En otage (suite)

L'enquête terminée chez Mme Jonquière, les deux agents se rendent à Chevillenay. Nathalie, la maman de Laurent, les accompagne avec sa voiture. Jo, revenu pour délivrer Madou, fait un retour sur lui-même. Madou veut l'aider à repartir à zéro. Jane la brune, affolée, arrache les fils de téléphone.

— Et les autres, ils ont filé sans rien dire?

— Le chef et Marcel sont partis en moto. Ils ont dit: chacun pour soi!

— Et vous n'avez pas vu de camionnette?

— Non, pas de camionnette.

Madou se rendait compte que son interlocutrice tremblait parce que les circonstances la dépassaient. Il y avait une faille quelque part dans le plan de ses compagnons et elle le supportait mal. En outre, son habitude de l'alcool amoindrissait ses capacités de réflexion. Madou murmura:

— Malgré les misères que vous nous avez faites, j'ai pitié de vous, et si je peux vous venir en aide?

— Ah non! pas de baratin! D'abord, j'ai intérêt à filer. Elle ramassa sa veste et son sac à main, et s'éloigna aussi vite que le permettait sa démarche.

Jo redescendit.

Nous sommes coupés du monde, jeune homme, dit Madou, en faisant l'inventaire des provisions. Elle a arraché les fils du téléphone.

Ce détail ne sembla pas inquiéter à l'excès son compagnon. Il voulait surtout que Madou prenne un peu de nourriture. Cette dernière les avait tous plus ou moins effrayés avec les risques du diabète, et le jeune homme aurait été embarrasse de la voir perdre connaissance.

— Après votre repas, dit Jo, j'irai chez le voisin qui a emprunté la tondeuse, et s'il a le téléphone...

—Dans ce cas, je t'accompagne, proposa Madou. Il faut que j'appelle les parents de Laurent.

— Si vous voulez.

*

Quand le commissaire et Nathalie arrivèrent, suivis de policiers dissimulés à quelques pas d'eux, au lieu de se trouver face à face avec des truands sur la défensive, dans une maison barricadée, ils virent un jeune homme aux traits tirés par l'angoisse, qui venait au-devant d'eux les bras levés en signe de reddition. À l'intérieur, ils découvrirent le paisible spectacle d'une aïeule qui se restaurait.

— Madou! Oh! Madou! s'écria Nathalie en s'élançant vers elle.

— Nathalie... Vous êtes là!

Monsieur Belmont demanda immédiatement des nouvelles des ravisseurs et ce fut Madou, qui, en quelques phrases expliqua qu'ils avaient pris la fuite. Elle demanda sans attendre que Jo soit traité différemment des autres.

— Est-ce que Laurent se repose? s'étonna Maman en ne voyant pas son fils.

— Comment! Vous n'avez pas de nouvelles? s'exclama Madou. Il n'a pas téléphoné?

— Mais, où est-il? insista Maman anxieuse.

— Je n'avais pas dormi cette nuit, je me suis assoupie dans la matinée et il s'est sauvé pendant ce temps-là. Jo intervint:

— Je crois qu'il a pris peur, Madame. Il a entendu que l'un des hommes voulait libérer Madame Tessier, mais pas lui.

— Oh! pourquoi?

— Une vengeance.

Marcel Lemercier, n'est-ce-pas? insinua le commissaire.

— Oh! je comprends, murmura Nathalie. Où peut-il être, maintenant?

Il a fui derrière, vers les bois, dit Madou.

— Vous êtes sûrs que les bandits ne l'ont pas retrouvé? s'inquiéta Maman.

— Ça m'étonnerait, murmura Jo, il avait au moins deux heures d'avance sur eux, et il est parti dans la direction opposée.

Cependant, après avoir dit cela, il se demanda: «Pourvu qu'ils ne l'aient pas rejoint sur la route nationale. Ce serait vraiment jouer de malchance.»

— Madame, demanda le commissaire, racontez-nous les événements dans leur ordre chronologique depuis ce matin.

Pendant que Madou parlait, Maman priait en silence. Elle ne pouvait pas serrer son cher Laurent dans ses bras, mais s'en remettait à Dieu pour qui rien n'est impossible. Quand Madou eut terminé, Nathalie proposa:

— Téléphonons à la maison, Claude aura sans doute des nouvelles.

— Impossible! répliqua Madou, ils ont arraché le téléphone!

— Mais j'ai le téléphone dans ma voiture, précisa le commissaire.

Maman se précipita vers le véhicule et appela:

— Allo, Claude, c'est Nathalie. Est-ce que Laurent a téléphoné?

— Non, ma chérie, pourquoi aurait-il appelé?

— Nous n'avons retrouvé que Madou. Laurent a réussi à fausser compagnie aux ravisseurs, ce matin, pendant que Madou dormait.

Maman entendit le cri désespéré de Nadège qui se tenait près de Papa.

Malgré l'épreuve, Papa demanda:

Comment va Madou?

Aussi bien que possible. Elle a été merveilleusement gardée.

— Alors, il en est de même pour notre fils, quel que soit l'endroit où il se trouve.

*

Laurent avait donc repris sa marche titubante, mais en se relevant, il se trompa, changea de direction et s'enfonça de nouveau dans la forêt. Il erra encore longtemps, s'acharnant à retrouver son chemin. Enfin, il distingua au loin, vers un point de l'horizon, le ciel à travers la futaie. Plus il avançait, plus il voyait de bleu. «Je dois approcher, se dit-il, la forêt devient moins épaisse.» Les forces lui manquaient, cependant il se mit à courir.

Lorsque l'on est à l'extrême limite de la fatigue, on ne réfléchit plus raisonnablement, et les réactions brisées par l'effort ne suivent pas nécessairement la logique. Il aurait été préférable qu'il ne décide pas de courir, son état d'épuisement ne le lui permettait pas. Mais il sentait la délivrance à portée de sa main.

Il aperçut enfin la route, et une maison très proche, juste à sa droite. Pour les atteindre, il fallait escalader un dernier talus. Dans sa hâte, il ne remarqua pas une solide liane longeant le fossé, juste au bas du remblai. Son pied droit s'y accrocha. Il tomba de tout son long, le corps en avant, et sa tête alla heurter contre une énorme pierre. Laurent ne se releva pas. Il perdit connaissance, le visage dans la verdure, le sang coulant de son front blessé. Il n'était plus qu'une petite chose inerte et sans vie apparente. Heureusement, Dieu n'abandonne pas ses enfants, et les plus petits sont les trésors dont il prend particulièrement soin.

Le chien de la première maison à droite se mit à aboyer comme un forcené dans la direction du talus. Son maître sortit.

— Eh bien, Filou, qu'est-ce qui t'arrive? Tout doux, calme-toi.

Mais Filou ne se calma pas. Il exécuta de grands bonds contre la clôture tout en continuant ses aboiements intempestifs.

— Bon! Je sens que tu ne vas pas me laisser la paix aussi longtemps que je ne serai pas allé voir ce qui te tracasse, marmonna son maître.

À travers la clôture, il aperçut le corps d'un enfant allongé sur le talus. Il s'exclama: «Oh! mais, c'est un gamin! On dirait qu'il est évanoui!»

L'homme sortit et regarda le corps inanimé de Laurent. Il n'osa pas le toucher, étant impressionné par la vue du sang. Il ne pensa pas à avertir la police, mais parce que son fils était pompier, sa première réaction fut d'avertir son fils. En quelques minutes, la voiture des pompiers fut sur les lieux. Avec les précautions d'usage, ils installèrent le jeune garçon sur un brancard, et l'emportèrent au service des urgences de l'hôpital d'Orléans.

Laurent avait été accidenté à Saint-Jean-de-Livet, un village situé à six kilomètres de Chevillenay.

À suivre