En otage (suite)

Laurent a découvert une armoire pleine de draps. Voilà qui pourrait être utile en cas d'évasion! Madou n'est pas opposée à cette idée et s'applique à faire des nœuds solides. Marcel est rentré bredouille de la pharmacie. Un voisin est venu emprunter la tondeuse à gazon et Marcel sort avec lui. Madou se sent épuisée et doit dormir impérativement.

— Seulement fatiguée. Si je veux tenir le coup, il est raisonnable que je prenne du repos de temps en temps.

Comme le mot coma avait vivement impressionné Laurent, il pensa: «Elle a un malaise et elle ne veut pas me le dire pour que je ne me tracasse pas.» Il craignait la perspective de sentir Madou couchée, il aurait une impression d'affreuse solitude si elle cessait de se tenir vaillamment à ses côtés. Madou proposa:

— Pendant que je me reposerai, tu pourrais faire un dessin avec les couleurs qu'on nous a apportées. Je te propose aussi de lire le livre d'Esther.

— En entier?

— Oui. Il n'est pas tellement long, et cela te passionnera dès le début. Tu réfléchiras à la raison pour laquelle Esther est devenue reine, à ce qu'elle a fait pour son peuple et à ce que Mardochée représentait pour elle. Je te poserai quelques questions et nous en parlerons ensemble. Si tu fais tout cela sans bruit, tu me rendras un grand service.

Laurent, malgré ses craintes au sujet de sa grande amie, joua le jeu et déclara presque gaiement:

— Oui, Madou. Je sens que ça va me plaire.

Cependant, deux choses accaparaient son esprit: la possibilité d'un coma et celle d'une fuite.

Il entendit le téléphone. Bernard répondait, mais il ne pouvait rien saisir de la conversation. Peu lui importait. Il s'appliquait à lire ce que son amie lui avait indiqué, et Madou, la tête posée sur l'oreiller, fermait les yeux.

Au-dehors, l'été chantait sa chanson. La nature luxuriante et belle semblait inviter les humains à une harmonieuse allégresse.

Il s'écoula une vingtaine de minutes avant que Marcel ne revienne. Par courtoisie, et afin de continuer à effacer le moindre soupçon dans l'esprit du voisin, il avait accepté d'aller «boire un verre» chez lui. Madou s'était profondément endormie. Laurent l'observa avec une pointe d'inquiétude. Était-ce vraiment du sommeil? Et si c'était le coma?

— Tu en as mis du temps! grogna Bernard lorsque Marcel fut de retour.

— Je n'ai pas pu m'en débarrasser facilement. J'aurais voulu t'y voir!

Laurent alarmé, arrêta sa lecture et s'accroupit contre la fenêtre entrouverte. Il lui sembla important de ne rien perdre de leur conversation. Marcel demanda:

— La vieille, elle va tenir le coup combien de temps?

— Qu'est-ce qu'on en sait! répliqua Jane.

Il était neuf heures quarante-cinq. Bernard dit:

— On a eu un coup de fil. Etienne va quitter Lucène en moto dans une heure. À Étampes, il va récupérer la camionnette. Il sera ici vers onze heures trente. À ce moment-là, on décidera.

— Il faudrait plutôt décider maintenant, répliqua Marcel méchamment. Moi, j'ai une idée. Quand la camionnette arrive, on bande les yeux à la vieille, on la met dedans, et on la largue à cinquante kilomètres d'ici, devant une cabine téléphonique. Après, elle se débrouillera.

— Et pourquoi pas les deux? protesta Jo. D'ailleurs, je me demande pourquoi on ne les libère pas? Ils ne nous servent à rien! À rien du tout! Qu'on les dépose tous les deux devant une cabine téléphonique. Pas l'un sans l'autre.

— Il a raison, approuva Jane la brune.

— Rien à faire! Le gamin, j'me le garde! hurla Marcel. Vengeance personnelle! Nadège n'a pas été régulière, elle n'a pas refilé la marchandise, et ça peut nous coûter cher! J'vais la dresser, celle-là!

Laurent perdit pied; Lucène ... Etienne ... Nadège ... Mais alors, ils se connaissaient donc! Mais alors, la prise d'otages, ce n'était pas le hasard! Mais alors, on lui voulait du mal! Une grande frayeur s'empara de lui. Il entendit encore Marcel déclarer:

— Le môme va payer pour sa sœur, que ça vous plaise ou non!

Ensuite, il y eut des éclats de voix, le brouhaha d'une dispute qui se prolongeait et qu'il ne chercha plus à comprendre, cela devenait trop compliqué pour lui.

Il regarda Madou. Ses yeux étaient fermés, ses paupières ne bougeaient plus, son doux visage transparent paraissait sans vie. Il ne vérifia pas si elle respirait normalement. Il pensa seulement: Le coma! Les draps noués!

Se sauver! Se sauver à tout prix! Les idées s'entrechoquaient dans sa tête à une vitesse vertigineuse. Malgré son jeune âge, il était pleinement conscient du fait qu'il ne devait commettre aucune erreur. Ce qu'il entreprenait, il devait le faire sans hésiter. Il n'avait plus rien à perdre, puisque de toute façon, le beau Marcel voulait le faire souffrir. II prit une feuille de papier et griffonna dessus: «Madou, ils veulent te libérer et pas moi, alors, je me sauve.»

Il n'était pas encore dix heures. Bernard avait dit qu'Étienne serait là vers onze heures trente. Il calcula que cela lui laissait assez de temps pour fuir. Au moins une heure et demie devant lui.

«Pourvu que personne ne monte à la chambre... », pensa-t-il. Puis, il songea à ses parents. «Papa dit toujours dans les moments difficiles: «Le Seigneur est au courant. Oh! Seigneur, tu es au courant que je vais me sauver. Protège-moi, et garde Madou. Si je t'oublie pendant que je m'évade, s'il te plaît, ne m'oublie pas.» Puis, les événements se déroulèrent selon l'ordre qu'il avait imaginé. Après avoir solidement attaché les draps à la barre d'appui et s'être retrouvé sur l'herbe émeraude, il courut... courut... courut... jusqu'à ce que sa respiration lui arrache la poitrine. Il lui sembla que les champs n'en finissaient plus. Il aborda un ruisseau frais, limpide, au délicat murmure chantant. Laurent s'y désaltéra, puis le traversa. L'eau l'ayant revigoré, il continua sa marche esseulée. Quand donc allait-il trouver un village? Il ne connaissait pas cette forêt, et peut-être tournait-il en rond? Après presque une heure de sa folle randonnée, au moins, il était sûr d'une chose: Il se trouvait maintenant loin de ses ravisseurs.

Laurent découvrit une jolie clairière, avec des bourdonnements d'insectes, des jeux de lumière sur la mousse et le sol mordoré.

Il entendit des froissements d'ailes et des chants d'oiseaux dans les buissons. Il était si fatigué et rompu par les émotions... «Je vais m'allonger seulement dix minutes, pensa-t-il, après, je trouverai un village et ...». Oh! il était trop épuisé pour réfléchir raisonnablement. Depuis son lever, son cerveau et son cœur avaient presque trop travaillé.

Il s'allongea sur le ventre, mit sa tête dans ses bras, puis, brusquement se ressaisit: «Si je reste là, j'ai peur de m'endormir. Fatigué ou pas, il faut encore marcher. Lève-toi Laurent, repars, une route ne doit pas être bien loin.

Je demanderai où se trouve le commissariat de police. Papa m'a souvent répété que lorsqu'on n'avait rien fait de mal on pouvait aller à la police. Les agents, c'est leur truc de nous protéger. Ils me donneront la permission de téléphoner à mes parents.» Il reprit sa marche titubante et se rappela encore une fois la phrase qui lui remettait du baume au cœur: «Le Seigneur est au courant.»

Madou se réveilla, elle avait simplement été terrassée par une immense fatigue. Elle n'avait pas pu résister à l'assaut du sommeil. Elle avait perdu la notion du temps et se demanda si elle avait dormi longtemps ou non. Elle appela doucement:

— Laurent?

Pas de réponse.

Elle récidiva:

— Laurent, que fais-tu?

Toujours le silence. Elle se leva lentement et inspecta la chambre du regard. Puis, elle se dirigea vers la salle de bains et les toilettes. Elle revint dans la chambre et découvrit le papier griffonné. «Madou, ils veulent te libérer et pas moi, alors, je me sauve.» «Pauvre petit», soupira-t-elle, en se dirigeant vers la chambre contiguë.

Les draps étaient suspendus à la fenêtre. Laurent avait réussi. Madou ramena à elle la corde improvisée, la détacha et la remit derrière la belle pile de linge. Dans l'immédiat, il valait mieux la dissimuler. Plus tard, elle verrait.

Elle éprouva un soulagement certain, comme si la fuite du garçon le mettait à l'abri du danger. Il était dix heures quinze. Madou calcula qu'elle n'avait dû s'assoupir que vingt-cinq à trente minutes. Maintenant, il ne lui restait plus qu'à attendre, en espérant que ses gardiens monteraient le plus tard possible. Elle se demanda: «Comment a-t-il pu savoir qu'on allait me libérer et qu'on allait le garder? Il a dû entendre une conversation pendant que je dormais... » Elle vérifia si Laurent avait pris de l'argent, mais rien n'avait été touché.

À suivre