Le jardin de l'arc-en-ciel

«Le jardin de l'arc-en-ciel» n'introduit pas seulement le lecteur dans la féérie mystérieuse d'une propriété délaissée, où se déroulent une série d'événements palpitants, mais il le fait également pénétrer dans le royaume non moins mystérieux d'une âme d'enfant qui, au contact d'une famille où règne la foi, sort de son égoïsme de fille unique et gâtée et s'épanouit joyeusement au grand soleil de la grâce de Dieu.

Chapitre premier

Au pays du soleil

Tout commença par une froide soirée de janvier, tandis qu'agenouillée devant le radiateur électrique de ma mère, je séchais mes cheveux. Dehors la neige tombait sur Londres, assourdissant le bruit des pas et du trafic. Dans la chambre à coucher, les rideaux tirés s'harmonisaient avec la robe de chambre de Maman, et la petite lampe à la lumière tamisée s'unissait à ce chaud et doux confort.

J'en jouissais d'autant plus que nous vivions l'une de ces rares soirées où ma mère, restée à la maison, ne semblait n'avoir rien à faire sinon qu'à s'occuper de moi. Ce fait était si inhabituel que nous ne savions que nous dire l'une à l'autre. Nous avions regardé la télévision, puis Maman avait apporté une pile de journaux de mode, me proposant de me choisir une nouvelle robe d'été. Ensuite, m'ayant lavé les cheveux, elle s'assit sur une petite chaise et me les roula en boucles. Moi, je surveillais tout cela dans un grand miroir, en savourant des chocolats.

Cela aurait dû être une soirée délicieuse. Mrs.1 Moody, la gouvernante, ayant un jour de congé, était partie chez elle à Golders Green, et l'appartement paraissait en quelque sorte plus gai sans elle. J'aimais beaucoup Mrs. Moody, qui prenait soin de moi bien plus que ne le faisait ma mère; mais elle n'était pas une compagnie bien amusante. Plus âgée et à l'ancienne mode, elle me sermonnait sévèrement. Elle désapprouvait aussi Maman qui répondait à trop d'invitations. Elle rentrait à des heures si tardives qui l'obligeaient à se lever si tard le matin. Mrs. Moody, dans ses jeunes années, se couchait à dix heures et était debout à six, et pas de bêtises! — mais comme Maman se couchait en général à deux heures du matin et se levait à dix, je ne voyais pas qu'elle fut plus paresseuse que Mrs. Moody. Toutes deux passaient le même nombre d'heures au lit.

1Abréviation en anglais de Mistress = Madame.

Mrs. Moody me désapprouvait aussi parce que j'avais trop de robes élégantes, et trop de gâteaux à la crème pour le thé. Je l'avais entendu confier à la cuisinière de l'étage en-dessous que je deviendrais un papillon comme ma mère, mais bien qu'elle eût dit cela d'un ton critique, je fus enchantée: les papillons ne sont-ils pas magnifiques et joyeux? Je les avais vus voltiger dans le soleil sur les tulipes du parc de St. James. La cuisinière objecta que malgré mes jolis atours j'étais «une petite chose toute simple», mais je n'ai pas compris ce que cela signifiait et supposais qu'elle parlait du cake que justement elle confectionnait.

— Mammy, fis-je, repoussant en arrière mes cheveux et la regardant, tu ne m'as toujours pas dit quel jour je retournerai à l'école. Ce doit être bientôt?

Maman demeura silencieuse durant quelques minutes et je commençai à m'étonner. Je lui avais déjà fait deux fois la même demande, et deux fois elle avait changé de sujet.

— Quand Mammy? répétai-je, impatiente. N'est-ce pas un des jours de la semaine prochaine? Mrs. Moody n'a pas encore vérifié mon uniforme, et mon costume de gymnastique a besoin d'être rallongé.

Ma mère ne prêtait d'attention qu'à mes boucles. Puis, négligeant de répondre simplement à ma question, elle dit à brûle-pourpoint:

— Élaine, aimerais-tu aller à la campagne?

Ébahie, je tournai la tête vers elle.

— À la campagne? fis-je en écho. Pourquoi? Où? Veux-tu dire, au lieu d'aller à l'école?

— Eh bien! Non, pas exactement.

À suivre