence» (Lamentations de Jérémie 2: 10). Ils pleurent mais se taisent. Bel esprit d'humiliation et de soumission à Dieu.

Sans doute, «il y a une saison pour tout, et il y a un temps pour toute affaire sous les cieux… un temps de se taire et un temps de parler» (Ecclésiaste 3: 1, 7). Soyons comme les fils d'Issacar «qui savaient discerner les temps» (1 Chroniques 12: 32).

Nous conclurons avec les paroles d'un autre: «Mis en présence de ce que Dieu s'est proposé, de ce qu'il a fait pour nous et de ce qu'il accomplira encore sûrement, nous restons sans voix. Il est bon de s'arrêter parfois comme le serviteur d'Abraham, pour «regarder avec étonnement sans rien dire». Le jour viendra où nous serons remplis d'émerveillement en nous écriant: «Qu'est-ce que Dieu a fait?» (Nombres 23: 23). Dès maintenant il nous donne des motifs d'admiration, parfois en présence d'une preuve évidente de sa bonté dans notre vie, mais surtout devant la grandeur de sa personne».