La captive de Noël (fin)

Dominique Floutier - Éditions Le Phare

Claudius, aidé de Démétrius, a réussi à délivrer Diana de la caverne où elle été emmurée vivante. Ils se trou maintenant sur la galère de Claudius qui fait voile pour la Grèce. Sur le bateau, le mariage de Diana et Claudius, ainsi que celui de Livie et Démétrius ont été célébrés.

Pendant ce temps, Julius Quartus est rongé par le remord, il réalise que c'est à cause de lui que sa fille est certainement en train de mourir. Après avoir revêtu des vêtements d'esclave, il demande a Névrius, son chambellan, de faire appeler ses porteurs...

Enfin les quatre hommes se présentent; eux aussi sont surpris de trouver leur maître vêtu comme eux.

— Ainsi vous n'avez pas quitté le palais vous aussi? C'est tant mieux! Ne vous étonnez pas de mon vêtement, je désire passer inaperçu. Voici ce que j'attends de vous: prenez des truelles, des pics, des briques, du ciment, mettez-les dans la petite litière, fermez-en les rideaux. Nous allons délivrer Diana; je pense que vous ne refuserez pas de m'aider?

— Oh! non, Maître, nous ferons l'impossible pour l'arracher à la mort.

— Merci Quintus, je savais que je pouvais compter sur vous. Je vais partir seul et à pied à la caverne. Vous, partez avec la litière dans laquelle vous ramènerez ma fille.

Faut-il prendre des armes?

Non, plutôt une toile. Si un licteur monte la garde, vous bondirez sur lui en jetant la toile sur sa tête pour étouffer ses cris et le gêner dans ses mouvements. Partez par le chemin d'en bas, tandis que je prendrai celui des collines. Nous nous retrouverons à l'entrée du Vallon des Vestales. Allez vite, il n'y a pas une minute à perdre.

***

Julius, après avoir hésité sur l'emplacement de la caverne, l'a enfin découverte. Ses porteurs avancent derrière lui. Après avoir déposé la litière, deux d'entre eux prennent les outils, les deux plus grands tiennent la toile qu'ils s'empresseront de jeter sur la sentinelle. Julius s'arrête, ceux qui le suivent aussi. Bientôt leurs yeux qui s'habituent à l'obscurité de cette nuit sans lune mais brillante d'étoiles, distinguent la sentinelle qui va et vient. Ce licteur vient de prendre la garde, assez surpris de ne pas trouver celui qu'il vient remplacer, mais les ordres sont les ordres, il doit veiller, et ne doit pas remonter chez les Vestales avant que son remplaçant n'arrive.

Quintus et Arius s'avancent avec d'infinies précautions et quand la sentinelle, après être venue droit sur eux sans les voir se retourne, ceux-ci bondissent et sans un cri s'en rendent maître. Julius court au tombeau, tâte le mur qui en ferme l'entrée, ses doigts s'enfoncent dans le ciment.

— Démolissez ce mur, vite... C'est curieux que le ciment ne soit pas sec, cette muraille a été élevée à midi, elle devrait être sèche après la chaleur du jour.

Les hommes ont rapidement fait une brèche, leur maître pénètre, tandis qu'eux se retirent à l'écart, quand un cri arrive jusqu'à eux!

«Elle est morte», pensent-ils en courant vers leur maître. Celui-ci, tel un halluciné, sort du tombeau en criant:

— Vide, il est vide!... puis soudain, heureux, il s'adresse aux quatre hommes comme à des amis. Si Diana n'est pas là, c'est que quelqu'un est venu avant nous! Diana est sauvée! Ma fille est sauvée! Que soit béni celui qui a osé braver la colère de Rome! Ce ne peut être qu'un chrétien pour avoir fait cela! Allons, vous tous, au lieu de me regarder, savez-vous quelque chose? La disparition de Livie, de la nourrice, de Démétrius, ce n'est pas le hasard? Parlez, mais parlez donc! Vous ne serez pas punis, bien au contraire... demain vous serez tous des hommes libres, libres vous et tous ceux qui m'appartiennent, libres, entendez-vous? Parce que c'était le vœu le plus cher de Diana. Diana qui a échappé à cette mort affreuse, Diana sauvée par le courage des chrétiens qui l'aimaient! Julius Quartus a assez de crimes sur la conscience, il n'en commettra pas d'autres. Le jour qu'il vient de vivre a fait de lui un autre homme! Vous pouvez parler, je ne vous trahirai pas.

— Maître, je crois que ta fille est déjà loin de Rome.

— Pourquoi? Dis-moi tout ce que tu sais.

— J'ai vu, ces jours derniers, Claudius Faustulus et Démétrius qui discutaient gravement. Je sais qu'il y a longtemps qu'ils cherchaient à délivrer notre jeune maîtresse.

— Merci Quintus d'avoir parlé. Si ce que tu dis est exact, je peux vivre tranquille, Diana aura tout le bonheur qu'elle mérite avec un Époux comme Claudius... Mais où sont-ils?

— Maître, la galère blanche qui depuis quelques jours se balançait dans le port a levé l'ancre au soleil couchant, elle appartient à Claudius.

— Merci, Antonius, n'as-tu rien vu avant qu'elle ne parte?

— Si, Maître. Elle a attendu longtemps toutes voiles dehors, puis un premier cavalier a franchi la passerelle et toutes les rames se sont levées.

— C'était Claudius avec ma fille, c'est à peu près certain. Et après?

Un bon moment s'est écoulé, puis un deuxième cavalier a franchi la passerelle. J'ai trouvé cela étrange.

— C'était sûrement Démétrius. Et puis?

— Et puis, Maître, la galère est partie rasant les flots comme un grand oiseau. Le vent était pour elle.

— Tant mieux! Que la mer leur soit clémente, et qu'ils abordent la Crète en plein bonheur!

— Maître, relevons-nous le mur?

— Non, Quintus, le Grand Pontife et la Grande Vestale ont assez fait souffrir ma fille. Je donnerais beaucoup pour voir leur visage demain matin quand ils viendront ici, ce sera une vengeance...

— Maître, la vengeance ne nous appartient pas, elle appartient à Dieu.

Fort bien, Quintus! Pour cette parole tu vas être condamné à me conduire aux catacombes. J'ai beaucoup à apprendre et beaucoup à recevoir... Vous trois retournez au palais avec la litière.

— Maître, et la sentinelle?

— Laisse-la, Antonius, la Grande Vestale doit la trouver ainsi, ça évitera à ce licteur un cruel châtiment.

— Maître, il y a un autre homme ici. C'est aussi un licteur!

— Où cela, Arius?

— Ici, Maître, il est ficelé comme une momie.

— C'est parfait! Ce doit être l'œuvre de Démétrius. Allez maintenant, et toi Quintus, conduis-moi.

— Oui, Maître, avec joie, mais l'Empereur et le Sénat?

— D'autres les ont bravés avant moi, je peux aussi faire comme eux... Allons!

8 - Et c'est encore Noël...

Un Empereur a succédé à un autre, une Grande Vestale a succédé à une autre, un Grand Pontife a succédé à un autre, et, dans son palais que ces quelque quinze années ont passablement vieilli, Julius Quartus s'agite.

Après s'en être réjouie en secret, Rome a oublié depuis longtemps l'évasion de la jeune Vestale et comme personne n'a jamais su ce qu'elle était devenue, peu importe qu'elle s'apprête à débarquer d'un navire grec, en cette veillée de Noël. Personne n'y prêtera attention. C'est ce que pense Julius Quartus qui sort sans cesse sur la grande terrasse des jardins d'hiver pour scruter l'horizon. Dès que des voiles paraîtront à l'horizon, le maître devra en être averti. Pour la première fois que Diana revient après tant d'années d'absence, il faut préparer un accueil exceptionnel pour elle, pour Claudius, mais surtout pour les enfants. Les enfants!... en pensant à eux, Julius Quartus s'arracherait une poignée de cheveux s'il en avait à gaspiller... Des enfants, jamais son palais n'en aura tant vu, car aux trois filles et trois fils de Diana et Claudius s'ajoutent les quatre fils et les trois filles de Livie et Démétrius! Démétrius qui est devenu un homme riche, considéré, arrive avec les siens sur le même bateau. Bien sûr que le palais et ses jardins sont assez grands pour recevoir ces deux ménages, leurs treize enfants de quatorze à deux ans et les domestiques, mais quel bouleversement dans les habitudes de Julius Quartus!

Ses petits-enfants, il les aime à la folie et eux sont au comble du bonheur quand ils voient arriver Julius Quartus! Chez Démétrius, il est aussi heureux et choyé que chez sa propre fille. Souvent il est allé en Crète rendre visite à ces jeunes ménages. Il en est revenu chaque fois rajeuni, réconforté et toujours confondu d'être entouré de tant d'égards et d'affection.

«Je n'ai pourtant pas mérité d'avoir mes vieux jours aussi vénérés», pense-t-il souvent. «Alors, ici, il faut qu'ils soient tous comblés.»

Il s'approche de la volière de Diana.

«Elle va retrouver ses oiseaux, enfin des oiseaux tout pareils aux siens, et les fleurs, les poissons, et son luth, tout ce qu'elle aimait.»

Certes il s'émerveille de retrouver Diana toujours aussi charmante et enjouée, mais ce n'est pas à cette jeune femme-là qu'il pense en ce moment... c'est à la Diana qui remplissait le palais de sa joie de vivre. Mais voilà que son souvenir se confond avec une Diana toute pareille à celle des jours d'autrefois, à sa fille aînée, à Ariane sa préférée et que le plus souvent il appelle Diana. Alors Ariane éclate du même rire que celle qui vivait ici.

«Il est incorrigible, ton père, ne manque-t-elle pas de dire à sa mère, il se trompe toujours de prénom quand il m'appelle!»

Elle l'aime aussi tendrement et voilà qu'avant de partir pour Rome, leur mère leur a raconté son histoire qui est aussi celle de leur père, de leur grand-père, de Livie, de Démétrius et de la toute vieille Terentilla! Une histoire à la fois si belle, si terrible, si palpitante, que ce grand-père qui persécutait les chrétiens et qui en est devenu un, est vraiment pour ces enfants un homme extraordinaire.

Julius Quartus s'imagine facilement l'excitation qui doit régner à bord parmi tous ces enfants. Voir ce palais, ces jardins, cette ville où ces aventures incroyables sont arrivées à tous leurs parents, aventures que Terentilla est toujours prête à leur conter à nouveau, est bien propre à frapper ces jeunes imaginations!

Terentilla!... Que de souvenirs encore plus lointains son retour ne rappelle-t-il pas au vieux Sénateur. Alors Julius Quartus pensant à tout ce passé, au présent qui s'annonce si heureux, se sent à la fois ému et tellement reconnaissant. «Et chaque fois c'était la veille de Noël», se dit-il. Chaque fois, comme ce soir, Noël, Emmanuel, Dieu avec nous, comme disait Diana, il y a longtemps, si longtemps. Les souvenirs reviennent vivants. Il se voit suivant Diana, la condamnant, elle si jeune, si ferme dans sa foi; sa course à la caverne, enfin son arrivée aux catacombes. Comme il l'a entendu pour la première fois ce soir-là, il entend proclamer en son cœur la grande nouvelle du salut.

«Je vous annonce un grand sujet de joie qui sera pour tout le peuple; car aujourd'hui, dans la cité de David, vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur... Le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont moi je suis le premier.» (Luc 2:10, 11 et 1 Tim. 1:15)

 

Comme une grande dame en très grand apparat, la galère entre majestueusement dans le port de Rome. Alors élevant les bras comme pour bénir l'arrivée des voyageurs, Julius Quartus s'écrie: «Béni soit Celui qui m'a pardonné et me comble de bonheur.»

Fin