La captive de Noël

Dominique Floutier - Éditions Le Phare, 5620 Flavion (Belgique)

Diana a réussi à convaincre Livie de la conduire aux réunions de chrétiens qui ont lieu dans les catacombes de la ville. Elle a écouté avec avidité les paroles du prédicateur et a compris qu'elle avait besoin d'un Sauveur. Elle a donc reçu Jésus Christ dans cœur, et c'est avec une joie nouvelle qu'elle est retournée au palais de son père, escortée par le tribun Claudius Faustulus qui s'est promis de veiller sur elle.

Diana et Livie sont entrées dans le palais par une porte dérobée. La vieille nourrice veille dans les appartements de celle qu'elle aime comme sa fille en songeant...

«Qui aurait pensé que notre douce enfant si sauvage, si timide, partirait là-bas!»

Dans sa foi simple elle n'a pas cessé de confier à son Maître tout-puissant la vie de son enfant.

Une main se pose sur son épaule, elle sursaute. Diana est entrée si doucement que la vieille nourrice n'a rien entendu.

— Me voilà, ma bonne Terentilla. Je suis heureuse, heureuse, c'était... oh! je ne peux te dire comment c'était... mais tu le sais bien!

— Oui ma fille..., de cela il ne faut pas parler ici... Maintenant va dormir aussi longtemps que tu voudras.

— Tu m'éveilleras pour manger, il ne faut pas que je manque le repas. Je dois y assister comme si mon père était là.

— Je te réveillerai à temps et puis tu pourras encore dormir.

— Comme tu voudras. Attends, ne pars pas encore; Livie va venir. Avant que vous alliez dormir, je veux vous donner quelque chose à toutes deux. Je l'ai décidé là-bas! Attends un instant que je cherche ce que je veux vous donner... Les voilà! Ce sont deux rouleaux de papyrus que mon père m'a offerts l'année dernière pour mes treize ans. Ils disent que vous êtes mes esclaves et ma propriété personnelle. C'est à moi que vous appartenez toutes les deux. Je peux faire de vous ce que je veux et maintenant je veux que vous soyez libres pour toujours. Le prédicateur a dit qu'il ne devait plus y avoir d'esclaves, alors je vous libère. Attendez, avant de vous donner ces rouleaux je dois signer votre affranchissement. Voilà. Dès maintenant vous êtes libres de rester ou de partir.

— Ma petite, où irais-je? ma vie est ici!

— La mienne aussi maîtresse!

— Ne m'appelle plus maîtresse, Livie. Tu es ma sœur puisque nous avons toujours été élevées ensemble.

— Je ne serai heureuse que si je peux rester toujours près de toi.

— Et moi je serai si malheureuse sans vous. Si vous voulez rester, je serai bien contente! Seulement, n'oubliez pas que vous pourrez aller où vous voudrez si un jour je ne pouvais plus rester ici. Ces papyrus sont la preuve de votre affranchissement, gardez-les précieusement: personne n'a plus le droit de vous posséder, même moi partie, ce sera valable; c'est comme mon testament.

— Ne parle pas de cela Diana, ce jour ne viendra pas pour toi.

— Que Dieu t'entende Terentilla et qu'il me permette de lui rester fidèle; demain j'affranchirai Démétrius. Mon père me l'a donné parce qu'il était Grec, sachant lire et écrire. Il saura vous venir en aide. Il vous aime toutes deux, n'est-ce pas?

— Ne parle pas ainsi ma Diana, maintenant il faut te reposer.

— J'y vais ma bonne Terentilla! Dis-moi Livie, sais-tu si Démétrius est aussi chrétien?

— Oui Diana, dit Livie en rougissant, c'est même lui qui m'a conduite pour la première fois entendre le prédicateur.

— Petite cachottière! Tu ne m'avais pas dit cela! Il a bien fait, Livie, puisque ainsi moi aussi j'ai pu y aller... Allons vite dormir, cette nuit sera bien courte pour vous. Au revoir!

Ainsi, plusieurs soirs de suite et jusqu'au retour de Julius Quartus, la nuit venue, deux ombres sortaient du parc par la petite porte dissimulée par d'épais buissons. Chaque matin avant le jour, ces deux ombres revenaient frôlant les murs et toujours suivies par le jeune tribun. Sans échanger une parole, il les accompagnait jusqu'à la petite porte du parc. Arrivées là, les jeunes filles le remerciaient d'un sourire puis disparaissaient sans bruit parmi les bosquets des jardins. Il retrouvait son cheval caché dans un ravin et rentrait chez lui toujours par un chemin différent.

Le retour du maître

Le soleil monte à l'horizon. Il inonde de sa lumière matinale le parc, les bosquets et la villa1 qui sommeille. Quelques gouttes de rosée s'attardent encore sur les buissons, accrochant leur parure aux guirlandes de fleurs. Autour de la maison, tout est calme, le maître n'est pas de retour. Sa fille dort tranquillement. La paix règne partout, cette paix bienfaisante des absences du maître.

1 On donnait le nom de villa au palais des gouverneurs de Rome. Elle comprenait le palais, les parcs, les jardins, les habitations des serviteurs et esclaves.

Quand soudain un bruit de sabots, de piaffements, de hennissements, de fouets qui claquent, de roues qui sonnent sur la voie dallée, de cris divers, secoue la villa tout entière et, comme par magie, surgissent de toutes parts serviteurs et esclaves. Chacun à sa place attend l'arrivée toujours redoutée du voyageur.

Les portes s'ouvrent toutes grandes pour laisser entrer le char du maître tiré par son attelage nerveux. Aussitôt, ce havre de paix est troublé par les ordres qui retentissent de tous côtés. La foule fébrile des serviteurs qui tremble toujours de déplaire au maître exigeant multiplie ses activités autour de lui et de son imposante suite. À peine a-t-il mis pied à terre, il interroge:

Ma fille? Où est-elle? Que fait-elle? Pourquoi n'est-elle pas là pour accueillir son père? Dans sa hâte de voir toute la maisonnée rassemblée pour son arrivée imprévue à cette heure matinale, il ne réalise pas que Diana doit se préparer pour descendre saluer son père. Ce réveil est d'autant plus pénible qu'il y a à peine une heure qu'elle s'est endormie. Après sa nuit hors de la villa, malgré l'aide de sa nourrice, Diana a les gestes lents, les yeux lourds de sommeil. Mais la voix de son père la sort brutalement de sa torpeur. Les cheveux épars sur sa longue tunique, elle arrive en courant et se jette dans ses bras comme lorsqu'elle était une toute petite fille. Elle éclate de rire et, prenant le visage de son père dans ses mains, mutine, enjouée, s'écrie:

— Mais la voilà ta Diana! As-tu oublié, mon père, combien ta fille aime dormir? ...et peut dormir profondément? Elle te demande pardon de n'avoir pas été là pour t'accueillir à la descente de ton char.

— Ça va, mon enfant. Souviens-toi que le maître aime trouver chacun à sa place pour lui souhaiter la bienvenue.

— Oui mon père, je m'en souviendrai, je te le promets.

— Le vacarme de mes équipages n'est-il pas suffisant pour t'arracher à ton sommeil?

— Hélas non, mon père, surtout quand ma bonne nourrice ferme toutes les issues pour que sa colombe repose dans le calme le plus complet... pour elle je suis encore une toute petite chose qu'il ne faut pas réveiller brusquement.

— C'est bon. Je vais me retirer dans mes appartements. Veuille te trouver prête à venir me rejoindre quand je te ferai chercher.

— Je serai prête, père. Dans quelle tenue faut-il que je me présente à toi?

— Que veux-tu dire?

— Me feras-tu appeler pour avoir un entretien avec moi? J'aime tellement écouter le récit de tes voyages! Ou bien dois-je t'accompagner en ville ou à la chasse?

— Nous n'irons pas en ville, pas ce matin en tout cas. Tu me retrouveras dans le grand salon.

— À bientôt donc!

C'est en courant qu'elle retourne chez elle.

— Ma bonne Terentilla, je crois bien que les beaux jours de liberté sont finis. À peine arrivé, mon père me réclame.

— C'est bien naturel, ma fille.

— Oui, j'aime bien bavarder avec lui, mais aujourd'hui il me semble qu'il n'était pas comme d'habitude avec moi.

— Pourquoi dis-tu cela?

— Peut-être parce que j'ai sommeil. Sérieusement Terentilla, on dirait qu'il voudrait contrôler ce que je fais. Remplir mes journées comme il l'entend, lui qui jamais ne s'en occupe.

— Ce soir tu ne sortiras pas.

— Cela je ne le veux pas.

— Qu'est-ce qui te prend Terentilla? Mon père ordonne, tu ordonnes, si tous vous ordonnez, je serai comme une malheureuse esclave.

— Ne te fâche pas, ma douce. Mais si tu veux amener ton père à accepter ta foi, il te faudra renoncer à beaucoup de choses, être patiente, soumise, enjouée, affectueuse avec lui. Tu sais l'être et l'as toujours été.

— Mais je pourrai aller...

— Chut... Oui chaque fois que ce sera prudent, mais pas ces jours-ci. Tu finirais par être surmenée et ton père saurait vite voir que sa Diana n'est pas fraîche et reposée comme d'habitude.

— Rien ne lui échappe, c'est très ennuyeux, ne trouves-tu pas Terentilla?

— Aussi il faut que nous soyons vigilantes.

— Crois-tu que quelqu'un m'ait reconnue et que déjà il sache que je suis allée aux...

— C'est possible, ton père est si puissant et redouté qu'il a une armée de misérables à sa solde. Ils se faufilent partout et pour quelques pièces de monnaie, ou pour s'assurer sa protection, ils vendraient père et mère.

À suivre