Le jardin de l'arc-en-ciel (suite)

Mal à l'aise et le coquillage dans sa poche, Elaine enjambe le mur et se trouve face à face avec Elwyn, le pâtre, chargé de veiller sur la propriété de M. Thomas, père d'Olivia. Il lui interdit d'entrer dans le jardin. — Elaine choisit son moment pour offrir le coquillage à Philip. Sera-t-elle enfin aimée, admirée? La lecture du soir augmente son trouble.

Chapitre 9 - L'aventure du bois de hêtres

Des examens finis, la pluie nous réveilla au premier matin des vacances de Pâques. Chacun avait fait ses plans de sortie, mais au petit-déjeuner un véritable déluge nous  obligea tous à organiser notre journée dans la maison. Mrs. Owen distribua aux aînés un travail qui nous prit quelques heures. Janine et moi frottions l'argenterie sur la table de la cuisine, tandis que Philip, à nos pieds sur des journaux, cirait les souliers. Nous bavardions gaîment et faisions maints projets. Mrs Owen, aidée de Blodwen, lavait du linge dans un baquet sur l'évier tout en nous contant d'amusants souvenirs de son enfance. Les plus petits jouaient avec Cadwaller. À onze heures, la besogne terminée, on nous offrit du chocolat chaud et des biscuits.

Philip dessinait une grande carte du district qu'il voulait afficher à la paroi du musée. On y lisait des inscriptions telles que: «Étang des poules d'eau», «Cachette des orchis-papillons», «Coin des champignons rouges et tachetés», «Dans cet arbre un hibou y fit son nid trois années de suite». Philip aimait, pour travailler, étaler son papier sur le plancher. Or Lucy s'obstinait à y voir un passage pour piétons qu'elle devait à tout prix traverser, et il fallait constamment l'en écarter. Elle était particulièrement décidée ce matin-là et persistait à viser dangereusement l'encrier.

— Dites donc, les filles, s'insurgea Philip en levant son visage en feu, ne pourriez-vous pas vous occuper de notre vieille Lucy? — Non, Lucy chérie, tu ne peux pas... Oh! regardez..., voilà un Bobby* devant notre portail. Je me demande ce qu'il veut. Peut-être que Cadwaller a tué une autre poule... vite, Cadwaller! cache-toi, bon chien!

* Nom populaire d'un policier en Angleterre.

Tous, y compris Lucy, s'étaient rassemblés à la fenêtre. Par bonheur, aucun ne me regardait, car j'étais devenue blanche et glacée, et j'éprouvais un sourd malaise au-dedans de moi. À supposer que ce ne soit pas à Cadwaller, mais à moi qu'il en veuille? Et si Olivia revenue avait constaté que son coquillage manquait et qu'Elwyn, le pâtre, ait parlé?

J'arrêtai de supposer, me glissai dans la cuisine, puis dehors par la porte de service. Quoi qu'il arrive, j'étais plus en sûreté hors de vue.

— Où vas-tu sans ton imperméable? me cria Blodwen de devant son évier.

Mais je n'y pris pas garde. Toutes les peurs enfouies en mon cœur depuis une semaine se dressaient devant moi. Je courus sur la colline aussi vite que mes jambes tremblantes me le permettaient. Je ne savais pas où j'allais, mais j'évitai résolument la villa d'Olivia. Je pris un sentier escarpé qui traversait les pâturages des moutons, regardant à peine les gras agnelets d'avril qui se sauvaient en gambadant devant moi. J'oubliais que sur ce sentier, on pouvait me voir des fenêtres du bureau de Mr. Owen.

J'étais à présent au niveau des hauts plateaux au-dessus de la ferme. La pluie avait cessé. Sur les collines, un ciel limpide d'un bleu turquoise, et où que se porte le regard, monts et vallées se succédaient, pointillés de moutons. Au loin, vers le Sud, le soleil éclairait les hautes montagnes et je voyais les cimes pourpres de la chaîne des Snowdon. Malgré ma panique, je savais que je ne pouvais atteindre ces grands rochers. Je devais trouver une cachette plus proche et j'inspectais furtivement les environs. À ma droite, une réserve de faisans dont l'accès était défendu, mais peu m'importait d'enfreindre l'interdiction. Si la police était à mes trousses, il fallait à tout prix me cacher.

Petite et mince, je pus me faufiler entre les barreaux du portillon, et je trottinai sur le chemin, trop essoufflée pour courir. En dépit de mon affolement, j'étais sous le charme de ce bois. Les tendres hêtres gris éclataient en feuilles minuscules semblables à de pâles plumes, et le sol s'étoilait d'anémones et de primevères. Des scyllas perçaient la couche roussâtre des feuilles d'automne, et dans une fondrière, je vis un étincellement de populages. Tout à coup, un coq de bruyère s'éleva à grand bruit devant mes pieds et me causa une terrible frayeur. Mais l'air résonnait surtout d'échos légers: le bêlement lointain des agneaux, le roucoulement des ramiers, la palpitation des petites ailes agiles et le gazouillis des oiseaux bâtissant leurs nids. Des branches en arceaux se rejoignaient au-dessus de ma tête et je me sentais presque dans une église.

Parvenue à une jolie clairière au cœur de la forêt où s'élevait une pile de bois, je m'y assis, essayant de réfléchir. Si je m'éloignais trop, je rejoindrais la route, ce que je redoutais. Qu'allait-il advenir par la suite? Je ne le savais pas. Et plus je songeais à tous ces événements, plus je comprenais que je ne pouvais revenir sur mes pas. Affronter l'agent de police, puis Janine et Philip qui jamais ne disaient de mensonges? Impossible! Ils me trouveraient par trop mauvaise et ridicule. De plus, que ferait le policier? J'ignorais si, oui ou non, l'on emprisonnait les enfants de mon âge, mais certainement on les punissait... et que dirait ma mère?... Et Mrs.Moody?

Longtemps, je restai sur la pile de bois. L'heure du dîner devait être bien passée, mais je n'avais pas faim. Je demeurais si tranquille, plongée dans mes craintes et mes tourments que, devant moi, un écureuil se mit à jouer, sautant de rameau en rameau. Un bébé lapin, aux yeux brillants, batifolait parmi les scyllas, et les oiseaux affairés voletaient ici et là. Tous joyeux, actifs, sans inquiétude, sauf moi.

Soudain je fus frappée par une découverte inoubliable: la beauté d'une touffe de pain de coucou surgissant près de moi d'un lambeau d'écorce. J'arrachai l'écorce et tins dans ma main tout le bouquet blanc pareil à un jardin de fées, quand tout à coup le silence fut rompu par les aboiements d'un chien et le bruit de pas lourds et rapides à travers la forêt.

Les policiers! Je fus glacée d'effroi. Peut-être me pourchassaient-ils avec leurs chiens? J'avais lu cela un jour. J'émis un faible cri auquel répondit un aboiement de joie, et Cadwaller, bondissant entre les arbres, posa ses pattes sur mes épaules et se mit à me lécher, au comble du contentement. Derrière lui apparut Mr. Owen. Je levai les yeux vers lui, poussai un gros soupir de soulagement, puis éclatai en un déluge de larmes.

Il s'assit à mes côtés sur le tas de bois, m'entoura de son bras et m'apaisa comme si j'avais été Janine. Quand enfin je fus capable de me contrôler, il me dit très doucement:

— Pourquoi t'es-tu sauvée, Elaine? l'agent de police t'a-t-il épouvantée?

Ainsi il savait, et on me cherchait; plus tôt j'aurais ouvert mon cœur, mieux cela vaudrait. Et quoi qu'il en soit, avec Cadwaller blotti contre mes jambes et ce bras fort et aimant autour de moi, je pressentis qu'après tout, il serait possible d'envisager les conséquences de mes actes et de continuer à vivre. Je hochai la tête et ravalai mes sanglots.

— Mais pourquoi t'es-tu épouvantée, Elaine? reprit Mr. Owen. L'agent voulait simplement te poser quelques questions. C'est donc moi qui te les poserai et demain nous irons lui dire ce qui en est.

— Que me fera-t-il? balbutiai-je.

— Mais rien, Elaine, fit-il perplexe. Je présume que tu n'as point fait de mal. Écoute, il y a eu un vol dans la villa de Mr. Thomas et Elwyn dit t'avoir vu jouer dans le jardin. Alors la police voudrait savoir si toi, tu as vu quelque chose, si tu sais depuis combien de temps on a forcé la fenêtre et si tu as été dans la maison, parce qu'on a relevé les empreintes boueuses de pieds d'enfant.

Je ne bougeais pas. Tout tourbillonnait dans ma tête. Étais-je le voleur ou y en avait-il un autre? Qui avait fracturé la fenêtre et fouillé les tiroirs? Pas moi. Ou croyaient-ils que c'était moi?

Raconte tout, dit finalement Mr. Owen.

La forêt se taisait comme si les oiseaux et les fleurs retenaient leur souffle dans l'attente de ma réponse. À bâtons rompus, je me risquai à parler.

— Je n'ai pas ouvert la fenêtre. Vraiment je ne l'ai pas ouverte... j'ai seulement été voir les coquilles... j'en ai juste pris une... j'ai cru que les coquillages n'avaient pas beaucoup de valeur... puisqu'ils sont à tout le monde et qu'on est libre de les ramasser... et ils disent tous que je suis si stupide... et ils me laissent toujours en arrière... et je ne connais rien aux oiseaux... et j'espérais qu'ils m'aimeraient si je rapportais une coquille... et j'ai dit que je l'avais trouvée sur la plage. Et Philip semblait si content... et voilà... ils penseront que je suis une horrible fille... et je ne savais pas qu'elle appartenait à Olivia...

Désespérée, je débitai cela tout d'un trait. J'avais tout avoué et ne pouvais imaginer ce qui suivrait. Pourtant, chose étrange, mon cœur se sentait plus léger.

— S'il vous plaît, Mr. Owen, s'il vous plaît, ne me conduisez pas à la police, bredouillai-je. Faites venir Maman, qu'elle me ramène à la maison. Je suis si malheureuse et maintenant tout sera encore pire.

Implorante, je le regardai timidement. Il avait une expression attristée.

— Tu ne dois pas t'effrayer ainsi, Elaine, me dit-il d'un ton paternel. L'agent n'est pas venu pour te parler de la coquille; il ne sait rien de cela et n'a pas besoin d'en rien savoir. Il s'agit d'un vol important — couvertures, rideaux, argenterie, et divers autres objets. Cela ne te concerne pas du tout. Les policiers supposent seulement que tu as peut-être surpris un homme traînant autour du cottage et que tu peux leur expliquer la présence de ces petites traces de pieds. Il ne faut pas t'effrayer. Toi et moi traiterons à nous deux le sujet de la coquille.

Un jour, tôt le matin, j'ai vu un homme, murmurai-je. Il lorgnait à l'intérieur par la fenêtre.

— Bon. Ainsi tu pourras aider quelque peu la police, m'encouragea Mr. Owen. Philip va être joliment jaloux de ce que tu aies vu un véritable voleur! Nous irons ensemble demain au commissariat et tu décriras comment était l'homme. C'est tout. Donc, oublions cela et parlons de la coquille. Tu l'as prise parce que tu voulais procurer à Philip une belle trouvaille pour le musée, et tu as prétendu l'avoir ramassée sur la plage.

— Oui, chuchotai-je.

Il y eut un court silence que rompit Mr. Owen.

— Cela t'a-t-il rendue heureuse?

Je secouai la tête.

— J'avais peur qu'on découvre la vérité.

— Ceci n'est pas l'unique raison de ton angoisse, reprit Mr. Owen. Tu étais angoissée parce que tu avais volé et dit un mensonge. Le péché nous rend toujours malheureux. Ne te rappelles-tu pas l'histoire d'Adam et d'Ève que nous avons lue hier-soir?

— Oui, répondis-je. Ils vivaient aussi dans un beau jardin... Moi, je n'y allais que pour le voir pousser. D'abord je n'avais pas l'intention de prendre quoi que ce soit... Le jardin était si beau et si tranquille et les oiseaux chantaient... il y avait des perce-neiges, mais je n'ai même pas cueilli une fleur.

— Bien sûr, Mr. Thomas n'aurait pas trouvé à redire à ce que tu joues dans le jardin. T'u l'aimais et tu y étais heureuse jusqu'à ce que tu aies pris la coquille, tout comme Adam et Ève furent heureux jusqu'à ce qu'ils aient désobéi. Pourquoi crois-tu qu'ils furent alors malheureux?

— Parce qu'ils avaient peur.

— Oui, ils avaient peur. Et bien plus que cela, leur péché s'était interposé entre eux et Dieu comme un nuage s'interpose entre nous et le soleil. Le soleil est bien là, mais nous ne pouvons plus en jouir. Le nuage l'a caché et tout est froid et sombre. Il n'est qu'une seule place où nous puissions trouver le vrai bonheur, ce que la Bible appelle «la plénitude de joie».

Je sursautai presque en entendant les mots familiers et je levai vivement la tête.

— Je sais le verset, dis-je à voix basse, Janine me l'a appris: «Dans le ciel il y a plénitude de joie».

Mr. Owen rit.

— Alors ce que t'a dit Janine n'est pas juste. De ce bonheur, tu peux en jouir maintenant. Voici le texte: «Tu me feras connaître le chemin de la vie; en ta présence il y a une plénitude de joie». Cela signifie que partout, ici dans la forêt ou à la maison, si tu marches sur le sentier de la vie tout près de Dieu, tu peux être parfaitement heureuse. Seul le péché nous sépare de Dieu. Il te suffit de découvrir comment le péché peut être enlevé, et tu connaîtras le secret de la joie parfaite.

Je demeurai immobile, me sentant au bord d'une grande découverte, et durant quelques minutes j'oubliai même ma faute.

— Comment? demandai-je.

— C'est une longue histoire, Elaine, la plus belle histoire du monde. C'est pour ôter le péché que Jésus est venu comme homme sur cette terre. À la croix, Il prit sur lui ce péché qui était entre nous et Dieu et Il fut puni à notre place. Comme l'explique la Bible, Il a enlevé de notre route l'obstacle du péché et l'a cloué à la croix. S'il y a quelque chose entre deux personnes et que quelqu'un vienne et l'enlève, que reste-t-il?

—Rien, dis-je

À suivre