La captive de Noël

Dominique Floutier - Editions Le Phare, 5620 Flavion (Belgique)

La course de char à laquelle Diana et son père sont venus assister débute enfin. Grâce à des procédés déloyaux, Martial Aulius s'impose rapidement dans cette course. Mais Claudius Faustulus, l'aurige qui court sous les couleurs de Diana, possède un attelage infaillible. Après des minutes de suspens, il finit par dépasser Martial et termine vainqueur de la ourse.

Une immense clameur monte de tous les points du cirque tandis que l'Empereur félicite le vainqueur. Puis, comme il se doit, Claudius enlève Diana dans ses bras, la dépose sur son char et, sous les ovations délirantes de la foule, fait à vive allure un tour de piste. Diana, petite chose effrayée, intimidée, se blottit contre le vainqueur, se cache dans ses voiles. Certes, ce bras qui l'entoure lui donne confiance mais elle n'a qu'un désir, fuir ces milliers de regards, fuir le sourire ambigu de l'Empereur, fuir les visages froids et les coups d'œil aussi curieux que dédaigneux des jeunes filles de la suite impériale. Oui, fuir tout cela et retrouver bientôt le calme du palais sur la colline et l'incognito des catacombes.

— Merci Claudius Faustulus, dit-elle en prenant congé de lui. Je n'avais pas souhaité ce triomphe, mais pour l'Empereur et Julius Quartus, il le fallait. Accompagnés par les licteurs1 de son père, Diana traverse Rome dans la litière du Sénateur où Livie l'attendait. Elle n'a eu aucune peine à obtenir de son père l'autorisation de rentrer chez eux au lieu de le suivre à la fête de l'Empereur, comme il le lui avait ordonné.

1 Licteur: garde du corps au temps des romains.

— Enfin, Livie, nous voilà loin de cette foule, loin surtout de ces nobles Romaines envieuses, coquettes et jalouses.

— Elles étaient belles, Diana.

— Peut-être, mais si tu avais entendu leurs propos, tu partagerais ma manière de voir.

— C'est si terrible que cela?

— Terrible, non, mais tellement faux! Quant à l'Empereur, tu ne peux pas savoir l'effet qu'il me fait. Il me fait peur... Il avait une façon de me regarder... Tiens! je frissonne en y pensant.

— Et ton père a accepté que tu n'assistes pas à cette réception? Je croyais qu'il y tenait beaucoup.

Oui, il y tenait. Je ne comprends pas, Livie. Lui qui m'avait si durement ordonné d'assister au spectacle et à la réception que l'Empereur donne ce soir dans ses jardins, a eu l'air satisfait que je lui demande de revenir chez nous.

— Il a accepté comme ça? Tout de suite? Sans supplications de ta part?

— Mais oui, Livie, n'est-ce pas extraordinaire?

— C'est curieux! Est-ce parce que Claudius a remporté le prix?

— Non, je ne crois pas! Il m'a presque remerciée de vouloir échapper à cette fête... Il a même ajouté: «Sache, Diana, que je ne t'obligerai jamais à te rendre à la cour, sauf si c'est un ordre de l'Empereur te concernant personnellement.»

— Mais, Diana, que se passe-t-il? S'il pouvait devenir aussi indulgent pour les chrétiens et te permettre d'assister aux assemblées!

— Ça, Livie, c'est autre chose... et sais-tu ce qu'il a dit en me raccompagnant jusqu'à sa litière?

— Dis vite!

— «Si jamais je reçois un ordre impérial à ton sujet, demandant expressément ta présence à la cour, j'espère, ma fille, que tu m'aideras à trouver un prétexte pour t'y dérober... à moins que la fille de Julius Quartus ne tienne à fréquenter la cour.» Il a dit cela sur un ton léger, comme s'il voulait me taquiner, mais je le sentais tendu, préoccupé. Aussi je lui ai répondu en riant: «Tu sais bien que je ne rêve qu'aux fêtes de l'Empereur et que rien ne peut davantage me manquer».

— Et qu'a-t-il dit?

— Il a éclaté de rire, puis il a repris son air soucieux.

— Réjouis-toi, Diana, de cette trêve. Mais je me demande ce qui a pu modifier son attitude si rapidement.

— Oui, n'est-ce pas? Cela ne lui ressemble guère. Lui, si obstiné ne revient jamais sur ce qu'il a décidé.

— Et le voilà qui te laisse libre de refuser ou d'accepter les invitations à la cour.

— Non, Livie, il ne me laisse pas libre puisqu'il veut que je les refuse. C'est tant mieux, rien ne pouvait m'être plus agréable... pourvu que ça dure!

Tandis que Diana et Livie regagnent la demeure du Sénateur en bavardant à mi-voix dans sa litière, Claudius traverse Rome sur son char au trot allongé de ses quatre chevaux noirs. Il n'a pu repousser l'invitation de l'Empereur. Il rentre chez lui pour retourner au palais après avoir changé de tenue. Ce jour est un jour de gloire pour lui, gloire qu'il n'a pas cherchée, gloire qui lui a été imposée, gloire qu'il a gagnée pour plaire à l'Empereur comme au Sénateur Julius Quartus, mais qu'il a voulu gagner pour ne pas mécontenter le père de Diana, pour qu'elle ne soit pas inquiétée, mais il reste soucieux.

«Après une telle publicité, comment passerons-nous inaperçus? Julius Quartus aurait-il voulu nous interdire l'accès des catacombes, il n'aurait pas agi autrement... Mais jamais je ne renoncerai à ces assemblées et Diana de son côté voudra aussi y retourner. Son père, heureusement, lui a épargné cette fête de ce soir, je me demande pourquoi? À cause de son horreur? Ne dit-on pas qu'avec l'Empereur ils ont décidé d'illuminer les jardins avec des torches vivantes?... des chrétiens roulés dans la poix, suspendus à des mâts, brûleront en éclairant cette fête... Je suis obligé d'y aller... c'est atroce... et Julius Quartus voulait montrer cela à sa fille! Pourquoi, au dernier moment, a-t-il changé d'idée? A-t-il eu peur de perdre sa tendresse? Elle saura bien ce qui va se passer! A-t-il peur que l'Empereur ne veuille en faire sa favorite? Il en serait bien capable! De toute façon, il nous faut être vigilants. Julius Quartus fera tout pour soustraire sa fille à l'Empereur, mais il fera tout ce qui est en son pouvoir pour la soustraire à l'influence des chrétiens.»

Ainsi pense Claudius sur le chemin qui sépare le cirque de sa somptueuse villa nichée parmi les lauriers roses et les mimosas sur les pentes qui dominent le port d'Ostie. Claudius voit comme dans un rêve ceux qui l'acclament. Il n'entend pas leurs vivats. Il ne voit que le visage de Diana, à l'expression vive et enjouée, mais si effarouchée sur son char tout à l'heure. Cette silhouette svelte et élancée, son apparence si fragile et sa fermeté d'âme font d'elle une créature à laquelle il ne peut s'empêcher de penser avec le meilleur de lui-même. En tout cas sa décision est prise. Diana ne devra pas retourner aux catacombes avant qu'il n'ait vu Livie et Démétrius, avant qu'ils n'aient décidé quand et comment elle devra retourner aux assemblées.

Il presse ses chevaux, afin d'envoyer son fidèle Hyacinthe auprès de la jeune fille.

«Elle serait capable, sachant son père pris par le service de l'Empereur pendant cette soirée de vouloir aller là-bas cette nuit. Il ne peut en être question.»

Alors, caressant ses chevaux avec la mèche de son fouet, il pousse son quadrige à fond afin d'empêcher le départ de Diana.

À suivre