En otage (suite)

Les aveux de Nadège se poursuivent au salon, où le commissaire de police ne tardera pas à les rejoindre. «Le coma» de Madou a provoqué un mouvement de panique. Marcel, le chef, reçoit de Madou une ordonnance périmée pour obtenir le médicament. Madou aspire à un peu de repos, tandis que Laurent «explore» les lieux. Que va-t-il découvrir?

Madou avait observé qu'ils étaient les hôtes forcés d'une assez belle demeure. Ils occupaient une grande chambre communiquant avec une petite pièce dont la fenêtre donnait sur l'arrière de la maison. Ils disposaient en outre, d'une grande salle de bains, de W C. et d'un cabinet de débarras. Étant enfermés à clef, ils ignoraient si leur étage comprenait d'autres chambres.

La pièce contiguë intriguait le garçon. Elle était cependant très ordinaire. Il y avait un lit d'une personne, un bureau, une chaise et une petite armoire. Il ouvrit l'armoire qui était garnie de linge de maison et de vêtements d'été. La pile de draps lui suggéra une idée folle: celle d'en nouer quelques-uns et de se sauver par la fenêtre arrière. Il se pencha par ladite fenêtre et observa qu'il y avait peu d'ouvertures de ce côté-là de la maison; donc, s'il décidait de s'enfuir, on ne le verrait pas. L'arrière de la maison donnait sur des champs, des taillis et un bois. En courant vite, il se dissimulerait dans la verdure, et plus loin, il trouverait sûrement des habitations. À l'école, en athlétisme, il était agile comme un écureuil et grimpait à la corde avec une souplesse inouïe. Ici, en y regardant bien, le sol herbeux ne paraissait pas si loin. Il fallait surtout faire des nœuds très solides.

— Que fais-tu Laurent? Je ne t'entends plus, demanda Madou.

— Je viens d'avoir une idée, répondit-il, très excité.

— Ah! une bonne, j'espère?

— Eh bien, il y a des draps dans une armoire, ici.

— Ce n'est pas extraordinaire. Les draps, ça se range dans une armoire.

Avec précipitation, les mots se bousculant à un rythme accéléré, Laurent expliqua:

— Madou, à l'école, je suis l'un des meilleurs en sport. Je grimpe à la corde lisse ou à nœuds comme un chimpanzé. On pourrait nouer des draps et je pourrais me sauver par la fenêtre de derrière. Je courrai à travers les champs et puis j'irai à la police.

Il se préparait à entendre une exclamation d'horreur de Madou, une interdiction formelle de sa part. Au lieu de cela, elle le fixa avec bonté, et lui, la bouche entrouverte, les yeux agrandis d'une interrogation anxieuse, attendait la réplique de son amie. Il se demanda ce qu'elle pensait.

Il savait que les grand-mamans ne s'associent pas nécessairement aux imaginations des enfants.

— Ce serait une chose à envisager lorsque tout sera perdu, assura-t-elle lentement, quand il ne nous restera plus que cela pour sauver ta vie.

Étonné, il s'exclama:

— Alors, tu n'es pas contre?

— Je ne suis pas vraiment «pour». Seulement, il se pourrait qu'à un moment donné, ce soit la bonne solution, on ne sait jamais. D'abord, laisse-moi aller voir cette fenêtre.

Sans bruit, Madou suivit Laurent.

— Effectivement, ce n'est pas trop haut.

Et ils sont toujours occupés par ce qui se passe devant la maison.

— Tu as raison, dit Madou. On a l'impression qu'ils guettent l'arrivée de quelqu'un.

— Oh! de la police, tiens! affirma Laurent d'un air entendu.

— Écoute-moi bien, Laurent, je te parle comme une mamie un peu folle, mais je vais t'aider à nouer des draps ensemble. Je vais les choisir et m'assurer que les nœuds sont solides. J'ai vu que la barre d'appui de la fenêtre était résistante.

— Tu sais que tu es plutôt une mamie super...

— Laisse-moi finir de t'expliquer. On va donc préparer les draps, puis, on les dissimulera derrière une pile de linge.

— Et si quelqu'un monte à l'improviste pendant qu'on noue les draps?

— On les cache en vitesse sous notre grand lit. Personne n'y verra rien. Mais Laurent, promets-moi que tu ne vas pas t'affoler! Nous ne ferons cela que si nous y sommes réduits. Le Seigneur ne permettra pas que nous soyons imprudents.

— Non Madou, je te le promets.

Marcel n'était pas revenu. Madou se demanda pourquoi il était si long, et quelle sorte d'histoire il était contraint de raconter à un pharmacien inconnu, afin de lui extirper de l'insuline, à l'aide d'une ordonnance périmée.

Comme deux complices, l'un faisant le guet, l'autre s'acharnant à serrer des nœuds, ils s'adonnèrent à leur mystérieuse besogne.

Après ce travail, Madou sentit de nouveau «la tête lui tourner», et une grande fatigue s'emparer d'elle. Si elle était sûre que Laurent soit raisonnable, elle s'allongerait sur le lit. Dans un suprême effort de volonté elle décida d'attendre et se contenta du fauteuil. Elle ferma les yeux. Elle se demanda: «Que se passe-t-il, là-bas, à Lucène?» Laurent roulait dans sa tête des pensées d'évasion, lorsque tout à coup, il s'écria:

— Non, Madou! Je ne peux pas faire ça! Si je me sauve et qu'ils te retrouvent toute seule, ils vont te tuer! C'est sûr, ils vont te tuer!

— Et pourquoi sont-ils à la recherche d'un médicament qui m'aide à vivre?

— Oh! tout ça c'est compliqué, répliqua-t-il, songeur. Oui, d'un côté, ils cherchent ton médicament. D'un autre côté, si je me sauve, ça va les mettre dans une colère folle. Des gens furieux, avec un revolver, qu'est-ce qu'ils font?

— Restons calmes, mon chéri. Pour l'instant, attendons. Il va sans doute se passer des événements dans les heures qui suivent.

— Ça se pourrait. Il y a les prières! Et puis la police, ça fonctionne.

— Alors, bientôt, cette chambre sera vide de nous deux. Ils entendirent la grosse moto de Marcel. Furibond, il s'adressa à ses congénères.

— Vous vous rendez compte! J'ai failli m'faire prendre comme un débutant!

Madou et Laurent tendirent l'oreille.

— Comment ça? demanda Jane.

J'avais raconté à la pharmacienne que Madame Tessier était en vacances et arrivait à la fin de son insuline. Quand je lui ai tendu l'ordonnance, elle a fait des façons. Une bourrique cette bonne femme-là! Alors, elle a dit: «Je vais téléphoner au docteur ...» J'l'ai pas laissée continuer. J'lui ai arraché l'ordonnance des mains.

— Toi, Bernard, le cerveau du groupe, tu n'as rien dit quand tu as vu l'ordonnance, hasarda Jo.

Il grommela:

— Hé, les gars, j'suis pas Napoléon Bonaparte pour penser à tout!

— Est-ce qu'elle a eu le temps de retenir le nom du docteur?

— J'crois pas, à la vitesse où j'lui ai enlevé ça des mains!

— Espérons, ajouta Jo.

— Tu sais, la vieille là-haut, faudrait p't-être ...

Marcel n'acheva pas sa phrase. Un voisin, un homme d'âge mûr arriva au beau milieu de la discussion. Ils ne l'avaient pas entendu.

— Salut Marcel! J'ai aperçu votre moto, je me suis dit que la famille venait pour quelques jours ici.

— Non... non... répliqua Marcel précipitamment. Je suis simplement de passage avec des amis.

Madou se demanda si le chef avait eu le temps de dissimuler son revolver. L'homme insista:

— Votre sœur, Madame Raymonde n'est pas là?

— Non, elle est en vacances en Espagne. Elle nous a prêté sa maison.

Marcel, lorsqu'il s'en donnait la peine, savait être aimable et courtois. C'était ce contrôle de lui-même et cette courtoisie qui avaient subjugué Nadège Baudrimont.

— Est-ce qu'il y a un service que je peux vous rendre, demanda-t-il poliment.

— D'habitude, votre sœur me prête sa tondeuse à gazon en fin de semaine. Mais comme l'herbe a poussé dru ces derniers jours, si vous me l'aviez prêtée aujourd'hui, j'en aurais été bien aise.

— Pas de problème, Monsieur. Savez-vous où ma sœur la range?

— Oui, sous le hangar.

— Alors, je vous y accompagne.

Lorsqu'ils furent partis, Janette la brune, s'exclama soulagée:

— Ouf! on l'a échappé belle!

Puis, ils pénétrèrent à l'intérieur de la maison et leurs conversations devinrent indistinctes. Laurent dit à Madou:

— Si la pharmacienne avait tout de même téléphoné au docteur?

— Oui. Ils apprendraient où nous sommes.

Madou dit à Laurent:

— J'aimerais m'étendre sur le lit.

— Tu n'es pas trop mal, Madou?

À suivre