Le jardin de l'arc-en-ciel (suite)

Élaine retrouve jardin et nid d'oiseaux jusqu'au moment où un bruit de moteur la fait sursauter. Elle se cache. Olivia et sa mère, qui admirent les fleurs et la cage à lapins, la découvrent. Olivia s'attache à Élaine et exige des visites plus fréquentes. Élaine apprendra-t-elle à s'oublier elle-même pour le plaisir d'Olivia?

Pour une fois, elle sembla prête à m'écouter au lieu de se plaindre de ses maux, aussi je bavardai gaiement pendant un moment. Nous étions plus en harmonie qu'à l'ordinaire. Serait-il possible de lui parler de la Bible et du Seigneur Jésus?

— Quelle leçon aimes-tu le mieux, enchaîna Olivia, quand je me tus et que, silencieuse, je cherchais la manière d'aborder le sujet.

— Eh bien, répondis-je un peu empruntée, au fond, je les aime toutes, mais celle que je préfère n'est pas une leçon de l'école. C'en est une que nous avons, Janine et moi, avant l'école. Ensemble, nous lisons la Bible, et dans le texte nous choisissons un verset qui sera notre guide pour la journée. Est-ce que tu lis ta Bible, Olivia?

Elle secoua la tête, puis me regarda curieusement.

— Mrs. Owen m'en a parlé et m'a donné un livre intitulé «Histoires de la Bible», mais Maman prétend que la Bible n'est pas pour les enfants. Que je l'ai trouvée ennuyeuse quand nous la lisions au culte de l'école! Te plaît-elle vraiment, Élaine?

— J'étais comme toi et ma mère ne m'en parlait jamais. Je pensais que c'était un gros livre noir et assommant, rempli de longs mots, jusqu'à ce que je vienne chez la famille Owen. Mais un jour il m'est arrivé quelque chose.

— Quoi? interrogea Olivia, ses yeux graves fixés sur moi.

Avec sérieux, sans trop savoir comment dire, je m'enhardis:

— J'avais fait une vilaine action et j'étais tourmentée; je me suis sauvée dans la forêt où Mr. Owen vint me rechercher; nous sommes restés longtemps dans le bois et il m'a expliqué que si je disais à Jésus ce que j'avais fait de laid, Il me pardonnerait et effacerait mes fautes, et qu'après cela je lui appartiendrais pour toujours.

— Et puis alors?

— Eh bien! fis-je lentement, j'ai obéi et maintenant je lui appartiens.

— Et quelle différence cela fait-il?

Il me sembla que dans les grands yeux luisait un regard moqueur que je ne compris pas.

— Oh! poursuivis-je hésitante, j'ai été tellement plus heureuse depuis lors. Tu vois, si l'on appartient à Jésus, Jésus devient comme un Ami auquel on peut tout dire. Je ne suis plus malheureuse ni effrayée. Je me sens en lieu sûr. Jésus me montre chaque jour dans la Bible ce que je dois faire, et si je lui obéis, je suis en paix. Je ne connaissais pas ce bonheur avant.

— Et quoi d'autre? Est-ce tout?

— Oh! c'est déjà beaucoup, rétorquai-je, contrariée. Non, ce n'est pas tout, Jésus nous enseigne aussi à nous aimer les uns les autres, à être gentille.

— Et toi, es-tu toujours gentille?

— Davantage qu'auparavant, dis-je plutôt gênée. Je ne suis plus si fréquemment de mauvaise humeur. Je me fâchais constamment et piquais des colères, quoi, j'étais impossible, maintenant plus autant — enfin, pas très souvent.

— Oh! dit Olivia d'un ton qui ne me plut pas.

Il y eut un silence inconfortable. Je guignai vers la pendule.

— Olivia, je dois filer! dis-je en sautant sur mes pieds, sinon je ne finirais pas mes devoirs. Dois-je t'apporter ma Bible la prochaine fois? Ainsi tu pourras la lire toi-même, Olivia.

— Bon, fit-elle, froidement. Tu peux l'apporter si tu veux. Je voudrais que tu viennes pour le thé, après-demain, samedi. Viendras-tu, Élaine? Sûr? Sûrement?

J'étais à moitié hors de la porte, dans ma hâte de m'enfuir.

— Entendu! répondis-je, préoccupée par mes leçons non terminées. J'espère que je pourrai monter. Je ferai de mon mieux.

— Non, non, insista Olivia. Tu as promis. C'est très spécial cette fois. Tu viendras, n'est-ce pas?

— Oui, oui, la brusquai-je un peu (car il s'agissait sans cesse de questions soi-disant spéciales et qui n'avaient rien de spécial du tout). J'ai dit que je viendrai, ne te tracasse donc pas.

Je dévalai la colline, mais les paroles d'Olivia résonnaient encore à mon oreille, malgré moi: «Et quelle différence cela fait-il? Et toi, es-tu toujours gentille?»

J'étais certainement plus heureuse, mais étais-je plus complaisante? Philip et Janine se montraient plus agréables avec moi, mais étais-je patiente et aimable avec quelqu'un de faible et de malade, avec une Olivia gâtée et peut-être égoïste? Pourquoi donc m'avait-elle regardée de la sorte?

Mes devoirs oubliés, je cheminai au ralenti vers la maison, arrachant bêtement la tête des ombelles, et mâchonnant des herbes. Ce ne fut qu'après le coucher du soleil, quand j'atteignis le portail, que mon problème s'atténua dans l'ombre bleue.

— Jan, dis-je ce soir-là, tandis qu'en chemise de nuit nous étions en boule sur mon lit, te rappelles-tu ce fragment que ton père t'a montré le soir où je me suis sauvée? Il parle de gens qui ont faim et qui sont malades?

— Oh! oui, j'ai souligné ce passage en rouge. C'est dans Matthieu. Je voulais te le montrer, et j'ai oublié. Le voici, Matthieu 25, versets 35 et 36.

Avec respect, elle le lut et j'écoutai.

Mais certains mots surtout devaient se graver dans mon esprit: «J'étais malade... et vous ne m'avez pas visité... En vérité, toutes les fois que vous n'avez pas fait ces choses à l'un de ces plus petits, c'est à moi que vous ne les avez pas faites.»

Chapitre 14 – Un anniversaire inoubliable

Le samedi fut un autre jour magnifique. Nous étions réunis autour de la table du déjeuner quand Janine, lorgnant le ciel par la fenêtre ouverte, dit à sa mère:

— Mammy, ne pourrions-nous pas prendre le thé près de la rivière et nous baigner cet après-midi?

Un hourrah accueillit cette suggestion, car cette année, nous ne nous étions pas encore baignés. Mrs. Owen, incertaine, jeta un coup d'œil dehors; le beau soleil la rassura, et quand elle put se faire entendre, elle déclara que c'était une excellente idée.

— Tu viens avec nous, Daddy, fit Johnny cajoleur, en grimpant sur les genoux de son père, tu m'as dit que tu m'apprendrais à nager.

Les enfants, à cette proposition, assaillirent tous Mr. Owen qui, en homme fort occupé ne pouvait leur procurer que rarement ce plaisir. Il secoua tristement la tête.

— Je dois endosser mon plus bel habit noir pour marier un jeune couple, dit-il avec un soupir. Quelle idée de se marier par un jour aussi chaud, quand on pourrait barboter dans la rivière!

— Console-toi, Daddy, s'écria Philip, tu auras un goûter sélect.

— Peut-être, mais je préférerais ne manger que des brioches au bord de l'eau avec vous. Tant pis! Je vous réserverai le prochain samedi et nous descendrons à la plage — les mamans, les bébés, les bateaux, les chiens et tout et tout. Ne me demandez pas comment! Nous ferons bien d'emprunter le corbillard de la paroisse...

Il se débarrassa de ses enfants et s'en fut se préparer, tandis que nous nous dispersions dans toutes les directions pour rassembler lignes de pêche, sandwiches, limonade, et draps de bain, sans oublier Cadwaller. Puis Mrs. Owen réapparut avec tous les costumes de bain qui avaient passé l'hiver dans du papier journal et de la naphtaline. Notre joie fut un peu ternie par Robin qui venait de découvrir qu'il n'était pas de la partie. Écarlate, il restait planté au milieu de la chambre, mugissant comme un taureau. Mrs. Owen redoutait qu'il ne se noie; elle se tracassait aussi au sujet de Francie.

— Ne crois-tu pas, Francette... commença-t-elle, soucieuse.

— Non, Mammy, je veux aller avec les grands! interrompit Francie, se raidissant dans son agitation.

Philip, Janine et moi, chacun plaida sa cause jusqu'à ce que Mrs. Owen cédât.

— Nous prendrons grand soin d'elle, assura Philip; du reste la rivière est si peu profonde que même si on le voulait, on ne pourrait pas l'y noyer.

— Et on ne veut pas le faire, ajouta Johnny.

— Oui, je sais, approuva Mrs. Owen, mais n'oubliez pas qu'elle est encore très petite; Janine, sèche-la bien après le bain et ne vous asseyez pas dans vos costumes humides. Toi, Élaine, ne reste pas trop longtemps dans l'eau, et n'oublie pas...

— Non, Mammy! — Oui, Mammy, nous n'oublierons rien, n'aie pas peur.

Sur ce, en lui lançant des baisers, tous s'élancèrent vers la colline, la laissant sur les marches de l'escalier nous renouveler les instructions de la dernière minute qui furent complètement étouffées par les hurlements de Robin.

Il nous fallut escalader la colline sous de grands arbres dont les vieilles racines noueuses envahissaient le sentier, le rendant impraticable pour nos bicyclettes.

Des hauts plateaux, la vue s'étendait devant nous, éclaboussée de soleil: moutonnement des collines, profondes vallées pointillées de fermes très blanches. Les pentes les plus élevées se revêtaient de jeunes fougères et la lumière filtrait à travers les hêtres. Jamais je n'avais vu une telle profusion de verdure, et le petit vent qui ébouriffait nos cheveux fleurait bon l'aubépine. La folie nous gagnait: nous nous bousculions les uns les autres et riions de tout, sans raison, incapables de nous dominer, comme des enfants joyeux quand le printemps pénètre dans leur sang.

Nous étions au point culminant de la vallée d'où le sentier plongeait à pic vers la rivière. Déjà nous pouvions voir l'eau tachetée par le soleil s'insinuant entre les branches des saules, quand soudain, comme une flèche, un souvenir me traversa l'esprit. Je m'arrêtai pile, fascinée par ce joli sentier qui serpentait parmi les fleurs des champs. J'entendais la rivière chantonner et bavarder tout près de nous.

— Qu'as-tu? demanda Janine en se retournant. Pourquoi t'arrêtes-tu? As-tu avalé une mouche?

— Je viens de me rappeler, répondis-je lentement, que j'ai promis... j'ai dit à Olivia que j'irais goûter avec elle. Il y eut un long silence consterné. Puis Janine parla.

— Il vaut mieux que tu ailles, dit-elle tout net. Ou... si tu le désires beaucoup... je pourrais aller à ta place. Si c'est une promesse il est préférable de la tenir.

— Dépêchez-vous, les filles! commanda Philip.

Il avait atteint la berge et enfilé son caleçon de bain. Johnny et Francie, agenouillés dans les fleurs de coucou, déboutonnaient déjà leur blouse.

Je demeurai là, enfoncée dans mes pensées. Oui, j'avais dit que j'irais et prendrais ma Bible. Si j'y manquais, Olivia en déduirait que la Bible n'apportait aucun changement chez personne. Je contemplai à nouveau cet engageant petit sentier et il me rappela mon verset préféré: «Tu me feras connaître le sentier de la vie... en ta présence il y a plénitude de joie.» Alors je compris clairement quel chemin Jésus me montrait cet après-midi-là, non celui qui descendait vers la fraîche rivière, mais celui qui, repassant par les hauts plateaux, conduisait chez Olivia, le chemin du dévouement, de l'amitié et de la promesse tenue. C'est là que je trouverais Jésus: «J'étais malade et vous m'avez visité — en ta présence, il y a plénitude de joie.»

Je pris une longue respiration et fis demi-tour.

— Je dois y aller moi-même, dis-je fermement. Au revoir, amuse-toi bien.

— Au revoir, répéta Janine, soulagée. Nous reviendrons un autre jour. Nous aurons encore beaucoup d'occasions d'aller nous baigner.

Et elle dévala la pente, dégrafant sa jupe en courant.

Par cette chaleur, le trajet me sembla sans fin et je m'efforçai éperdument de ne pas songer aux plongeons des autres dans l'eau miroitante. Pourtant je n'étais pas aussi déçue que je l'aurais cru. C'était la première fois de ma vie que je renonçais, par égard pour autrui, à ce que j'avais décidé et, chose étrange, c'était une impression presque agréable. Enfin, je parvins au Presbytère et, incognito (car Mrs. Owen était en promenade avec les deux bébés, et Blodwen affairée dans sa cuisine), je cherchai ma Bible. Quand j'arrivai chez Olivia, il était passé quatre heures et demie et Mrs. Thomas, angoissée, surveillait le portail.

— Oh! Élaine, dit-elle avec soulagement, je suis si heureuse que tu sois là. Sais-tu, c'est l'anniversaire d'Olivia et je voulais faire une invitation, mais elle ne désirait que toi et prétendait que tu avais promis de venir. Elle est dans un bel état, croyant que tu as oublié.

Mrs. Thomas me mena au jardin où Olivia était étendue sur une chaise-longue près de la rocaille, la table à thé dressée à côté d'elle, ainsi qu'une splendide tourte de fête aux dix bougies. Olivia était toute mignonne dans une robe d'été bleue, reçue pour sa fête. Et moi, échauffée et chiffonnée dans ma plus vieille robe et mes souliers fatigués, je me sentais très mal à l'aise.

— Où as-tu été? demanda Olivia. J'ai cru que tu avais oublié. Tu ne savais pas que c'était mon anniversaire, n'est-ce pas?

Non, dis-je, sinon je t'aurais offert un cadeau. Tous mes bons vœux, Olivia. Je regrette d'être en retard, mais les autres sont allés se baigner à la rivière et je les ai accompagnés un bout de chemin, puis je suis revenue sur mes pas.

— Oh! s'exclama Olivia avec ce regard bizarre qui semblait me juger, me scruter, et pourquoi as-tu fait cela? Avais-tu oublié que tu devais prendre le thé avec moi?

— Oui, c'est vrai, répondis-je franchement, parce que Janine a proposé la baignade seulement à midi, alors que nous déjeunions, et nous étions tout excités. Mais dès que je me le suis rappelé, j'ai vite rebroussé chemin.

— Oh! je vois, répliqua Olivia de sa manière pointue. Puis elle ajouta: Aimes-tu te baigner?

— Hum, évidemment... Mais peu importe. Mr. Owen nous emmènera à la mer la semaine prochaine. On ne nous permet pas de nous baigner seuls dans la mer, tandis que le courant de la rivière est faible. Même Francie y était.

À suivre