La fuite

Résumé

Jean vit maintenant chez son oncle et sa tante. Mais il désire rester fidèle à la foi de ses parents. Oncle Louis essaie encore une fois de le convaincre de se rendre régulièrement à la messe.

Oncle Louis fit une pause, puis reprit:

— Allez, ce fut une dure journée pour toi et il est déjà tard. Demain, je vais à la foire de St-Etienne et je rentrerai après-demain. C'est une excellente occasion pour toi de réfléchir à ce que je t'ai dit ce soir. À mon retour, j'espère t'entendre me dire que tu as pris la décision d'aller à l'église. On essaiera aussi de faire revenir ta petite sœur Manette. Père Francis ne pourra pas refuser une telle requête si tu assistes de manière régulière à la messe. Maintenant, va au lit. Bonne nuit Jean!

Minuit était passé depuis longtemps. Jean n'avait pas encore fermé l'œil depuis qu'il était monté se coucher. Il se tournait et se retournait, mais le sommeil le fuyait malgré tous ses efforts pour s'endormir. Il avait compté les moutons jusqu'à épuisement. Il avait repoussé sa couverture une fois, puis l'avait retirée à lui. Il s'était couché à plat ventre, puis sur le dos. Rien n'y faisait! Il ne pouvait s'empêcher de penser et plus il pensait, plus cela l'effrayait. Il était submergé par l'inquiétude. La discussion avec oncle Louis l'avait convaincu que le fait de se tenir à l'écart de l'église ferait empirer la situation. Il fallait que quelque chose se passe, mais quoi? Il avait bien deux jours devant lui avant le retour d'oncle Louis, mais cela ne l'aidait pas maintenant. Il ne pouvait trouver le sommeil, il avait trop chaud. De nouveau il repoussa sa couverture, sauta hors du lit et s'approcha de la fenêtre pour se rafraîchir et se calmer. La fraîcheur de l'air nocturne lui fit du bien et la contemplation de la lune et des étoiles tempéra son excitation. Il devint pensif.

Soudain, tous ses amers souvenirs l'envahirent. Il se souvenait que tous les problèmes avaient surgi quatre ans auparavant, lorsque Père Francis avait rapporté à l'évêque leur appartenance à la religion Huguenote. Son père avait été condamné aux galères et on n'avait plus jamais entendu parler de lui.

Deux ans plus tard, un autre événement terrible s'était produit. Oncle Francis avait invité Manette pour déjeuner. Naturellement, sa mère n'avait pas osé refuser et avait laissé partir sa petite sœur. Cette nuit-là, oncle Francis lui-même était venu jusqu'à leur maisonnette pour leur annoncer que Manette avait été envoyée à Paris afin d'y être enseignée dans la religion catholique romaine par une vieille dame1. Combien sa mère avait pleuré! À partir de ce moment-là, elle s'était affaiblie de jour en jour, pour finalement décéder trois semaines auparavant.

1La loi de 1686 décrétait que tous les enfants huguenots entre 5 et 16 ans devaient être retirés à leurs parents et donnés à des catholiques romains ou placés dans des monastères afin d'y être élevés dans l'église romaine.

Revivre ces tristes moments remplit ses yeux de larmes. Il se sentit si seul et aurait tant voulu pouvoir parler avec sa mère, ne serait-ce qu'un instant! Elle comprendrait sûrement que son insoumission était risquée. Peut-être même qu'elle n'approuverait pas son entêtement et qu'elle lui dirait de se rétracter. Après tout, pourquoi ne ferait-il pas ce qu'oncle Louis recommandait? Aller à l'église romaine c'était payer à bas prix une vie en paix avec son oncle et sa tante. De plus, oncle Louis avait raison: personne n'avait besoin de savoir qu'il ne croyait pas les enseignements romains. Quel bonheur ce serait d'accueillir Manette parmi eux dans quelques années! Ainsi, il pourrait tenir la promesse faite à son père de prendre soin d'elle.

Pourtant, ni son père ni sa mère n'avaient jamais renié leur foi et il savait bien pourquoi. Il avait promis à sa mère de ne jamais aller à l'église romaine pour la même raison qu'eux. Il avait aussi promis de lire la Bible régulièrement.

Un soir, ils avaient causé très longtemps. Elle lui avait parlé des martyrs qui avaient souffert pour le nom de Christ, chantant des psaumes alors qu'on les brûlait sur le bûcher. Elle lui avait donc expliqué clairement que chacun doit faire son propre choix, soit vivre avec Christ, soit le renier. Il n'y avait aucune autre possibilité. Vivre avec Christ signifiait que tous vos péchés étaient pardonnés par son sacrifice à la croix. Cela voulait dire aussi que vous ne deviez jamais le trahir.

Dans la discussion, il lui avait demandé s'il existait des pays où il était possible d'adorer le Seigneur sans les dangers que cela représentait en France. Sa mère avait soupiré et mentionné la Hollande, pays lointain où personne n'était persécuté à cause de sa foi. Malheureusement, ils ne pouvaient s'y rendre, puisque les Huguenots n'avaient pas le droit de prendre leurs enfants à l'étranger. Si ses parents étaient partis en Hollande, Manette et lui leur auraient été enlevés et placés dans des cloîtres. Ils ne pouvaient qu'avoir de la patience et, s'il en était besoin, souffrir pour Christ.

Il réalisa tout à coup qu'il ne pouvait devenir un catholique romain. Il voulait appartenir à Christ comme ses parents et refusait de le renier. Mais il craignait quand même d'être envoyé au monastère, ayant entendu assez d'histoires pour savoir quels traitements y étaient réservés aux garçons tels que lui. Ils étaient capables de l'enfermer dans une cellule minuscule pour le reste de sa vie. Comment échapper à la perspective d'une telle existence? Si jeune, il ne pouvait s'opposer seul à tous ces prêtres!

À peine avait-il eu cette pensée qu'il releva brusquement la tête: ça n'était pas vrai. Ses pensées n'avaient aucun sens, il n'était pas seul pour le combat. Sa mère ne lui avait-elle pas dit et répété que le Seigneur n'oublie aucun de ses enfants? Il rougit soudain car il avait complètement oublié sa prière du soir. Il n'avait pas apporté au Seigneur toutes ses difficultés et ses soucis comme il aurait dû le faire avant quoi que ce soit d'autre.

Lentement, il quitta la fenêtre et, avant de se remettre au lit, s'agenouilla sur le sol et pria. Il pria pour son père et Manette, mais il demanda surtout au Seigneur de lui donner un cœur courageux et fidèle pour résister à la tentation et être un véritable serviteur de Jésus Christ.

Quand finalement il regagna son lit, il était si apaisé et heureux qu'il s'endormit en quelques minutes.

Chapitre 3 – La cachette secrète

Oncle Louis et tante Marie dormirent très peu cette nuit-là. Ils étaient déjà au travail quand le soleil apparut à l'horizon. Tante Marie préparait le déjeuner pendant qu'oncle Louis répartissait une épaisse couche de paille dans sa charrette pour y charger quelques cochons qu'il comptait vendre au marché. Après avoir nourri et harnaché la jument, il l'attacha avec une corde à un arbre devant la maison, regarda le ciel pour avoir une idée du temps qu'il allait faire et rentra vite à l'intérieur.

— Marie, appela-t-il, avant même d'être arrivé dans la pièce. Est-ce que le déjeuner est prêt? Il faut que je parte dès que possible pour ne pas arriver trop tard au marché. Même si je me dépêche, il sera au moins midi puisque je dois premièrement déposer Frère Francis au palais de l'évêque.

— Tout est prêt! Je t'ai emballé un casse-croûte. Mais que me dis-tu? Tu prends Francis avec toi? Tu ne m'en as même pas parlé!

— Oh! dit oncle Louis d'un ton léger, je lui ai dit hier que j'allais au marché et il m'a répondu qu'il désirait beaucoup venir avec moi! Il doit rencontrer l'évêque.

Sa femme le regarda pensivement et ajouta:

— Peut-être que tu pourrais utiliser le temps de ce trajet pour le convaincre d'être un peu plus compréhensif avec Jean? Vous allez être assis l'un à côté de l'autre pendant plusieurs heures et il n'y a pas-de meilleur sujet de discussion!

Oncle Louis se mit à rire.

— Tu te fais encore du souci pour Jean? Ne crains rien. Hier soir je l'ai bien observé et je suis persuadé qu'il a parfaitement compris ce que je lui ai dit. Il a été impressionné et a semblé réaliser qu'il ne peut rester avec nous qu'en devenant plus raisonnable. Sais-tu ce que tu devrais faire? Trouve une bonne excuse pour l'envoyer jusque chez lui, dans la forêt. Cela lui donnera du temps pour réfléchir et mettre un peu d'ordre dans ses pensées. En fait, je suis certain qu'après la soirée d'hier, il va rester chez nous.

— Oh! je le pense aussi, mais tu ferais bien de t'assurer quand même que Frère Francis ne gâche pas tout!

— Laisse Francis tranquille! Dans quelque temps, il redeviendra plus sensible et sinon, qu'est-ce que ça peut bien faire? Bon, maintenant je dois y aller, c'est déjà tard.

Ils avaient mangé tout en discutant. Aussi, après un baiser d'adieu, oncle Louis s'en alla.

Tante Marie entendit son époux grimper sur la charrette et fouetter le cheval. Le roulement cahoteux des roues sur le chemin lui parvint encore aux oreilles, puis ce fut le calme.

Elle resta là un moment, réfléchissant à ce qu'il lui avait dit, puis un large sourire éclaira son visage:

— Oui, je sais ce que je vais faire. Je vais laisser dormir Jean et exécuter les tâches matinales sans son aide. Quand il se réveillera, je lui dirai d'aller cueillir les haricots dans le jardin de sa maison des bois. C'est un travail agréable et il a besoin de se détendre un peu, le pauvre garçon; il a eu la vie dure ces derniers temps! Joyeusement, elle quitta la cuisine et se rendit à l'étable pour traire les vaches. Il n'y avait aucune raison de se faire du souci puisque Louis pensait que tout irait bien avec leur cher neveu.

Quelques heures plus tard, Jean se réveilla. Paresseusement, il se retourna et regarda le soleil éclatant briller par la fenêtre, inondant la chambre plutôt rustique. Il réalisa qu'il devait être tard et s'assit, étonné d'avoir dormi si longtemps. Pourquoi tante Marie ne l'avait-elle pas appelé, se demanda-t-il? Normalement, il se levait très tôt chaque matin pour aider à traire, aller chercher l'eau et du bois pour le feu. Pendant quelques instants, il resta assis à écouter. Au bruit des pots et casseroles que sa tante remuait dans la cuisine, il déduisit que la traite devait déjà être finie. Où pouvait bien être oncle Louis? Ah! ça y est, se rappela-t-il, aujourd'hui, il va au marché et doit être déjà parti. Penser à son oncle lui remit en mémoire la conversation du soir précédent et ses bonnes intentions. À présent, il était sûr de ne pas pouvoir lui obéir dans ce cas-là. Quant aux conséquences, il préférait ne pas y penser, mais comptait sur le Seigneur qui l'aiderait sûrement.

Alors il sauta du lit, s'habilla et pénétra dans la cuisine où tante Marie nettoyait consciencieusement les seaux à lait.

— Bonjour paresseux, dit-elle. C'est moi qui te remplace pendant que tu fais la grasse matinée, comme tu peux le constater! Elle feignait d'être fâchée contre lui, mais il remarqua l'éclat malicieux de ses yeux.

— Il faut que je te fasse la leçon pour que cela ne se reproduise plus. Attends d'avoir terminé ton petit-déjeuner et je te punirai sévèrement. Mais va d'abord te débarbouiller au puits: je n'aime pas les visages malpropres.

Jean sourit et répondit en se dirigeant vers la porte:

— Bonjour ma tante. C'est ta faute. Pourquoi ne m'as-tu pas réveillé? De toute façon, tu n'avais pas à effectuer mon travail!

— Ne t'en fais pas mon garçon. J'ai assez de travail pour t'occuper toute la journée et même plus. Tu ferais mieux de manger tout ce que tu peux car tu en auras besoin!

Il se demanda, tout en se lavant, quelle pouvait bien être la tâche qu'elle lui réservait. Peut-être voulait-elle qu'il nettoie la porcherie, et encore, cela n'avait rien de très spécial. Il eut vite avalé quelques tartines de pain avec du lard grillé. Tante Marie le taquinait sans pitié sur sa grasse matinée. Dès qu'il fut prêt, elle alla à l'étable et revint avec un grand panier.

À suivre