«Voici, je me tiens à la porte et je frappe» (suite)
Le petit Willy Kramer a assisté à une prédication qui l'a particulièrement marqué: il y a entendu qu'un homme frappait à la porte de chacun et qu'il apportait quelque chose de précieux. Ses parents ont bien de la peine à comprendre cette histoire et Monsieur Kramer a conseillé à Willy de demander des explications à sa monitrice d'école du dimanche.
Après avoir pris congé de la monitrice d'école du dimanche, Willy courut d'un trait à la maison, où il arriva tout essoufflé en criant:
— C'est vrai, papa; c'est vrai! La demoiselle a dit que tout est vrai, et elle a écrit pour toi le passage.
— Qu'est-ce qui est vrai? demanda Monsieur Kramer en grommelant, car la brusque arrivée de Willy l'avait réveillé en sursaut de sa sieste. Sa femme, qui lisait un journal, comprit vite ce que son fils voulait dire, et en mettant sa bouilloire sur le feu, elle dit:
— Voilà ce que c'est que de l'avoir encouragé à poser des questions à sa monitrice!
— Mais c'est vrai, maman. Il a déjà frappé à sa porte! Elle me l'a dit elle-même.
Willy s'arrêta un instant, pendant que le père jetait à sa femme un regard d'étonnement, puis il continua:
— Je lui ai demandé de m'écrire le verset. Le voilà, papa. Elle nous a aussi dit qu'il fallait faire bien attention quand il frappait, que d'abord elle n'avait pas ouvert, et qu'il est toujours revenu frapper, et qu'enfin elle lui a ouvert, et qu'alors elle est devenue très heureuse. Et vois-tu, papa, quand elle nous a dit cela, elle pleurait de joie.
— Qui est-ce donc qui veut venir? interrompit la mère avec impatience. Ce n'est sûrement qu'une parabole, comme on dit.
— Non, non, maman; c'est la vérité.
Monsieur Kramer regarda encore sa femme, et celle-ci dit:
— Dis-nous donc enfin qui est celui qui vient!
— C'est le Seigneur Jésus Christ, répliqua l'enfant avec un grand sérieux et d'un ton plein de respect.
Madame Kramer ne dit rien; mais son mari, arrêtant les yeux un instant sur Willy, lui dit:
— Et celui-là, la demoiselle l'a vu, dis-tu?
Le petit hésita un moment: il ne se rappelait pas si la monitrice avait dit cela.
— Je ne sais pas au juste, répondit-il tranquillement. Mais bientôt il ajouta comme en triomphe:
— Bien sûr papa, qu'elle doit l'avoir vu. Ouvrir la porte à quelqu'un sans le voir, c'est impossible, n'est-ce pas?
— En cela tu as bien raison, répondit le père. Et il tomba dans de profondes réflexions. Involontairement il se rappelait tant de choses qu'il avait entendues de son père, un homme pieux, tranquille et modeste, qui, à l'occasion, savait parler à sa famille des vérités qu'il avait apprises dans la parole de Dieu. Willy aussi avait gardé le silence, mais bientôt il reprit:
— Papa, s'il venait pendant la nuit, pourrais-tu l'entendre si tu dormais?
— Non, mon petit. À moins que l'on ne frappe très fort, je ne peux pas entendre quand je dors.
Willy regarda son père avec anxiété, mais bientôt ses traits s'éclaircirent et, tout heureux, il dit:
— Papa, nous avons un gros marteau à notre porte. Il nous réveillera certainement, même en ne frappant pas très fort. Car il ne peut pas frapper fort, vu qu'il a des plaies aux mains.
— Des plaies aux mains? demanda Monsieur Kramer tout étonné.
— Oui, papa; des hommes méchants lui ont planté de gros clous aux mains et aux pieds. N'est-ce pas terrible, papa?
— À présent, je te comprends, répondit Monsieur Kramer. Oui, on l'a pendu à une croix entre deux malfaiteurs. Mon père m'a souvent raconté cela, mais il y a longtemps que je n'en ai plus entendu parler. Mon père connaissait la Bible du début à la fin.
— Alors il savait bien qu'il allait partout frapper aux portes. A-t-il aussi frappé à la porte du grand-père?
— Non mon petit, je ne le crois pas; en tout cas il ne m'en a jamais parlé.
— interrompit Madame Kramer d'un ton moqueur. Venez, mettez-vous à table, le café est prêt.
Monsieur Kramer fut bien soulagé d'échapper ainsi aux questions embarrassantes de son petit garçon. Après le café, un voisin entra et on ne reparla plus de ces choses ce soir-là.
Quelques heures plus tard, un silence profond régnait dans tout le village, et dans la maison des Kramer, chacun dormait. Tout à coup, Willy se réveilla et s'assit sur son lit, les yeux grands ouverts, tandis que son cœur battait fort. Avait-il rêvé ou était-ce une réalité? Il lui semblait avoir entendu frapper doucement mais distinctement à la porte de la maison. Il écouta un instant sans oser respirer, puis soudain, il sortit de son lit et courut dans la chambre voisine où dormaient ses parents.
— Papa, dit-il doucement, papa, lève-toi vite; il a frappé.
Et comme il ne recevait pas de réponse, tout tremblant d'émotion, il répéta plus fort: Papa, réveille-toi! J'ai entendu frapper tout doucement, comme Mademoiselle l'a dit. Descends vite lui ouvrir.
— Quoi? Qu'y a-t-il? Demanda Monsieur Kramer encore à moitié endormi et en se frottant les yeux. Quelle heure est-il? Il n'est pas encore cinq heures; il fait tout sombre. Sa femme se réveilla aussi, s'assit tout effrayée dans son lit et demanda:
— Qu'est-ce qui se passe? Qui a parlé?
— J'ai entendu frapper à notre porte, papa, dit de nouveau le petit. J'en suis sûr, car cela m'a réveillé. Je t'en prie, papa, viens vite lui ouvrir la porte.
— A-t-on jamais entendu parler d'une chose pareille! s'écria Madame Kramer toute fâchée. Comment! Il parle encore de la prédication! Dépêche-toi de retourner au lit si tu ne veux pas être puni. En tout cas, tu n'iras plus écouter ce prédicateur. Effrayer ainsi un enfant, c'est trop fort.
Tout triste, le pauvre Willy retourna se mettre au lit et ses parents se recouchèrent pour achever leur sommeil. Mais tout à coup, le père se réveilla en sursaut en criant:
— Qu'est-ce que l'on entend? Sa femme et lui écoutèrent.
Ce n'est que la pluie qui frappe contre les vitres, dit la femme impatientée. Il pleut fort, et c'est tout ce que l'on entend. Vraiment, je crois que tu es bientôt aussi agité que Willy. De nouveau le silence se fit dans la chambre, mais Willy avait aussi entendu le bruit de la pluie et était devenu toujours plus inquiet. «Hélas!» se disait-il, «il est peut-être dehors attendant qu'on lui ouvre. Que pensera-t-il de nous si nous le laissons à la pluie alors que nous sommes dans nos bons lits?» Cette pensée devint si insupportable au cœur du pauvre enfant qu'il sauta de nouveau en bas du lit et retourna dans la chambre de ses parents.
— Papa, dit-il en sanglotant. Il pleut si fort; ne veux-tu pas te lever pour le faire entrer? Il sera tout mouillé et aura froid; peut-être ne sait-il pas où aller?
— Comment! te voilà encore, cria la mère. Tu me le paieras demain. Retourne vite au lit.
— Oh! papa, fais-le entrer, dit Willy en pleurant. Il pleut tellement; peut-être qu'il partira et ne reviendra plus chez nous.
Un mouvement se fit dans le lit.
— Tu ne veux quand même pas te lever pour faire la volonté de l'enfant, dit Madame Kramer à son mari.
— Oui, ma femme; mais ce n'est que pour tranquilliser le pauvre enfant. Reste seulement au lit.
— Il ne manquerait plus que je me lève aussi, répliqua-t-elle en colère. Voilà une belle éducation!
Monsieur Kramer mit ses pantoufles, prit Willy dans ses bras, descendit l'escalier, ouvrit la porte toute grande, et regarda comme si lui-même attendait quelqu'un.
— Tu vois bien qu'il n'y a personne, dit-il à l'enfant. Willy soupira de soulagement et s'avança tant qu'il put sur les bras de son père, cherchant à percer la nuit de son regard, mais il ne vit rien. La pluie tombait encore doucement, mais les nuages se séparaient çà et là, laissant paraître quelques étoiles brillantes.
— Papa, dit doucement Willy, il est peut-être retourné au ciel. Les étoiles sont si claires; on dirait qu'il y a juste la place pour passer entre elles. Penses-tu que Dieu l'a rappelé près de lui?
Monsieur Kramer ne savait que répondre.
— À cette heure de la nuit, personne n'est dehors, dit-il enfin. Regarde comme tout est tranquille.
— Alors ce n'est pas lui qui aura frappé, n'est-ce pas? Il aurait bien attendu qu'on soit venu lui ouvrir. Il savait bien que nous étions tous au lit. Peut-être qu'il reviendra demain, quand la pluie aura cessé. Sais-tu où il est maintenant?
— Je pense qu'il est là où il a toujours été, répondit Monsieur Kramer en hésitant. Mon père m'a enseigné qu'il est au ciel. Je ne peux t'en dire plus. On a peut-être une nouvelle Bible depuis que j'étais jeune garçon.
— Oui; autrement tu aurais su qu'il va partout. N'aimerais-tu pas le voir venir chez nous, papa?
Monsieur Kramer aurait-il aimé le voir face à face, celui dont Willy parlait si simplement et avec confiance? II ne pouvait se résoudre à répondre «oui», mais il hésita à l'avouer à Willy. Celui-ci en aurait été bien étonné. Les enfants ne comprennent pas tout le sérieux de telles questions et comme elles peuvent parler à la conscience. Ils ne savent pas combien la lutte incessante et pénible pour l'existence ici-bas absorbe les pensées, et combien il est difficile pour un homme de rester dans le droit chemin. Ne recevant pas de réponse, Willy continue:
— Papa, tu ne sais pas comme il est bon. La monitrice nous disait qu'il ne désire pas savoir si quelqu'un a fait peu ou beaucoup de mal, qu'il est toujours prêt à pardonner, et qu'il veut que chacun soit heureux et puisse entrer au ciel.
— Eh bien, je pense que toi tu y entreras certainement, mon petit, car il me semble que la monitrice veut faire de toi un prédicateur.
— Mais papa, je n'aimerais pas aller au ciel sans toi, ni sans maman. Il te faut aussi y venir. Je ne peux pas y aller seul; j'aimerais que tu me tiennes par la main. La monitrice dit qu'il reçoit tous ceux qui viennent à lui.
— Bien, bien, dit Monsieur Kramer pour le calmer, peut-être irons-nous tous ensemble. Mais maintenant il nous faut vite retourner au lit, car il fait froid.
Willy regarda encore une fois vers le ciel étoilé et dit doucement:
— Bonne nuit, mon cher Seigneur Jésus! Et le père ferma la porte, emmena son petit garçon en haut et le posa dans son lit. Willy mit ses bras autour du cou de son père et, lui donnant un baiser, il lui dit:
— Je t'aime tant, cher papa! Je suis bien triste qu'il n'y ait eu personne, mais quand il viendra, je lui raconterai que tu es venu ouvrir la porte pour qu'il ne reste pas à la pluie.
Le cœur de Monsieur Kramer était ému.
Je ne suis pas un si bon papa, dit-il. Mais quand un homme doit tellement travailler pour subvenir honnêtement aux besoins des siens, il est peut-être excusable.
Après avoir posé un tendre baiser sur le front de son petit garçon, il retourna dans sa chambre.
— Eh bien, y avait-il quelqu'un? demanda Madame Kramer d'un ton moqueur.
— Non, il n'y avait personne, pour autant que j'ai pu voir. Mais pour le moment dormons, car je suis fatigué.
À suivre