Le garde qu'ils n'osèrent pas tuer

Il s'appelait Upton Wescott et, jeune homme, il avait quitté son pays pour aller en Afrique, dans l'actuelle République Démocratique du Congo. Il partait pour annoncer l'évangile à des gens qui, à l'époque, étaient encore sauvages et cannibales. Plus tard, sa femme mourut et lui-même devint aveugle. Mais Upton resta encore sur place pour diriger et organiser ce qui était devenu alors une grande et florissante mission. Il mourut parmi les gens qu'il aimait.

Ce fut lors d'une de ses rares visites en Angleterre qu'il raconta cette histoire. C'était alors un vieillard aux cheveux blancs, qui marchait en se tenant droit et avec tant d'assurance, qu'on avait peine à croire qu'il était aveugle. Voici son récit:

Ses amis et lui avaient dressé leur tente à proximité d'une agglomération de huttes, non loin d'un lac. C'était une belle étendue d'eau, mais infestée d'hippopotames et de crocodiles. Derrière leur tente s'étendait la mystérieuse lisière verte de la jungle. Les gens étaient bien disposés à leur égard et le démontraient en leur apportant des bananes et d'autres fruits. Quand ils avaient terminé leurs travaux dans les champs et leur pêche sur le lac, les villageois venaient, le soir, s'accroupir autour du feu et écouter ce que les jeunes gens avaient à leur dire. Peu à peu, ils se mirent à réaliser que ce message d'amour et de vie éternelle était aussi pour eux, et l'un après l'autre, ils abandonnèrent leurs pratiques païennes et apprirent à vivre en chrétiens, honnêtement, en paix avec leurs voisins, prenant soin les uns des autres.

Ces premiers convertis africains étaient très courageux, car leur vie avait été hantée par les mauvais esprits, et il leur était difficile de croire que Dieu, ce Père aimant qu'ils venaient de découvrir, pouvait réellement les garder en sécurité. Il y avait un sorcier qui leur avait toujours inspiré de la crainte, et dont les sortilèges et la magie étaient censés faire de l'effet sur toute la région. Le bruit courait qu'il était entré dans une grande colère en entendant que tout son peuple était en train de se tourner vers le Dieu vivant et vrai, et tout le monde attendait avec anxiété de voir quelle serait sa vengeance.

C'était l'heure du souper et le kraal (nom qu'on donne à un village de huttes protégé par une palissade) était animé par la préparation du repas. Upton et ses amis étaient aussi en train de préparer le repas quand ils virent un garçon terrorisé qui leur faisait signe depuis la lisière de la jungle. Ils allèrent lui parler et le trouvèrent tout tremblant, les yeux exorbités de frayeur.

— Je suis venu vous avertir, murmura-t-il. Vous devez fuir cette nuit. Mon père vous aidera. Il tient une pirogue à votre disposition et vous devez descendre par la crique avant le lever de la lune. Il dit que c'est votre seule chance.

— Mais pourquoi devrions-nous prendre la fuite? Qui veut nous faire du mal?

— Le grand sorcier guérisseur! Cette nuit, il enverra ses tueurs. A l'heure la plus sombre, ils attaqueront avec des lances et vous ne pourrez pas leur échapper.

Les trois amis se consultèrent rapidement. Ils avaient un fusil pour tirer sur les bêtes sauvages, mais ils n'avaient pas l'intention de l'utiliser contre des hommes, et du reste, de quelle utilité leur serait-il s'ils étaient environnés de guerriers armés de lances? En outre, ils avaient enseigné à ces jeunes gens et à ces jeunes femmes à compter sur la protection de Dieu. Quant à eux chrétiens, ils ne voulaient pas fuir. De toute façon, ils ne savaient pas où aller. Upton répondit au garçon apeuré qui attendait sa réponse:

— Remercie ton père, dit-il, mais dis-lui que notre Dieu ne nous a pas dit de partir. Nous ferons appel à sa protection et nous attendrons de voir ce qui va se passer.

Le garçon disparut rapidement. Les trois amis prirent leur souper comme d'habitude, et la nuit tropicale ne tarda pas à tomber. Jamais ils n'avaient été aussi conscients du bruissement des feuilles, des serpents et des oiseaux, ni du doux babil des singes dans le lointain. Ils s'assirent un moment à l'entrée de leur tente pour prier et attendre.

À suivre