Le jardin de l'arc-en-ciel (suite)

Olivia a son anniversaire, mais ce qui l'intéresse le plus, c'est la Bible d'Élaine. Olivia voudrait faire un marché avec Jésus: Qu'il guérisse mes jambes et après je Le suivrai! Élaine fait appel à la précieuse Mrs. Owen. Philip, Janine et Élaine se cotisent pour offrir une Bible à Olivia.

Nous étalions notre fortune pour la compter avec soin, quand parut Philip.

— C'est pour la Bible d'Olivia, expliqua Janine. Élaine lui en a parlé, et Daddy y ajoutera les notes explicatives.

— Je donne cinq francs, bougonna Philip en jetant une pièce sur la table. Autant en prendre une convenable, d'ailleurs j'irai la choisir avec vous.

De bonne heure le lendemain, trois bicyclettes sortaient du Presbytère, car la ville la plus proche où l'on pouvait trouver des bibles était à sept kilomètres de chez nous.

En ce samedi de Pentecôte, la ville était pleine de monde. Laissant les vélos dans un garage, nous gagnons à grand peine la librairie.

— Nous aimerions une Bible, annonça Philip en arrivant mais son prix ne doit pas dépasser quinze francs, ajouta-t-il d'un ton décidé.

La charmante vendeuse nous en apporta tout un choix, ce qui nous mit dans l'embarras. Enfin tous d'accord, nous jetons notre dévolu sur une belle Bible reliée en toile, bien lisible, au prix de treize francs cinquante.

— Bon! dit Philip en sortant soulagé, il nous reste quatre-vingt-cinq centimes. Offrons-nous à chacun une glace.

Nous savourions nos glaces avec délices lorsque j'aperçus — à ne pas s'y méprendre — le voleur des Thomas.

— Regarde, regarde, Philip, là au carrefour, c'est le voleur... Oh! Philip, sauvons-nous vite, il pourrait me voir.

L'homme se retourna brusquement et ses yeux me fixèrent avec effroi. Il m'avait reconnue. L'instant d'après il avait disparu.

— Rien à faire avec cette cohue, tonna Philip. Mais maintenant je l'ai vu, et je le reconnaîtrai n'importe où.

Chapitre 16 – L'enfant à la porte

L'été s'installait et, sans m'en douter, je poussais comme un jeune arbre. Mrs. Owen avait fort à faire à élargir et rallonger mes robes. Je me donnais pleinement à mes leçons et à mes jeux, et découvrais, émerveillée, la beauté du monde où je vivais.

J'apprenais aussi d'autres leçons que celles de l'école. Trois fois par semaine, je montais sur la colline et m'asseyais une demi-heure auprès d'Olivia. Nous cherchions ensemble les versets lus le matin même avec Janine dans cette Bible qui était devenue sa possession la plus chère.

Olivia était fatiguée de ses livres dont les héros étaient toujours des enfants en bonne santé qui projetaient sur elle un sentiment d'infériorité. La Bible, au contraire, lui ouvrit un monde nouveau et merveilleux où les malades guérissaient, les gens tristes étaient consolés et les pécheurs pardonnés. Et, à chaque page, apparaissait la personne du Sauveur qui appelait tous les hommes à Lui. Sa seule présence leur apportait une plénitude de joie.

— Je l'aime, dit soudain Olivia, un soir que nous étions ensemble dans un crépuscule d'été. Je désire lui appartenir bien qu'Il ne me fasse pas encore marcher. M'écoute-t-Il réellement?

— J'en suis sûre, Olivia, mais je veux demander à Tantie de venir te voir. Elle sait si bien expliquer.

— Oh! oui, Élaine, fais-le avant votre départ. J'aime Mrs. Owen.

Nos plans de camping au bord d'un lac de montagne se précisaient. Une ferme hébergerait Mrs. Owen, Robin et Lucie et nous fournirait le lait et les œufs. Nous avions assemblé des sacs et la fermière nous donnerait la paille pour en faire des matelas. Avec Janine, nous avions cousu de vieilles couvertures en guise de sacs de couchage. D'autre part, ma mère s'était couverte de gloire en nous envoyant soixante francs pour acheter des tapis de sol pour nos tentes.

Je repassais tous ces préparatifs en descendant de chez Olivia lorsque j'entendis un puissant hourra.

— Dites-moi vite ce qui est arrivé, criai-je en accourant.

— Une auto pour les vacances, hurla Philip. Mr. Jones nous prête son auto!

Nous savions tous ce qui concernait Mrs. Jones dont le premier bébé était mort subitement. La pauvre mère en avait presque perdu l'esprit. Le docteur ne put que suggérer le nom d'une clinique. Ce furent les visites journalières de Mr. Owen qui la ramenèrent progressivement à la Source de la consolation et sauvèrent sa raison. Rétablie, Mrs. Jones réconfortait d'autres gens dans la peine. Comment s'étonner que Mr. Jones soit rempli de gratitude?

* * *

Les examens scolaires mobilisèrent notre attention durant la dernière quinzaine du trimestre, mais en réalité le jour J approchait lentement.

J'attendis donc jusqu'au dimanche pour parler à Tantie des problèmes d'Olivia. Elle décida d'aller la voir après le souper, laissant à Blodwen et Janine la tâche de mettre les enfants au lit. Je partis donc avec elle, ma main dans la sienne. Une fois au haut de la pente, Mrs. Owen fit halte sous les vieux chênes et s'assit sur les racines moussues.

— Prions avant d'entrer, dit-elle.

Je m'assis près d'elle et fermai les yeux. Elle demanda à Dieu de montrer le chemin à Olivia et de la diriger vers Lui.

À notre arrivée, Mrs. Thomas et sa fille étaient installées devant la fenêtre ouverte.

Mrs. Thomas fut enchantée de voir Tantie, et je crus qu'elle ne cesserait jamais de bavarder. Pourtant au bout de dix minutes elle s'enfuit, prétextant son souper à surveiller.

Olivia tourna vivement la tête vers Mrs. Owen.

— Que vous êtes gentille d'être venue! Je vous ai attendue chaque jour. Élaine vous a-t-elle dit?

— Oui, fit Mrs. Owen, pressée d'en venir au but de sa visite (et inquiète d'avoir laissé ses petits). Tu es tourmentée, n'est-ce pas, parce que tu as supplié Dieu de te faire marcher correctement, et Il ne l'a pas fait, et tu ne comprends pas pourquoi?

Olivia acquiesça, les yeux fixés sur Mrs. Owen comme si elle attendait la révélation d'un secret.

— Supposons, reprit Mrs. Owen en pesant ses mots, supposons qu'un enfant en haillons se présente à ma porte et me demande cinq francs. Je peux les lui donner et le renvoyer ou encore mieux lui dire: «Je ne veux pas te donner ces cinq francs, mais je te prendrai dans ma maison, je t'aimerai, je te donnerai des vêtements propres, j'aurai soin de toi et je ferai de toi mon enfant.» Crois-tu qu'il se tourmentera au sujet des cinq francs? Il saura que je l'aime assez pour lui donner tout ce dont il aura besoin.

— Les cinq francs sont mes jambes, n'est-ce pas? s'enquit Olivia qui avait l'esprit vif.

— En effet. Tu as demandé au Seigneur Jésus de te donner des jambes solides, mais Il pose son regard sur toi et te dit: «Olivia, j'ai quelque chose de bien meilleur à te donner. Je t'aime et je désire que tu sois ma petite fille. Je désire te guérir de ta méchanceté, de ta tristesse, de ton égoïsme, et te rendre heureuse.» Bien sûr, Il peut, par la suite, t'accorder des jambes saines. Continue à le lui demander, mais d'abord II désire t'enseigner ceci: si tu lui appartiens, il te rendra heureuse, merveilleusement heureuse, même couchée ici sur ce lit. Élaine t'a-t-elle montré le verset inscrit en tête de sa Bible?

— Oui, répondit promptement Olivia. Je vais vous le réciter. «Tu me feras connaître le sentier de la vie; en ta présence il y a plénitude de joie.»

— C'est juste, dit Mrs. Owen. Cela signifie que si nous venons au Seigneur Jésus, nous acceptons qu'Il choisisse lui-même le chemin de notre vie, parce qu'Il sait ce qui est bon pour nous. S'Il nous envoie maladie, chagrin ou déception, nous ne devons pas nous plaindre parce que Jésus est près de nous et veut nous rendre heureux.

Sais-tu, Olivia, que le bonheur ne dépend pas réellement de ce que tu as ou de ce que tu es. Vivre tout près du Seigneur, chercher à suivre son exemple, voilà le bonheur vrai et durable.

Olivia se taisait. Elle ruminait longtemps les choses avant d'arriver à une décision; du reste, quelques minutes plus tard, Mrs. Thomas nous rejoignit, alluma la lampe et nous invita à souper. Mrs. Owen se leva d'un bond.

— Je dois absolument aller voir ce que font mes enfants, s'excusa-t-elle. Ils ont ta tête à l'envers depuis que Mr. Jones a offert à mon mari de nous prêter son auto qui nous déménagera tous jusqu'à notre campement.

J'observais Olivia. Il y avait sur son visage une expression de détresse et d'ardent désir qui me remplit de pitié. Une idée mirifique jaillit dans mon esprit.

— Tantie! ce n'est pas très loin avec une voiture! Oncle ne pourrait-il pas aller chercher un jour Mrs. Thomas et Olivia pour qu'elles voient le camping et qu'elles prennent le thé avec nous? Oh! Tantie, dites oui!

Les joues d'Olivia étaient devenues roses d'excitation et ses yeux brillaient. Les deux mères, perplexes se regardèrent sans mot dire.

— Nous poserons la question à mon mari, dit enfin Mrs. Owen. Si vous ne pensez pas que ce soit trop fatigant pour Olivia, je trouve cette idée lumineuse.

— Moi aussi! dit aussitôt Olivia.

Il nous fallut regagner en hâte la maison. Il était temps, car tout n'avait pas été sans heurts pendant notre absence.

En quelques minutes Mrs. Owen eut rétabli l'ordre. Elle écouta les plaintes de Blodwen, apaisa Lucy, fouetta Robin, embrassa Francie, imposa silence à Johnny et mit sur le feu la bouilloire pour une tasse de thé.

— Voici Daddy et Philip. Servons-leur le thé, dit Mrs. Owen.

Mr. Owen et Philip rentraient de l'église aussi affamés que s'ils n'avaient pas soupé du tout, ainsi chacun recommença d'engloutir thé et brioches. Ce fut une joyeuse soirée et tous approuvèrent chaudement ma proposition de convier Olivia pour une journée entière. Nous aurions bavardé toute la nuit si Mrs. Owen ne nous avait expédiés au lit. Avant de m'y glisser, je me tins quelques minutes devant la fenêtre ouverte et m'y accoudai. La chaude nuit d'été s'emplissait de l'odeur des bois, et un hibou hululait doucement dans les hêtres.

Chapitre 17 - Le camping au bord de l'eau

Enfin le jour du départ arriva. Mr. Owen, avec nous, les quatre aînés, partit à l'aube pour nous déposer à l'emplacement du camping. Il devait s'en retourner après le dîner pour chercher Mrs. Owen, les petits, les bagages et le ravitaillement.

Chacun se mit sérieusement au travail, dressa les tentes, prépara le bois pour un beau feu de camp, et enfin, prit un bon bain avant le repas.

La vie au camping nous apporta chaque jour d'autres plaisirs, d'autres aventures. Dans la fraîcheur de l'aube nous plongions dans le lac. Philip avait la charge du feu, Janine et moi celle de la cuisine. Enfin l'événement tant attendu arriva: la visite d'Olivia!

— Aimerais-tu venir avec moi, Élaine? proposa Mr. Owen. Olivia serait contente de t'avoir avec elle pour cette première sortie. Nous lui réserverons la banquette du fond, mais il y a place pour trois personnes devant.

Enchantée, je courus me préparer.

Olivia, postée à la fenêtre, était prête depuis des heures. Cinq minutes après nous étions repartis. Penchée sur le dossier entre Mr. Owen et Mrs. Thomas, je lui racontai tout: feux de camp, veaux et moutons, baignades et explorations qu'elle écoutait d'un regard passionné.

— Et toi, qu'as-tu fait, demandai-je?

— Pas grand-chose, dit-elle gaiement, rester assise! Surprise par son ton, je la dévisageai. Sa voix n'était plus gémissante.

— J'aimerais t'en parler quand nous serons seules, chuchota-t-elle. Oh! Élaine, que c'est beau, s'écria-t-elle presque aussitôt, les voilà tous... et encore le lac!

Mr. Owen porta Olivia de la voiture sur un lit de fougères, près du camping. Le repas fut un vrai festin et se termina par un verre de thé à l'arôme de fumée. Mrs. Owen racontait une histoire quand, soudain, Mrs. Thomas se leva pointant du doigt une masse de brouillard qui s'avançait au bout du lac.

— Rentrons vite chez nous, j'ai très peur pour Olivia, s'exclama-t-elle. À tous un bien grand merci pour cet accueil!

— Juste cinq minutes! implora Olivia, je voudrais parler à Élaine.

— Bon! j'irai voir le veau avec Francie et Robin puis nous partirons.

— Te souviens-tu, Élaine, reprit aussitôt Olivia, de ce que disait Mrs. Owen à propos de mendier ou bien d'entrer? J'ai beaucoup réfléchi à cela, et une nuit, au lieu de dire «S'il te plaît, guéris mes jambes», j'ai dit: «S'il te plaît, puis-je venir auprès de Toi et être ta petite fille?» Depuis ce jour-là j'ai su que je pourrais être heureuse même si mes jambes n'allaient pas mieux. Je lui ai confessé mon égoïsme, ma mauvaise humeur, et tu sais, j'ai des idées toutes nouvelles pour aider d'autres malheureux. Si le sentier de ma vie est d'être infirme, je pourrais aussi réaliser cette plénitude de joie.

— Oui, affirmai-je, plénitude de joie partout si nous vivons avec Jésus. Mr. Owen me l'a répété tant de lois.

En ce moment Mr. Owen gravissait le sentier et emporta Olivia dans ses bras. L'auto roula doucement sur le chemin du lac, et, au pas de course, Philip et moi la suivions jusqu'à ce que le brouillard nous enveloppe. Remarquant un homme sur la rive opposée, Philip demanda, intrigué:

— Qui peut se promener par un temps pareil?

— C'est le voleur des Thomas, je le reconnais, dis-je avec un frisson.

— Cette fois, il ne faut pas le manquer, il faut le filer! déclara-t-il.

Et Philip, flairant l'aventure, s'élança à sa suite. Je le suivais tant bien que mal, mais mes sandales trempées par le marais me blessaient les pieds. Le brouillard blanc devint si dense que je le perdis de vue. Comment rentrer au camping? Cherchant mon chemin, je me heurtais à un arbre. Je montais pour fuir les marécages, descendais, croyant reconnaître l'endroit. J'entendais la rivière, mais où coulait-elle? Étais-je près du lac? Le brouillard devint gris et je compris que le jour baissait. Harassée par la peur et l'effort, j'eus cependant la certitude que le Seigneur était près de moi. N'avait-Il pas lui aussi cherché et trouvé sa brebis perdue?

Reprenant courage, je grimpais dans la nuit ne sachant où j'allais, quand tout à coup je glissai sur des scories. Glissant et roulant toujours, sans parvenir à m'agripper nulle part, je finis ma chute à moitié couchée dans l'eau. Impossible de me relever, mes jambes ne me portaient plus. Le vent soufflait avec violence et je distinguais devant de moi des murs noircis.

— Au secours! au secours! appelais-je. Oh! s'il vous plaît, aidez-moi! La douleur me provoqua un malaise, mais j'appelai encore.

— Qui est là? entendis-je enfin près de moi.

Cette voix connue me fit frissonner. L'homme leva sa lanterne au-dessus de sa tête, me regarda, et moi, je regardais ce visage hagard, malade, non rasé — un visage que je connaissais...

À suivre