En otage (suite et fin)

Sains et saufs, Madou et Laurent sont de retour à la maison.

Mme Baudrimont demande au Seigneur d'être dorénavant une mère attentive et une épouse soumise.

Jo, libéré, est gardé à l'œil par la Police. Il désire commencer un travail honnête et compte sur le secours de son divin Ami. Jane la Brune médite vengeance!

Seulement, Jane était alcoolique, et lorsque son besoin de boire lui ôtait toute jugeote, elle perdait le fil de ses idées; son cerveau ressemblait alors à une fabrique de brouillard. Elle était rentrée de Cheville-nay en nage, assoiffée, exténuée et en colère! Après avoir ingurgité trois verres de vin — ce qui ne l'avait pas désaltérée — les effets de l'alcool et de sa longue marche s'allièrent ensemble pour la plonger dans une irrésistible somnolence. Son corps et ses petites cellules grises perdirent leurs réactions. Elle s'allongea sur son canapé. Quelques minutes après, un ronflement sonore signalait que Jane avait momentanément coupé le contact avec la réalité. Sa volonté de vengeance fut reportée à plus tard, c'est-à-dire, au moment de son réveil, lequel se produisit vers une heure du matin.

Ni le vin, ni la lourdeur d'un sommeil de plomb n'avaient atténué son désir de représailles. Elle se leva pesamment, marmonna de vilaines paroles et composa un numéro au téléphone. Elle indiqua à la police le repaire habituel du chef et de sa bande. Lorsque le commissaire voulut connaître son nom, elle raccrocha.

Monsieur Belmont n'appréciait pas du tout les coups de téléphone anonymes, mais comme la personne lui avait donné des précisions intéressantes et quelques détails respirant la vérité, il décida d'en tenir compte. Au matin, lui-même avec quelques policiers tombèrent facilement sur les malfaiteurs, qui, surpris dans leur sommeil, ne les attendaient pas. Ils avaient compté sans la vengeance d'une femme.

Quant à Etienne Jonquière, il avait disparu.

* * *

Ce vendredi matin, Laurent se leva le premier. En dépit de son pansement, il trouva la vie belle et la liberté l'un des plus beaux cadeaux de Dieu. Encore imprégné des propos échangés avec Madou pendant leur séquestration, tandis qu'il s'étirait allègrement, il pensa que le Seigneur avait dépassé les limites du plus grand amour connu en se livrant aux hommes comme un prisonnier volontaire, alors que le ciel entier lui appartenait. Madou avait dit une fois: «Il a renoncé à sa gloire pour nous.» Sa gloire! Quelle était la signification de ce mot? Les adultes ont leur vocabulaire à eux, avec des expressions qu'il devinait très belles, mais parfois incompréhensibles. «Je demanderai à Maman — se dit-il — maintenant on peut lui poser des questions.»

Un joyeux murmure parcourait la campagne environnante. La terre semblait renaître et les arbres ruisselaient de fraîcheur sous la lumière de l'été. Il regarda par la fenêtre. Les roses du jardin lui parurent plus délicates et les coquelicots plus vermeils. Et tout ce soleil en réserve pour la journée, là, sous ses yeux, un soleil dont il pouvait profiter, n'était-ce pas merveilleux?

En vérité, rien ne pouvait assombrir son contentement. Hier, il était prisonnier. Aujourd'hui, il était libre comme la brise qui courbait l'herbe en vagues harmonieuses.

Il pensa: «Je vais vite descendre et demander à Maman la permission d'aller voir Madou. Il y a un pacte entre nous deux. On a tenu le coup ensemble.»

Nadège arriva discrètement près de lui.

— Oh! Laurent, j'ai peur! gémit-elle.

— Peur? mais peur de quoi? s'étonna-t-il.

— Eh bien, Marcel peut se venger à tout moment. Il est encore dans la nature, lui! Cette nuit, je n'ai pas fermé l'œil, il me semblait qu'il rôdait autour de la maison. Incrédule, Laurent répliqua vivement:

— Oh! dis, ça ne va pas dans ta tête. Si quelqu'un a peur en ce moment, c'est bien Marcel! La police va le retrouver.

— Je voudrais que tu dises vrai.

— Et puis, as-tu oublié? Le Seigneur nous a tellement gardés. Est-ce que tu crois qu'il va cesser de le faire?

Nadège observa le silence. Son cœur baignait encore dans l'incrédulité. Elle avait mis le doigt dans tant de situations culpabilisantes! L'idée du pardon ne l'effleurait pas. Elle paraissait aussi misérable que Laurent n'était joyeux et satisfait. Cette dernière année, les gestes d'amitié n'avaient pas abondé entre le frère et la sœur. Maladroitement, Laurent appuya le revers de sa main contre la joue de Nadège. «Faut pas t'en faire, dit-il, en cherchant ses mots. Même si on a péché très fort, le Seigneur Jésus nous aime plus fort que notre péché. C'est pour ça qu'il est mort.»

Des larmes perlèrent aux yeux de Nadège.

Le téléphone sonna. Ils se précipitèrent au rez-de-chaussée. Maman répondit.

— Allo! Oui, ici Madame Baudrimont.

— Oh! Monsieur le commissaire! C'est une très bonne nouvelle!

— Arrêtés! Dieu soit loué! Je vais prévenir toute la famille. Merci. À plus tard, Monsieur le commissaire.

Les deux enfants avaient entendu.

Est-ce qu'ils sont vraiment arrêtés tous les deux? demanda Nadège anxieuse.

— Oui.

— Et Etienne?

— Disparu.

— Disparu?

— Ne t'inquiète pas, Nadège, sans les autres, il ne peut pas faire grand-chose.

Dans un élan de compassion, Nadège murmura:

— Je pense à sa mère.

— Moi aussi, Nadège. C'est une bonne mère, un peu trop douce, et ce garçon la domine. J'essaierai d'aller la voir.

Papa descendit à son tour. On lui annonça la bonne nouvelle. Ce fut un extrême soulagement pour toute la maisonnée. Dans une courte prière il remercia le Seigneur de cette délivrance.

Épilogue

C'est de nouveau à moi, Laurent, de vous raconter la fin de notre histoire, comme au commencement.

Huit mois ont passé depuis le début des événements: vous vous souvenez, le hold-up?

Nadège est toute changée. Un soir, au salon, elle nous a dit qu'elle avait tout mis en ordre avec le Seigneur et qu'Il lui avait tout pardonné. Elle nous a aussi demandé pardon à nous. Depuis, on voit bien qu'elle cherche à vivre pour le Seigneur. Elle n'a plus jamais son air fâché contre tout le monde. Même mes camarades l'ont remarqué et je suis vraiment fier de ma grande sœur. Claudine et elle, comme autrefois, ne se séparent plus.

Madou vient d'être très malade. J'avais décidé, au milieu d'une belle matinée ensoleillée de la fin du mois d'août, de laisser Papa travailler seul jusqu'à midi et de passer un moment en compagnie de Madou. En sifflotant, j'enfourchai mon vélo et pris le raccourci du chemin de terre longeant le canal aux eaux tranquilles. J'étais presque sûr de trouver mon amie en train de jardiner ou de lire dans sa chaise longue, contre le hallier de troènes, son recoin préféré. Par beau temps, elle aimait mieux rester dehors qu'enfermée dans la maison. «L'hiver est assez long, me disait-elle souvent, il faut profiter des heures lumineuses de l'été pendant qu'elles sont là.» Mais je suis resté pétrifié devant la maison de Madou dont tous les volets étaient fermés, ce qui n'était pas du tout normal à cette heure-là. Madou devait être malade, peut-être paralysée dans son lit... Mon cœur battait très fort quand je me suis glissé dans la maison par un soupirail. J'ai gravi l'escalier quatre à quatre jusqu'à sa chambre. Je l'ai trouvée dans son lit toute pâle et faible. Elle a tout de même trouvé la force de me sourire. J'ai compris qu'il fallait vite téléphoner à Maman. Maman et le médecin sont arrivés presque aussitôt, puis l'ambulance a emmené notre Madou. J'ai entendu parler de crise cardiaque. J'ai cru que le Seigneur allait la prendre dans Son ciel et je Lai supplié de bien vouloir nous la laisser encore un peu. Quelques jours plus tard elle était hors de danger, m'a dit Maman.

Au bout de quelques semaines, Marianne — la fille de Madou — et son mari, sont venus parler à Papa et Maman. Ils voulaient installer Madou dans une maison de retraite, mais mes parents — qui ont toujours des idées formidables — ont proposé que Madou vienne habiter le Chalet. Vous savez, le Chalet c'est la petite maison que Papa a aménagée au fond de notre jardin près du petit bois. Comme ça nous pouvons veiller nous-mêmes sur notre Madou.

Madou habite donc au Chalet depuis le début d'octobre. Elle a emménagé avec une partie de ses meubles et de ses bibelots préférés, vous savez, ceux que l'on aime bien et qui nous ont suivis depuis que l'on est petit, comme moi, ma mappemonde lumineuse.

Maman dit que si Madou continue à vivre raisonnablement, «au ralenti», elle peut tenir le coup encore longtemps. Mais, quand même, c'est le Seigneur Jésus qui décide tout seul du jour où il nous invite dans sa belle Maison du Ciel. Ça, j'aime mieux ne pas y penser. Pourtant, Papa m'en touche un petit mot de temps en temps. Il veut préparer mon cœur au départ de Madou.

Papa a donné à Madou un petit coin de jardin. Elle aime toucher la terre, c'est son plaisir. Mais, mon père a dû sacrifier son talus, il était trop proche du Chalet. Il s'est retrouvé un «sanctuaire» (c'est son mot) dans le bois, au fond de notre terrain. C'est juste à l'endroit d'une minuscule clairière, avec le soleil qui dessine de beaux reflets sur les troncs blancs des bouleaux. Il y a installé un vieux banc de pierre et il s'est refait un refuge à lui, pour rencontrer le Seigneur. Il s'y rend souvent quand il a un problème, et la plupart du temps c'est à cause de nous, parce que nous ne sommes pas toujours obéissants ni aimables. Je le regrette. Il va aussi dans la clairière quand il n'y a pas de problèmes, simplement pour être avec le Seigneur Jésus, lui dire sa joie et son amour. Parfois, Maman le rejoint.

Ah! j'oublie de vous expliquer que nous avons installé, Papa et moi, une petite barrière du côté de Madou. Comme ça, elle a son entrée particulière et elle se sent vraiment chez elle. Madou peut recevoir ses amis comme elle veut. Avec le printemps qui a pointé le bout de son nez, elle a déjà fait des plantations devant l'entrée du Chalet.

Ce qui m'a fait le plus de peine, c'est d'avoir vu un jour la pancarte «A VENDRE» sur la clôture de son ancienne chère maison, celle où je suis allé si souvent.., si souvent... Au début, j'évitais de passer par là, tellement j'avais de chagrin. Mes parents en ont parlé entre eux, ils n'ont pas su que j'écoutais et que j'avais «pigé». J'ai compris que cette maison n'appartenait pas à Madou mais à ses enfants. Alors, si je ne suis pas trop stupide, je me dis qu'ils voulaient se débarrasser de leur mère pour récupérer l'argent.

Madou sait que ses enfants sont rebelles, mais elle ne se décourage pas, à cause du verset qui dit: «Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé, toi et ta maison» (Actes 16:31).

De temps à autre Marie Luban, la maman de Jo, vient passer le week-end avec Madou. Ces deux-là s'entendent mieux que des sœurs. Il faut les voir pour le comprendre.

Un petit secret: Quand Jo vient chez nous je crois qu'il aime bien parler avec Nadège; elle en a l'air enchantée d'ailleurs. Moi, je vous dis que ça va finir par un mariage, mais mon père me dit de m'occuper de ce qui me regarde.

Je vais terminer par un beau verset, même si vous trouvez bizarre qu'un garçon de mon âge ait choisi celui-là: «Lhomme libre qui a été appelé est l'esclave de Christ» (1 Cor. 7:22). Je vais vous l'expliquer à ma manière: Puisque Jésus venu du ciel m'a rendu libre en me pardonnant à la croix, je veux rester son joyeux et fidèle serviteur, toujours et toujours.

Fin