Le jardin de l'arc-en-ciel (suite)

Petite londonienne, Elaine a appris la beauté de la nature par son jardin. Connaîtra-t-elle un jour le bonheur que l'on ressent à s'occuper d'autrui plutôt que de soi-même? À la Lecture du soir, Mr Owen a parlé de Celui qui allait de lieu en lieu faisant du bien; mais qui était-Il? — Philip a décidé de créer un musée d'histoire naturelle: nids, œufs, fleurs séchées, etc. — Elaine retourne à son jardin et découvre que la maison de l'Arc-en-ciel a une vitre brisée. Curieuse, elle enjambe la fenêtre et découvre un merveilleux coquillage pour le musée de Philip.

Alors, parce que j'étais si malheureuse et que j'aspirais tant à être admirée, une terrible pensée me vint. Il y avait un si grand nombre de coquilles dans la vitrine... si j'en prenais une, en déplaçant un peu les autres, qui le saurait? Ce n'était pas vraiment voler, me disais-je, les coquilles sont à tout le monde puisque chacun peut en ramasser sur la grève. Et Philip regretterait de m'avoir traitée de sotte, et Janine, elle, me déclarerait très capable. La coquille ne manquerait à personne, nul ne s'apercevrait de son absence puisque c'était une maison inhabitée.

Pendant au moins cinq minutes, je tins le coquillage dans ma main, essayant de me persuader que cela n'avait pas d'importance. Puis je le fourrai dans ma poche, enjambai la fenêtre et sautai dans le jardin.

Tout y était tranquille; une fine pluie tombait doucement. Sur les collines, un coin de ciel se frayait un passage à travers la grisaille. Les fleurs repliaient leurs pétales et je m'imaginais qu'elles détournaient de moi leur visage. Les oiseaux ne chantaient plus. C'était un triste jardin de crépuscule, et j'eus hâte de m'en échapper et de courir à la maison aussi rapidement que possible. À toute vitesse je gravis l'échelle et basculai dans l'herbe détrempée. En me relevant je criai presque: Elwyn, le jeune pâtre, se tenait devant moi, me dévisageant d'un air critique.

— Que fais-tu là, Elaine? fit-il lentement (car il avait moins l'habitude de parler l'anglais que le gallois). C'est la maison de Mr. Thomas et il n'a pas dit que tu pouvais y entrer.

Je fus terrifiée; c'était comme si les yeux ronds d'Elwyn fouillaient jusqu'au fond de ma poche. Je serrai étroitement ma coquille et tournai vers lui mes joues en feu.

— J'ai... j'ai la permission, bredouillai-je, j'ai la permission de surveiller le jardin, c'est tout. Je n'ai jamais été dans la maison, seulement dans le jardin... Oh! s'il te plaît, Elwyn, ne dis rien... J'ai la permission!

Il me fixait. C'était un sombre, stupide garçon. Il m'aurait probablement crue si je n'avais pas eu une attitude si coupable. Il branla lentement la tête.

— Mr. Thomas a dit que je devais avoir un œil sur son domaine et tu ne dois pas y revenir, Elaine, ou je te dénonce à Mrs. Owen. Ce n'est pas la première fois que tu viens ici. Je t'ai déjà vue.

— Non, non, me défendis-je, tremblante, je n'irai jamais dans la maison. Je viens uniquement dans le jardin.

Je passai devant Elwyn, dégringolant la colline, le cœur en déroute; mais avant d'atteindre le presbytère je me calmai quelque peu. Elwyn était un garçon si benêt qu'il oublierait sûrement tout ceci; du reste, j'avais bien dit que je n'allais que dans le jardin. Il y avait des douzaines de coquilles: qui remarquerait qu'il en manquait une? Pendant un bout de temps, je n'oserais remonter là-haut; d'ailleurs, je n'y songeais pas; ce lieu que j'aimais si chèrement, ce sanctuaire de paix m'était soudain devenu étranger et m'effrayait.

Je m'arrêtai pour réfléchir. Qu'allais-je faire de la coquille? C'était imprudent de la leur donner ce soir: ils sauraient que je n'avais pas été à la plage. J'attendrais à lundi après l'école et m'éclipserais jusqu'au rivage pendant que Janine babillerait avec ses compagnes. Je rentrerais plus tard au logis, seule, mes poches pleines de coquillages en guise de cadeau pour le musée, et tout serait facilité. Je fis donc en sorte d'être de fort bonne humeur quand, assez sûre de moi, je pénétrai en flânant dans le hall. Janine, toujours prompte à apaiser une querelle, vint à moi en courant me supplier de me joindre le lendemain à elle et à Philip. Froidement, je refusai et prétextai qu'ayant un projet personnel j'irai probablement de mon côté.

Elle eut l'air déconcertée.

Je fus particulièrement silencieuse au souper; à une ou deux reprises, Mrs. Owen regarda ma figure pâle et troublée et quand Philip bondit de sa chaise et ouvrit la Bible devant son père, j'eus une forte envie de me sauver. Depuis peu je m'intéressais vraiment à cette lecture, mais ce soir, cela ne me disait rien de l'écouter.

— Voyons, fit Mr. Owen. Où en étions-nous restés? C'était au troisième chapitre de la Genèse...

— Nous en étions là où Adam et Ève ont dérobé le fruit, s'interposa vivement Janine, et ils se cachent de Dieu...

— En effet, reprit son père.

Et de sa belle voix qui faisait vivre le récit, il lut la triste, si triste histoire d'un homme et d'une femme chassés d'un beau jardin dans lequel ils étaient si heureux, condamnés à la douleur et à la mort — et tout cela parce qu'ils avaient mal agi. Pourquoi avaient-ils été si heureux dans ce jardin? Parce que Dieu était avec eux; mais le péché les sépara de Dieu et il ne leur resta que la désolation. C'est ce que nous expliqua Mr. Owen, et les enfants, le menton dans leurs mains, fixaient gravement leur père. Moi, je regardai mon assiette, mi-attentive, mi-perdue dans mes pensées. La prière achevée, je dis avoir mal à la tête et demandai la permission d'aller me coucher.

Quand je fus au lit, Mrs. Owen monta, prit ma température et me fit avaler une aspirine. Elle s'installa auprès de moi, me parlant de son ton maternel comme si j'étais sa propre enfant. J'eus l'ardent désir de jeter mes bras autour de son cou et de tout raconter — mais, naturellement, si elle savait que j'étais une voleuse, elle ne m'aimerait plus du tout et peut-être me renverrait-elle. Aussi, impassible, je la laissai parler. Et lorsqu'elle m'embrassa en me disant bonne nuit, je me détournai, et elle s'en alla tourmentée et chagrinée.

Allongée dans le noir, je réfléchissais. Cette histoire me semblait écrite pour moi. «Le Seigneur Dieu les chassa hors du jardin». Je compris que même si je réussissais à me faufiler sans être vue par Elwyn (ce que je n'oserais faire), mon jardin ne serait plus ni aussi beau ni aussi paisible après ce que j'avais fait.

Qui sait? Peut-être Dieu m'attendait-il parmi les fleurs du printemps pour me rendre heureuse, comme Adam et Ève? Et mon péché avait tout gâté. Puis je me souvins d'autre chose. Jamais je ne verrais l'éclosion des œufs, et dorénavant la grive ne partagerait plus ses secrets avec moi. Les pâles bourgeons éclateraient et les frêles plantes de la rocaille croîtraient vigoureuses sous le soleil et les pluies d'avril, et moi je ne serais pas là. Je fourrai ma tête dans l'oreiller et pleurai. Quand survint Janine, je fis semblant de dormir.

Le lendemain, le soleil brillait. Je me sentis mieux et tout au long du dimanche j'essayai d'être sage et serviable pour effacer l'impression du soir précédent; le lundi matin, je fus prête avant Janine pour m'occuper des bébés. Lucy s'agitait de-ci de-là dans son berceau, impatiente d'être habillée.

Content, content! chantait-elle à un diapason suraigu, en secouant ses barreaux.

Je la soulevai et la posai doucement sur le plancher. Ce fut facile de lui ôter sa chemise de nuit, mais impossible de lui enfiler sa camisole. Elle fermait ses poings, se raidissait et, tandis que je cherchai à l'amadouer, elle s'aplatit sur le sol et donna des coups de pied. Plus je me fâchai, plus elle gigotait et ricanait jusqu'à ce que, exaspérée, je la claquai. Sa bouche s'abaissa en une grimace, puis elle l'ouvrit pour crier; elle la referma soudain et un éclat de joie parut sur, ses traits. Elle se mit debout et, trébuchant, s'en fut vers la porte, rayonnante au travers de ses larmes.

— Zan, Zan! hurla-t-elle, en se précipitant dans les bras de Janine; elle s'agrippa à elle comme s'il y allait de sa vie.

— Tu ne dois pas claquer Lucy, s'indigna Janine, qui, sans la moindre difficulté lui passait ses vêtements. Elle est encore un bébé. De plus, elle prendra froid si tu la laisses nue par terre. Tu ne sais vraiment pas t'y prendre avec un bébé, Elaine.

C'était exact, et je n'y tenais pas. Je descendis déjeuner, détestant du fond du cœur tous les bébés. «Ils sont absurdes, maladroits, poisseux, bruyants», pensais-je en observant, dégoûtée, Robin qui se barbouillait de marmelade. Lucy tapait de sa cuiller sur sa chaise haute, tant et si bien qu'on ne s'entendait plus. Comment Mrs. Owen pouvait-elle les supporter? Je fus soulagée de les abandonner à leur vacarme, bien que l'école ne vaille guère mieux. J'étais distraite, effrayée, inquiète et j'attrapai ma première mauvaise note pour inattention. Janine, qui essayait de me témoigner sa sympathie, tourna tant de fois la tête vers moi qu'elle finit par récolter, elle aussi, une mauvaise note. C'était, certes, gentil de sa part et j'aurais voulu me joindre à elle pour rouler à bicyclette à la maison, mais je devais mettre mon projet à exécution et, au moment où l'on nous rendit la liberté, je m'éclipsai loin du groupe tapageur qui entourait toujours Janine et me dirigeai vers la plage.

Ce n'était pas un coin où trouver des coquillages. Pourtant j'en récoltai quelques-uns tout ordinaires et les glissai dans ma poche avec mon trésor que je ressortis pour l'exposer au soleil. Il était couleur lavande, et quand je le présentai face à la mer, il se teinta de vert; une fois de plus, il me sembla encore plus beau. Toutefois, je ne voulais pas m'appesantir là-dessus. Je courus sur les galets, puis pédalai à la poursuite de Janine, qui déjà se dirigeait vers la maison.

— D'où viens-tu? s'informa-t-elle.

— De la grève, répondis-je, hors d'haleine. J'ai rapporté des coquilles pour le musée, et une surtout qui est magnifique. Je n'en connais pas d'aussi belle.

— Fais-moi voir, fit Janine en bloquant son frein. Je branlai la tête et pédalai plus avant.

— Lorsque nous serons à la maison, et que Philip sera là, décrétai-je.

Et chacune de foncer sur la grand-route pour obliquer vers la rampe conduisant au Presbytère. Des mélèzes vert émeraude bordaient le talus et l'air sentait bon les primevères. Le nez de Janine se plissait comme celui d'un lapin et elle se mit à chanter de joie à la perspective de rentrer à la maison. Moi, je suivais derrière elle, silencieuse et nerveuse.

Philip était déjà de retour, son école étant plus proche. Accaparé par la confection d'une nouvelle boîte pour ses œufs d'oiseaux, il se borna à un grognement à notre arrivée.

— Vite, Elaine, montre-nous! (Janine s'impatientait.) Philip, elle dit qu'elle a trouvé sur la plage une coquille spéciale et très rare. Sors-la, Elaine.

— La plage ne vaut rien pour les coquilles, rétorqua Philip, y jetant un bref coup d'œil — tu as fait un long bout de chemin pour... oh! mazette... dis-donc, Elaine, tu n'as pas réellement découvert, ça sur notre plage, n'est-ce-pas?

Bien sûr, ripostai-je, provocante. Si tu ne me crois pas, demande à Janine. Elle sait que j'y suis descendue après la classe.

— C'est bon, ne t'emballe pas, répliqua Philip, m'examinant avec surprise. Personne ne prétend que tu n'y es pas allée, seulement c'est très étrange. Elle doit avoir été roulée pendant des milles et des milles d'une côte lointaine. On lui réservera une place de choix dans notre musée. C'est rudement chic, Elaine!

Janine la tenait dans ses mains, la tournant et la retournant à la lumière. Les bambins, réunis autour de nous, se dressaient sur la pointe des pieds.

— Elle ressemble aux coquilles d'Olivia qui sont dans le buffet chinois, dit Janine, émerveillée. Qu'elle est belle, Elaine! Regarde, la voici d'abord rose, puis bleue, puis mauve! Il faut la montrer à Daddy.

Ils s'engouffrèrent dans le bureau de Mr. Owen où celui-ci écrivait des lettres, mais je restai à l'écart, mal à l'aise. J'entendais souvent parler d'Olivia, une fillette du village qui avait eu la poliomyélite et avait passé tout l'hiver à l'hôpital. Mais où vivait-elle, et quand reviendrait-elle?

Mr. Owen s'adressa à moi par-dessus les têtes de ses enfants excités.

— Tu l'as ramassée sur la plage, Elaine? questionna-t-il d'une drôle de voix. C'est une trouvaille vraiment extraordinaire. Elle est pareille à de la nacre. Ou bien quelqu'un l'a laissée tomber, ou bien elle a été amenée par la marée de l'autre bout du monde. C'est gentil à toi de prêter au musée un tel trésor.

— Oui, merci beaucoup, Elaine, dit Philip, précipitamment avant qu'il ne me vienne à l'idée de la garder. C'est formidable de ta part... Allons voir où nous pouvons la ranger. Ce sera notre pièce la plus précieuse.

De la porte, ils se bousculèrent sur l'escalier jusqu'au grenier. Mrs. Owen me sourit tendrement et je fis de même. Puis, au lieu d'aller avec les autres en haut, je la suivis à la cuisine.

— Tantie, où habite Olivia?

— Eh bien! dans le cottage sur la colline. Nous espérons qu'elle va bientôt être de retour. Sa mère m'a fait savoir qu'elle allait mieux.

Je tournai le dos et m'en fus dans le jardin. Cadwaller trottait après moi et frottait sa bonne vieille tête contre mes jambes, comme s'il devinait mon angoisse. Je m'agenouillai sur le sentier et enfonçai ma figure dans sa toison poilue, entourant son cou de mes bras. Cadwaller, lui, ne se souciait pas de ce que j'avais fait. J'avais pu voler, mentir et tout le reste; pour Cadwaller, je n'étais qu'une malheureuse petite fille assoiffée de consolation. Il tira la langue et me lécha.

À suivre