En otage (suite)

Bernard, l'un des bandits, part à la recherche d'insuline pour Madou. À Lucène, la police poursuit ses recherches. Nadège se réveille enfin. Il va falloir affronter ses parents et leur avouer la vérité.
La matinée touchait à sa fin. Claudine était venue rendre visite à celle qu'elle considérait toujours comme son amie.

Nadège, gênée, descendit vers le trio. Dans la pièce contiguë, Monsieur Denis assurait sa surveillance, recevait et donnait des coups de téléphone. Nadège pétrifiée, l'inquiétude au fond des yeux, les observa tous. Elle avançait lentement, prudemment, muette, privée de tout élan. Elle ne pleurait pas, mais elle était habitée de honte. Maman avait envie de lui dire une parole quelconque, même ordinaire, mais elle était encore bouleversée par la sombre et récente découverte que Nadège se droguait. Ils étaient là, quatre cœurs malheureux et étreints.

Ce fut Claudine qui dégela la situation en se levant et en passant un bras amical sur l'épaule de Nadège. Elle lui sourit et la pression de sa main lui exprima combien elle l'aimait. Nadège dit enfin:

— Papa, Maman, c'est terrible!

— Oui, beaucoup de choses terribles ont lieu dans cette maison, confirma Nathalie.

— Oh! Laurent! Je lui ai fait tellement de mal!

— Tant que ça! s'étonna Maman qui avait vécu en dehors des tracasseries que Nadège avait infligées à son frère.

— Je croyais que vous alliez constamment me le citer en exemple parce qu'il s'était converti, et ça me mettait en colère. Alors, je lui en ai fait voir!

— Vraiment Nadège, avons-nous agi de cette manière-là? As-tu découvert la moindre différence dans notre attitude entre ton frère et toi? s'enquit Papa.

Elle gémit un «non» désespéré.

Claudine intervint:

Il donnait une explication à cela. Il nous a dit: «À travers moi, Nadège voit le Seigneur Jésus, et ça l'agace. Mais Madou m'a conseillé de supporter.» Laurent est en souci pour toi, Nadège.

— Ah! je croyais que c'était de moi qu'il se souciait! s'exclama Maman.

— En réalité, c'était de vous deux. Comme il ne voulait pas accabler Monsieur Baudrimont, il est venu prier chez nous.

— Est-ce qu'il y a longtemps qu'il t'a parlé? s'alarma Nadège.

— Avant-hier, quand il revenait de son entraînement de foot.

Les deux amies se fixèrent, et Nadège sut immédiatement ce qui avait accablé son frère.

Monsieur Denis frappa et entra:

— Nous avons un autre renseignement sur la camionnette blanche aux rideaux marron, lança-t-il à la ronde.

Elle est immatriculée dans le Loiret. Quelqu'un a retenu seulement la fin du numéro.

Quelqu'un? s'étonna Papa.

— Oui, l'un des deux retraités qui se trouvaient à la terrasse du bar.

— Pourquoi ne l'a-t-il pas dit plus tôt?

— Premièrement, nous avons eu de la peine à le retrouver. Deuxièmement, c'est un homme âgé, il ne pensait pas que c'était important. Mais vous, ici, ça ne vous dit rien? insista-t-il.

— Non, répondit Claude.

— Et vous, Mademoiselle? fit-il, en regardant Nadège.

— Non.

— Nous ne connaissons personne dans le Loiret, ajouta Maman, et peut-être qu'il s'agit d'un faux numéro.

Monsieur Denis se retira sans remarquer que Claudine avait pâli. Étant une amie en visite, il ne l'avait pas interrogée.

Nadège ne s'était pas assise. Appuyée debout contre la crédence, elle ne se décidait pas à s'asseoir en leur compagnie. Elle se sentait «en dehors» d'eux.

Ils devinrent tous silencieux. Chacun avec «son silence à soi». Maman, c'était le silence d'un abattement raisonnable. Papa, le silence de la foi et de la compassion. Nadège, le silence de l'angoisse. Claudine, le silence «d'une tempête sous un crâne». Cette dernière ne s'adonna pas à une longue réflexion. Elle sut qu'elle devait parler.

— Il se pourrait que je sois au courant de quelque chose, articula-t-elle avec précaution. Il me semble que je ne dois pas rester la bouche fermée.

— Oui Claudine, acquiesça Maman, il vaut mieux que tu dises ce que tu sais.

— Qu'est-ce que tu peux donc savoir? marmonna Nadège incrédule.

— Peut-être qu'il n'existe qu'une chance sur cent pour qu'il s'agisse de la même voiture, mais je connais une camionnette blanche aux rideaux marron, et immatriculée dans le Loiret.

— Non! s'exclama Nadège.

— Oh! c'est vrai! Vous avez une maisonnette là-bas, à Chevillenay, enchaîna Papa.

— Exactement. J'ai parfois vu la camionnette en question chez une personne de ce village, à cinq cents mètres de notre habitation. Elle s'appelle Raymonde Laire. Mais ces derniers temps, c'est son frère que j'ai rencontré par ici, dans notre contrée, au volant de la camionnette.

Nadège suivit les explications de Claudine, anéantie par ses propres soucis, mais intéressée parce qu'elle souhaitait tellement qu'on retrouve son frère, ce frère qu'elle avait tourmenté. Les détails que Claudine donnait ne semblaient pas la concerner.

— Nadège, pardonne-moi, annonça Claudine gravement, mes paroles vont te faire mal. Mais le frère de Raymonde s'appelle Marcel Lemercier!

Nadège, livide, émit une clameur déchirante, presque inhumaine. Elle tourna le dos à sa famille, posa violemment son coude gauche sur le meuble contre lequel elle était appuyée précédemment. Elle enfouit sa tête dans la pliure du coude, et de sa main droite, elle donna de grands coups de poing sur le meuble. D'une voix rauque et désespérée elle hurla: «Il s'est vengé! Il s'est vengé!» Puis, de profonds sanglots commencèrent à secouer son corps. Dans le silence du salon, seul le tic-tac d'une horloge accompagna les pleurs de l'adolescente. Claude, Nathalie, Claudine, personne ne chercha pendant un long moment, à essayer d'enrayer cette débâcle de larmes. Puis, papa proposa:

— Viens près de nous, Nadège, ta place est avec nous.

— J'ai trop honte pour vous regarder.

Maman l'encouragea:

— Ma chérie, même si tu es allée très loin dans ce que tu as fait, maintenant, il faut réparer les dégâts. Le mieux serait de tout partager ensemble pour que nous trouvions la réponse.

Nadège alors se retourna vivement et hoqueta:

— Quelle réponse! Vous ne comprenez donc pas! Madou, Laurent, c'est moi qui les ai livrés à ces... ces truands!

— Quoi qu'il en soit, tu es des nôtres, et nous allons porter la peine avec toi, affirma papa.

Maman se leva avec tendresse et décision. Elle mit une main sur l'épaule de sa fille et la dirigea fermement vers un fauteuil. Cette initiative irrita Nadège. Elle cria:

— D'abord, toi, tu n'étais jamais là quand on avait besoin de toi! Entre ton ordinateur et ton boulot, il n'y avait personne!

— Je sais Nadège, c'est un problème que j'ai mis en règle avec le Seigneur. Maintenant, je te le promets, les choses vont changer.

— Oh! tu dis ça parce qu'on est tous dans le pétrin1! Papa intervint:

1 Pétrin: malheur.

— S'il-te-plaît, Nadège, crois-tu que ce soit le moment d'accabler ta maman? Ne crois-tu pas que notre chagrin est de taille? N'y ajoute rien.

Elle s'énerva de nouveau:

— Oh! je ne sais plus ce que je dis!

— Et tu as peur, ma chérie. Je vois de la peur dans tes yeux, ajouta Nathalie.

— Oui Nadège, maman a raison. Ce terrible danger que tu redoutes, chez toi, cela se transforme en cris, ou bien, tu accables les autres de tes reproches. Ce n'est pas la meilleure solution.

Nadège leur inspirait une grande compassion à tous les trois. Claudine assura:

— L'important, c'est Madou et Laurent. Laissons les autres choses de côté, même nos peurs.

— Tout à fait. Voilà ce que je propose, enchaîna Nathalie. En premier, toi Claudine, tu vas continuer l'explication que nous avons interrompue, au sujet de la camionnette. Ensuite, Nadège, si tu veux bien nous faire confiance, parle-nous encore de toi.
Claude était encouragé de voir sa femme orienter les événements. «Elle redevient comme autrefois», pensa-t-il.

Nadège se contenta d'un signe de tête.

— Il me semble que je n'ai pas grand-chose à ajouter, dit Claudine, sinon que Marcel Lemercier est le cousin d'Etienne Jonquière, un gars de notre Lycée.

— Ce Marcel Lemercier, est-ce qu'il te connaît? Est-ce qu'il t'a remarquée à Chevillenay? demanda Claude.

— Cela m'étonnerait. Il ne vient que quand sa sœur l'invite, ou bien, il passe à l'improviste, je suppose. Moi, je l'ai remarqué à cause d'Étienne, mais lui n'avait aucune raison de s'intéresser à moi.

— Malheureusement, c'est à moi qu'il s'intéresse, gémit Nadège.

— Peut-être que tu dois commencer par le commencement, l'encouragea Claudine.

— J'ai fumé du hasch, dit Nadège, mais ça s'est arrêté là. Papa, maman, je ne me suis jamais piquée, et je n'ai jamais touché à une drogue dure, je vous le promets.

— Et ce qu'on a trouvé dans ton sac? s'enquit papa avec sérieux.

— O.K. Claudine a raison, il faut commencer par le commencement.

— Courage, ma vieille, approuva Claudine, en lui tendant quelques «kleenex», parce que les larmes et les explications s'intercalaient.

— Cet hiver, j'ai commencé à sortir avec Etienne. C'était sans gravité, bien que cet Etienne fournisse du haschisch à quelques-uns au lycée. Je ne le savais pas et je ne me méfiais pas. Très vite il m'a présentée à son cousin... Claudine, s'il-te-plait, décris-leur Marcel Lemercier, balbutia-t-elle.

— Il s'agit d'un jeune homme de vingt-cinq ans, à peu près. C'est un beau garçon, très sûr de lui. Je suis certaine qu'il t'a impressionnée, Nadège.

— Oui, c'est ça, il a su me parler. Mais en même temps, dès le début, j'en ai eu un peu peur.

— Nadège, fit remarquer papa, en essayant de ne pas heurter sa fille, à quel moment donc avaient lieu vos rencontres? Tu n'es jamais rentrée en retard. Le mardi, tu as ta leçon de piano. Le mercredi, le G.B.L. Ta vie semble bien réglée?

— Je vous ai menti, murmura-t-elle lamentablement. Le G.B.L., je n'y vais plus.

— Depuis quand?

— Depuis la rentrée.

— Depuis si longtemps! s'exclama papa, et toi Claudine, tu ne nous as rien dit!

— C'était délicat, Monsieur Baudrimont, Nadège est mon amie. Je me suis souvent tourmentée à ce sujet.

— Et vous ne vous rencontriez qu'à l'heure du G.B.L., ce Marcel et toi?

— Non, je séchais des cours... S'il-vous-plaît, ne me questionnez plus. Je vais tout vous dire.

Elle recommença à verser des larmes. Papa lui prit une main et ne la lâcha plus.

— Je l'aimais et je l'aime encore beaucoup. Pourtant, il ne faut plus, ça m'apprendra.

Papa pressa plus fortement sa main. Cette pression signifiait: «Continue, va, même si c'est difficile».

— Nous nous rencontrions au café d'Allorne avec toute une bande. J'ai pris l'habitude de fumer des cigarettes ordinaires, puis, pour s'amuser, à mon insu, un jour ils m'ont fait fumer du hasch. Ils disaient que c'était pour rire.

Claudine l'interrompit:

— Savais-tu que je connaissais Marcel, et que sa réputation à Chevillenay est déplorable?

— Non, je l'ignorais totalement.

— Sa sœur a honte de lui. Elle a commis l'erreur de l'inviter plusieurs fois et maintenant elle le regrette. Il s'est fait évacuer de l'unique café du village.

— Cet hiver je lui ai parlé de ma famille, reprit Nadège. Je pensais que je pouvais peut-être vous le présenter. Il disait que j'étais trop jeune, que c'était mieux d'attendre. Puis, avec le temps, j'ai compris qu'il vous détestait parce qu'il déteste les riches et les gens bien.

— Ah! s'exclama maman, il nous classe parmi les riches?

— Oui. Il paraît. Au cours de nos rencontres je lui ai parlé de Laurent et de Madou... aussi des mercredis à la banque. Il me faisait parler. Je disais n'importe quoi. Tout cela me semblait sans importance, et pourtant c'était grave.

Nadège regarda ses parents, elle refoula quelques sanglots et demanda:

— Papa, tu as dit que tu n'aimais pas ce que j'avais fait, mais que tu continuais de m'aimer, moi?

— Oui, rien n'est changé, assura papa.

— C'est tout à fait ma manière de voir les choses, ajouta maman.

— Vous êtes chics, tous les deux.

— Alors, maintenant, je suis sûre qu'il y a une relation entre la prise d'otages et Marcel Lemercier, affirma Claudine.

— Maman, c'est une vengeance! Il faut faire vite, très vite!

À suivre