La captive de Noël

Dominique Floutier - Éditions Le Phare, 5620 Flavion (Belgique)

8. Le temple de Vesta

Julius Quartus essaie de raisonner Diana pour qu'elle renonce à sa foi, mais en vain. Alors, ne pouvant se résoudre à la faire mourir, il la condamne à devenir vestale, c'est-à-dire prêtresse au service de la déesse Vesta.

En ce temps-là, chaque cité romaine possédait un temple dédié à Vesta. Elle était la déesse qui était sensée protéger les foyers et leurs familles. Dans le temple, un feu brûlait nuit et jour, entretenu par des prêtresses, les vestales. Le Grand Pontife de la cité les choisissait parmi les jeunes filles les plus nobles. C'était un honneur pour une famille patricienne que d'avoir une fille vestale. Dès l'âge de cinq ans, une fille pouvait devenir vestale et elle restait attachée pendant trente ans au service de la déesse. Les trente ans écoulés, elle pouvait retourner dans sa famille et même se marier. Les vestales vivaient dans un couvent dont la règle n'était pas sévère mais elles devaient faire vœu de pureté et d'ascétisme1. Toute désobéissance à ces deux vœux était impitoyablement punie: elles étaient enterrées vivantes. Plusieurs fois par jour, elles devaient aller à la source sacrée chercher l'eau dans des amphores. Cette eau servait à l'entretien des objets du culte et à différents rites. À tour de rôle, les vestales veillaient jour et nuit sur le feu afin que la flamme ne s'éteigne pas. Ce feu, considéré comme un don merveilleux de la divinité, était adoré dans chaque maison où il ne devait jamais s'éteindre et dans le temple de Vesta où le peuple allait le prier les jours de fête. La flamme devait brûler perpétuellement sur l'autel de la déesse Vesta. Si par malheur elle s'éteignait, les habitants de la cité croyaient alors qu'une catastrophe allait tomber sur eux et la ville entière menait deuil. Tous sortaient de chez eux, se répandaient dans les rues, hurlaient, se lamentaient et faisaient des processions pour supplier la déesse Vesta de ne pas leur envoyer de châtiment en expiation de leurs péchés. Mais le jour même, la punition terrible s'abattait sur la jeune fille qui avait négligé le feu sur l'autel.

1 Ascétisme: genre de vie religieuse consistant à s'imposer des exercices de pénitence et des privations.

Les vestales étaient vêtues de robes blanches, très légères et vaporeuses, de tissu précieux, leur tête était recouverte d'un voile aussi léger. Les aînées s'occupaient des plus jeunes, leur enseignant tout ce qu'elles devaient savoir pour être dignes du nom de Vestale. Il y avait toujours une toute jeune Vestale pour veiller sur le feu à côté d'une aînée. La petite préparait le bois, coupait les brindilles en menus morceaux, les passait à sa compagne quand elle lui en demandait.

Quand une Vestale se promenait dans la rue, les hommes et les femmes s'inclinaient sur son passage parce qu'elles étaient les personnes les plus honorées et les plus respectées de la ville. Elles portaient bonheur et si un condamné rencontrait une Vestale sur le chemin du supplice, elle pouvait, si elle le désirait, demander sa grâce et il était libéré. Souvent une escorte de licteurs les accompagnait, non pour les garder d'un quelconque danger, mais pour donner plus de prestige à leur personne même. Parmi les dix-sept Vestales consacrées au culte de la déesse, certaines étaient particulièrement aimées du peuple et il acclamait bruyam­ment celles qu'il préférait lorsqu'elles sortaient en ville. Et voici que Diana, dans une litière fermée, est conduite au temple de Vesta. Elle a dit adieu pour toujours à tout ce qu'elle aime, aux jardins qui ont vu ses joyeux ébats, au palais dont les échos ne renverront plus ses chants joyeux et ses rires argentins. Diana est partie, partie sans revoir son père qui, après sa visite au Grand Pontife, est aussitôt rentré chez lui.

Mais si son père ne s'est pas montré, elle a en revanche été accompagnée jusqu'à la limite du domaine par tous les serviteurs et la nuée d'esclaves, propriété de Julius Quartus. Tous ont reçu un dernier sourire de celle qui était leur bienfaitrice. Les visages ravagés par le chagrin, secoués de sanglots, inondés de larmes, ils suivent celle qui personnifiait pour eux la joie, la sécurité, la bonté... et elle s'en va à jamais! Leur désolation est immense.

De loin, Julius assiste à ce départ. Lui qui se croyait si fort, si invulnérable sent son cœur se serrer comme dans un étau. Son regard ne peut soutenir ce spectacle plus longtemps. Il tire les tentures, s'effondre dans un fauteuil et la tête dans les mains, il sanglote lui aussi, comme ses esclaves, comme ses serviteurs. Puis se ressaisissant, son visage aux traits contractés et durs se détend.

«Je ne pouvais mieux faire pour elle, pense-t-il, elle sera à l'abri des supplices, je n'aurai plus à redouter pour elle les fantaisies de l'Empereur, elle ne connaîtra pas la corruption de cette cour impériale. Mais il faut que je trouve celui qui l'a entraînée aux assemblées... Dès demain, je ferai surveiller Claudius et il paiera cher, très cher, foi de Julius Quartus. Mais comment se sont-ils connus? Cela reste pour moi un mystère... à moins que ce soit là-bas, sous terre? Mais alors, qui l'a conduite aux catacombes?... Oui, qui? C'est bien la première fois que je suis ainsi bafoué! Si mes ennemis savaient...! Si l'Empereur savait...! Mais je vais agir. Diana hors d'atteinte, Diana en sécurité chez les Vestales, je serai libre d'agir sans crainte pour elle et d'ici peu les coupables seront démasqués.»

Mais Livie n'a pas attendu le départ de sa jeune maîtresse pour faire avertir Claudius et, tandis que Diana traverse Rome dans sa litière, que Julius Quartus médite sur sa vengeance, Livie et Démétrius se rendent chez Claudius qu'ils rencontrent en chemin. Dans un pavillon tout proche, ils peuvent se parler à l'abri de toute oreille indiscrète.

— Livie, que se passe-t-il? Pourquoi Diana n'est-elle pas avec toi?

— Elle ne sera plus jamais avec moi, ni avec toi!

— Que veux-tu dire?... Est-elle morte?

— Morte pour nous tous, oui, maître, et Livie éclate en san­glots.

— Explique-toi, Livie, je t'en prie...

— C'est simple, Claudius Faustulus, dit Démétrius. Hier, le Sénateur donnait une réception; à dessein, il nous a tous occupés à des postes que nous ne pouvions abandonner. Diana a quand même voulu partir seule pour aller célébrer la naissance du Christ où tu sais... Le maître a laissé ses invités, l'a suivie et ramenée. Elle a passé la nuit en prison; ce matin il l'a conduite dans ses appartements et en ce moment... Démétrius est si ému lui aussi qu'il ne peut continuer.

— Elle n'est pas dans l'arène?

— Non, Claudius, elle se rend au temple de Vesta.

— Quoi! Diana, prêtresse d'une déesse païenne? Elle, une chrétienne! Son père est fou... j'irai la délivrer!

— Oui, Claudius, si tu l'aimes vraiment, tu la délivreras, mais attends, notre maîtresse est si jeune. Son père va sûrement te poursuivre.

— Pourquoi?

— Chacun sait à Rome que le tribun Claudius Faustulus a des sympathies pour les chrétiens et s'il n'a pas été arrêté, c'est parce qu'il n'a pas été pris en flagrant délit.

— C'est vrai, Démétrius, mais il faut faire quelque chose pour Diana.

— Claudius, personne n'a le droit d'approcher les Vestales, tu n'es pas sans savoir à quelle mort tu exposerais Diana aussi bien que toi.

— Je le sais, Livie, mais la voir condamnée à gaspiller trente ans de sa vie consacrés à Vesta et moi à attendre me rend fou.

— Je te comprends, Claudius. Si tu savais comme nous sommes malheureux, mais n'entreprends rien maintenant. Julius Quartus est sur tes traces. Si tu veux arracher Diana à la vie vers laquelle elle se dirige dans deux ou trois ans, pars à l'instant.

— Partir!... L'abandonner?... Livie, c'est toi, toi qui me demandes ça?

— Oui, maître, Livie a raison, il te faut partir sur l'heure. Tu as des biens en Crète, pars. Une de tes galères se balance dans le port, saute sur ton cheval et sans perdre un instant, sans retourner chez toi, embarque-toi, fais lever l'ancre et ne reviens que lorsque je te le ferai savoir.

— Mais, Démétrius, partir ainsi? Tout abandonner?

— Oui, pour avoir la vie sauve. Peut-être que déjà une légion de l'Empereur entoure ton palais. Le Sénateur est aussi puissant que rapide dans ses décisions, il a peut-être déjà donné des ordres pour se saisir de toi.

— Pars, Claudius. Démétrius et moi préviendrons Hyacinthe. Ton chambellan doit bien savoir ce qu'il doit faire en cas de départ rapide de ta part.

— Oh! oui, depuis que je fréquente les assemblées je lui ai donné des ordres précis, c'est pour cela aussi que j'ai toujours une galère amarrée au port.

À suivre