Le jardin de l'arc-en-ciel

C'est un radieux matin de Pâques! Quoi de plus beau pour Janine et Elaine de faire leur Lecture dans une clairière fleurie! La recherche des œufs cachés par le Lapin de Pâques les occupe tous jusqu'au départ pour l'église. — Le lundi, grande effervescence! Olivia arrive et Philippe découvre une portée de petits lapins. Elaine remet la coquille en place et retourne enfin dans son jardin.

Sans bruit, je me dirigeai vers le buisson de lilas, déjà en boutons, et guignai mon nid.

Il y eut un frémissement, des gazouillis et je vis cinq becs jaunes largement ouverts. Je ris doucement et fis retomber le rideau feuillu.

«Ils s'imaginent que je suis leur mère et que je leur apporte à manger, me dis-je. Je me demande où elle s'est envolée.»

Pendant que je m'agenouillais sur mes herbes folles, elle multiplia ses vols rapides, et ce jour-là et le suivant, chacune travailla sans relâche, elle et moi. J'avais complètement dégagé la rocaille et creusé un espace autour des muguets et des tulipes. Mrs. Owen et les enfants furent stupéfaits de ma réussite.

J'eus peine à m'arracher à ma tâche pour les repas et m'y acharnai jusqu'à la tombée de la nuit, respirant les effluves de la terre fraîchement labourée et ceux des giroflées des murailles; je me jetais parfois à terre auprès des muguets pour essayer de capter leur senteur. J'étais à la fois heureuse de me trouver seule dans mon jardin, et triste parce qu'il ne serait bientôt plus à moi. Dans peu de temps il appartiendrait à Olivia!

Le dernier matin, chacun se joignit à Mrs. Owen pour tout inspecter et pour arranger les cadeaux. Philip s'en était donné autant que moi; la cage spacieuse, verte et collante, trônait fièrement au centre de la pelouse à côté de la maison, attendant que les bébés lapins grandissent. Janine disposa dans tous les coins des assiettes garnies de ses truffes et la maison fut ornée de fleurs printanières. On tira le lit d'Olivia près de la fenêtre qui dominait la rocaille. Et Jumbo complétait l'ornement. Tout était au point sauf le jardin. Je n'avais pas encore désherbé les racines du lilas.

— Je crois, décréta Mrs. Owen en inspectant les lieux, que nous ferions mieux d'aller chez nous pour dîner. Quelqu'un amènera ici nos amies aux environs de quatre heures et nous reviendrons leur préparer le thé.

Je la retins par sa manche.

— S'il vous plaît, est-ce nécessaire que je descende dîner? Ne puis-je pas rester ici et finir mon travail?

Je parlais en sourdine, de peur que Philip et Janine n'offrent de m'aider, car pour cet ultime après-midi, je souhaitais demeurer seule dans mon jardin. Mais frère et sœur, affamés, filaient déjà en avant et il ne restait plus que Mrs. Owen et moi.

— À ton gré, dit-elle amicale. Par Johnny, je t'enverrai un petit pique-nique.

Je soupirai de soulagement. Johnny ne voudrait pour rien au monde manquer son repas et certainement il ne s'attarderait pas. Mrs. Owen referma le portail derrière elle, et pour quelques courtes heures je resterais seule.

Johnny parut et disparut aussitôt, mais j'étais trop accaparée par ma besogne pour m'intéresser à de la nourriture. Je nettoyais le pied des lilas quand un bruit de moteur, de freins, de portes ouvertes frappa mon oreille. Puis ce fut le déclic d'un loquet et je compris ce que cela signifiait: elles étaient là plus tôt que prévu.

En hâte, je contournai l'angle de la maison comme un lapin peureux et me plaquai contre le mur. Terrifiée d'être surprise seule dans le jardin, j'espérais seulement m'échapper sans être vue. Il n'était que temps, car au même moment, une fraîche voix d'enfant s'écria:

— Oh! Mammy! Mammy! le jardin est vivant — et nous qui pensions qu'il aurait dépéri! Oh! Oh! regarde, Mammy, les muguets sont fleuris et oh! regarde, Mammy, quelqu'un a soigné la petite rocaille!

— Mais oui, répliqua une voix de femme, on dirait qu'une fée a été à l'œuvre; c'est vraiment beau. Vois-tu là-bas?

Elle fut interrompue par une exclamation de l'enfant:

— Oh! Mammy, Mammy, il y a une cage à lapins sur la pelouse, à côté de la maison. Viens vite et voyons s'il y a un lapin dedans.

J'étais perdue, et plantée là, je devais avoir l'air, aussi coupable que si j'avais commis un larcin. À cet instant, la tête d'Olivia surgit au coin du mur.

Olivia, petite et mince, marchait penchée sur ses béquilles, les jambes soutenues par des appareils. Mais je la trouvais belle. Ses tresses blondes lui descendaient jusqu'à la taille et ses grands yeux, pareils à deux myosotis, semblaient remplir son pâle petit visage. Elle s'arrêta et me fixa, étonnée et craintive.

— Maman, appela-t-elle, viens vite! Quelqu'un se cache derrière le mur!

Mrs. Thomas, la tête pleine de cambrioleurs, se précipita à l'angle du mur avec un faible cri d'alarme. Mais quand elle me vit si menue, elle s'arrêta et me demanda, anxieuse:

— Que fais-tu là, fillette?

— Rien, marmottai-je, enfin... je jardinais. Mrs. Owen me l'a permis... j'habite chez les Owen. Nous sommes tous venus pour préparer l'arrivée d'Olivia.

Mrs. Thomas éclata de rire.

— Alors, tu dois être Elaine, celle qui a vu le voleur! Mrs. Owen nous a écrit et nous a tout raconté. Ainsi, c'est toi qui as travaillé dans notre jardin? Eh bien! Olivia et moi trouvons qu'il est vraiment magnifique. Tu dois entrer et nous souhaiter la bienvenue dans la maison. Allons, Olivia! Tu as été assez longtemps debout.

Elle sortit une clé de sa poche, souleva Olivia aussi aisément que si elle eût été un bébé et la porta dans la maison. Elle l'étendit sur le lit où, dans ses pantalons colorés et son bonnet, Jumbo l'attendait.

— Oh! Mammy, les fleurs! s'extasia Olivia, là sur la rocaille juste au-dessous de la fenêtre où je pourrai les voir chaque jour. Tu sais, Elaine, à l'hôpital j'étais toujours couchée dans un lit et je ne voyais qu'un mur de briques et la cheminée d'une buanderie. Il n'y avait aucune fleur à Manchester. Maintenant, assieds-toi et dis-moi qui a fait ces truffes, et qui a mis sur mon lit ce drôle d'éléphant. Et puis, est-ce qu'il y a un lapin dans la cage?

Ma langue se délia et je répondis pêle-mêle à toutes ses questions. Mrs. Thomas, elle, s'affairait à la cuisine. Bientôt elle passa la tête par la porte.

— As-tu dîné, Elaine?

Je me remémorai soudain mon pique-nique et m'empressai d'aller le chercher. Pendant qu'Olivia mangeait une omelette, je dévorai mes sandwiches. Une tasse de thé, accompagnée de biscuits au sucre compléta notre repas. Après quoi Mrs. Thomas se leva et dit avec fermeté:

Si la famille Owen vient nous saluer cet après-midi, Olivia doit se reposer. Nous te reverrons plus tard, Elaine, et je t'assure que nous sommes très touchées de ce que tu as fait au jardin.

Je dis donc au revoir à Olivia et tout le long du chemin je sautillais dans le soleil. Le jardin n'était plus mien, mais je me sentais plus heureuse que je ne l'avais été jusqu'ici.

«C'est drôle, me dis-je, mais c'est bien plus amusant de faire les choses pour les autres que de les faire pour soi.» Et, songeant à Olivia couchée sur son lit, le visage tourné vers la rocaille, je sautai de joie par-dessus une taupinière.

Chapitre 13 — «C'est à moi que vous ne les avez pas faites»

Les vacances de Pâques filaient à toute vitesse, et moi je devenais plus active et plus joyeuse, plus forte et plus souple. Maintenant je pouvais facilement grimper aux arbres et courir derrière les autres lors de leurs expéditions. Au lieu de trouver leurs jeux stupides, ils me plaisaient. En outre, la beauté de la campagne au printemps s'emparait de moi et mon intérêt pour les nids et les fleurs sauvages s'intensifiait. Janine ne se fatiguait pas de m'enseigner leurs noms, et Philip jubilait de faire montre de ses connaissances. Aussi étais-je en train de devenir une vraie naturaliste.

Puis il y avait Olivia. Les enfants faisaient de leur mieux pour la distraire, mais, chose étrange, elle avait un faible pour moi et préférait ma compagnie à toute autre. Peut-être parce qu'elle et moi étions des enfants uniques, et que nous avions des goûts que frères et sœurs d'une grande famille ne pouvaient comprendre. Peut-être m'était-il plus facile de rester assise, tranquille. Quoi qu'il en soit, j'appréciais d'être, pour la première fois, la favorite, et chaque jour, je rendais visite à Olivia. Je continuais aussi à m'occuper du jardin et Mrs. Thomas me fit cadeau d'un bout de terrain où je pouvais semer des graines.

Quelle joie pour moi de continuer à jardiner et à gratter le sol! Olivia restait étendue sur une couverture dans l'herbe près de moi. La terre préparée et les graines semées, il n'y eut plus qu'à patienter. Le lendemain, la famille Owen organisa un pique-nique, et le surlendemain Philippe nous entraîna, Janine et moi, à une balade à bicyclette sur la côte pour voir les nids des goélands. Ces plaisirs m'occupèrent et ce ne fut que dans la soirée du troisième jour que je retournai chez Olivia.

Elle était allongée devant la fenêtre ouverte, dont j'enjambai agilement l'appui; je m'assis sur le lit, mais Olivia ne parut pas contente de me voir, et tout d'abord ne répondit pas à mon babil.

— Qu'y a-t-il? demandai-je plutôt agacée.

— Pourquoi n'es-tu pas venue, Elaine? Je t'ai attendue deux jours entiers, toute seule, et tu m'as complètement oubliée. Tu ne te soucies pas de moi.

— C'est tout faux! fis-je, énervée. Je ne t'oublie pas du tout. Nous étions occupés. Je regrette, vraiment je regrette, Olivia, mais nous avons été aux grottes, puis au bord de la mer. Janine et Philip désiraient que j'aille avec eux et...

Je me tus, car Olivia avait enfoncé sa pauvre figure pâlotte dans l'oreiller et sanglotait amèrement.

— Désormais je ne pourrai plus rien faire, gémit-elle, je serai probablement toujours une infirme et personne ne voudra continuer à être mon amie. Oh! je voudrais mourir!

Je ressentis un vrai chagrin pour elle en cet instant et j'entourai ses épaules de mon bras.

— Je veux continuer à être ton amie, Olivia, dis-je réellement émue. Seulement, je dois aussi accompagner les autres. Je suis très, très triste que tu sois infirme, et quand je pourrai, je viendrai. Tu ne dois pas être fâchée si ce n'est pas chaque jour, car bientôt l'école recommencera, et j'aurai pas mal de devoirs et d'obligations. Mais je te promets de faire mon possible.

— N'aimes-tu pas à me rendre visite? fit-elle en se retournant et en reniflant pathétiquement.

— Bien sûr que j'aime, mais j'aime aussi rester avec Jan. Décidément, je la trouvai pas mal égoïste.

— Oh! je sais que tu me préfères beaucoup Janine, répliqua Olivia en disparaissant sous son drap.

Et parce que je n'avais jamais été malade et parce que nul ne m'avait enseigné à penser aux autres, je m'impatientai, et, en guise d'adieu, je lui dis que je reviendrais quand elle serait de meilleure humeur — et je me dirigeai vers le Presbytère.

Le trimestre d'été débuta peu après et je fus très prise J'avais cessé d'apprécier autant la compagnie d'Olivia, car elle passait la plupart du temps à grogner et à bouder parce que je n'avais pas été vers elle le jour précédent, et souvent nous nous querellions. J'oubliais que, moi aussi, je m'étais sentie mise à l'écart et que je m'apitoyais sur moi-même pour des raisons bien moins valables que celles d'Olivia. Peu habituée à accomplir ce qui ne me convenait pas, j'espaçai mes visites de plus en plus. Janine montait quand elle pouvait, mais elle se lassa d'entendre sans cesse demander où j'étais et pourquoi je n'étais pas venue.

— Tu ferais bien d'y aller aujourd'hui, Elaine, me dit-elle un jour, assez anxieuse, tandis que nous roulions à bicyclette au retour de l'école. Elle t'aime bien plus que moi.

— Je ne vois pas pourquoi, fis-je exaspérée. Elle est tellement gâtée, tellement égoïste. Tout ce qu'elle sait faire c'est de grogner et de s'informer pourquoi je ne vais pas vers elle chaque jour. Elle ne peut admettre que je sois ailleurs qu'auprès d'elle.

Janine resta silencieuse. Puis elle soupira, songeuse:

— Ce doit être joliment affreux d'être privée de courir. Je pense quelquefois, Elaine... que si nous lui parlions de Jésus, elle serait alors plus heureuse. Daddy a eu plusieurs entretiens avec Mrs. Thomas, mais jamais elle ne va à l'église et Olivia ne prie jamais, ni ne lit la Bible. Mrs. Thomas a demandé pourquoi Olivia était devenue infirme si Dieu existait vraiment. Puis elle a dit qu'elle ne s'embarrasserait pas de religion. J'ai entendu Daddy confier cela à Mammy, mais n'en parle pas: je ne suis pas censée l'avoir écouté.

Je fus troublée, car j'avais eu la même idée. Mais je savais qu'il était vain d'essayer de parler de Jésus à Olivia quand je me chicanais avec elle, que je perdais patience et que je rechignais à aller la voir. Je me rappelai les mots de Janine la nuit où j'avais accepté Jésus: «Papa dit que cela n'aurait pas été bien que nous te parlions de Jésus... puisque nous étions si égoïstes.»

Il faudrait que j'y réfléchisse, mais pas à présent. Nous arrivions au Presbytère et j'avais faim. En trombe, j'entrai à la cuisine où l'on servait le thé, et dévorai cinq épaisses tranches de pain et de confiture et bus quatre tasses de thé. Mrs. Owen riait.

— Elaine, remarqua-t-elle alors que je me levai pour sortir, il nous faudra te peser, tu as pris des livres pendant les vacances de Pâques, et je ne crois pas que ta maman te reconnaisse! La campagne te réussit. Il te faut rester avec nous pour toujours...

Je lui souris et m'échappai, jubilante, sous les neigeux arbres de mai qui étendaient leurs ombres sur les champs et sur la colline où pâquerettes et boutons-d'or refermaient leurs pétales. Tout le long du chemin, je dansai. De ma vie je n'avais éprouvé autant de force, de vivacité et de légèreté. Oui, Mrs. Owen avait raison, la campagne me réussissait et en aucun cas je ne retournerais à Londres. J'aurais du plaisir à revoir Mammy occasionnellement, mais elle devait venir me voir ici dans ce pays de lumière, de chants, de couleurs qu'était le mois de mai.

J'atteignis toute rose et hors d'haleine la fenêtre d'Olivia, et mon enthousiasme tomba à plat à la vue de sa figure irritée et livide. Du thé et une assiette de biscuits glacés étaient intacts près d'elle. Je m'assis en tournant le dos à ces délices qui me mettaient l'eau à la bouche.

— Pourquoi n'es-tu pas venue hier? commença Olivia à son habitude. Je t'ai attendue tout l'après-midi.

— Trop de devoirs, répliquai-je brièvement, et je ne peux pas rester longtemps cet après-midi. Nous avons pu quitter l'école seulement à quatre heures et demie; et les jeux ont duré tard. Sais-tu, Olivia, maintenant nous jouons au tennis, c'est formidable!

— Comme j'aimerais jouer au tennis, soupira Olivia, et aussi aller à l'école! C'est terriblement monotone de faire ses leçons toute seule. J'ai essayé aujourd'hui, mais ce n'est pas amusant. Dis-moi celles que tu as à faire. Je voudrais savoir si ce sont les mêmes que les miennes.

À suivre