Le chien de Pépé (suite)
LE CHIEN DE PEPE
RÉSUMÉ DE I’ÉPISODE PRÉCÉDENT
Lors de la fête de Noël, un invité propose à Grand Pepe une place de travail dans une boulangerie à Madrid. Mais ses parents ne voient pas cela d'un bon oeil. Quant à José, du travail sur un chantier au nord du pays l'attend. Mais avant le départ, c'est la « fête des rois». Pepe reçoit tout ce qu'il faut pour soigner son futur chien — dont un collier et une laisse — et son père lui promet de lui ramener un setter.
Le lendemain matin, toute la famille accompagne José jusqu'à l'arrêt de bus. Un long voyage l'attend : deux jours qu'il passera dans différents bus et cars. C'est toujours triste lorsqu'il part mais, comme d'habitude, il promet de téléphoner chaque semaine depuis une cabine; écrire des lettres n'est pas son fort. Pepe prend le collier et la laisse. Il veut s'exercer à promener son chien et, pour lui, ce n'est pas difficile de prétendre que Red se trouve à l'autre bout.
— Attends de voir quel beau chien je vais te ramener ! Ce sont les derniers mots que son père lui adresse tandis qu'il le serre encore une fois dans ses bras avant de grimper dans le bus.
Ils restent là à faire signe de la main jusqu'à ce que le bus soit hors de vue. Aucun d'entre eux ne s'imagine alors quelle période de grands chagrins et de tribulations allait bientôt suivre.
Chapitre 7
Un beau matin, Mlle Beamish est tout étonnée de trouver Jake à sa porte.
— Vous n'allez pas en croire vos oreilles, commence-t-il avec un sourire, mais je crois avoir trouvé un setter irlandais !
— Incroyable !
C'est tout ce que Mlle Beamish parvient à répondre sur le moment. Puis, elle ajoute précipitamment :
— Où cela ? Comment l'avez- vous trouvé ? Combien va-t-il coûter ?
— Pas si vite ! Pas si vite ! s'exclame Jake. Attendez que je vous raconte l'histoire.
Intriguée, elle invite Jake à entrer. C'est la toute première fois qu'elle reçoit quelqu'un dans sa petite maison, mais elle est trop surprise par la nouvelle de Jake pour être déconcertée.
Dégageant ses longs cheveux ondulés de son visage, Jake commence son récit:
— Connaissez-vous les bois de pins en face des chalets ? Parfois, nous allons promener Madge dans ce coin. Pas souvent ; c'est plutôt dégoûtant.
— Vous ne m'apprenez rien, acquiesce Mlle Beamish. J'y suis déjà allée une fois.
— En tout cas, nous y étions hier et avons trouvé ce chien. Ou plutôt, il nous a trouvés. Vous auriez de la peine à croire dans quel état il était. Je ne sais pas depuis combien de temps il se trouvait dans les parages. J'imagine que quelqu'un a dû le jeter d'une voiture, il y a quelque temps déjà.
— Un chien de race ? s'étonne Mlle Beamish. Un setter ?
— Disons que je crois que c'en est un. Un jeune qui n'a peut-être même pas encore un an. C'est un, peu difficile à dire. Il a perdu presque tout son poil; il a une horrible maladie de la peau. Ce pourrait simplement être parce qu'il était à moitié mort de faim. Il a vraiment l'air misérable.
— Où se trouve-t-il à présent ?
— Chez nous, dans le patio. Quant à moi, je l'aurais laissé là où il était. Je ne voulais pas que Madge ou les chiots attrapent quelque chose. Mais Merry a dit qu'il n'en était pas question. Elle l'a ramené chez nous. C'était pathétique. Il était si reconnaissant pour la moindre parole aimable ! Nous l'avons nourri avec des cachets de vitamines, du foi cru, du lait et des céréales. Maintenant, la question est : devons-nous le faire piquer ou bien est-ce que nous demandons à Pepe s'il le veut ?
— Etes-vous vraiment sûr que ce soit un setter ?
Jake hésite.
— Disons... à 60 %. Ce pourrait aussi être une sorte de retriever, je suppose... Je ne suis pas un expert.
— Pepe, lui, le saura. Mais s'il est dans un si piteux état, est-ce bien de le lui montrer ?
— Merry pense que si elle était à la place de Pepe et que ce soit sa seule chance d'avoir le chien de ses rêves, elle le prendrait, quelles que soient les difficultés.
— Peut-être bien qu'elle a raison, répond pensivement Mlle Beamish. Mais nous ne pouvons pas décider pour lui. Venez avec moi pour leur expliquer la chose. Mon espagnol n'est pas suffisant pour raconter tout cela.
Pepe est à l'école, aussi Jake raconte-t-il une nouvelle fois son histoire à Maria et à Grand Pepe.
— C'est un chien très malade, insiste-t-il, si vous ne voulez pas que Pepe soit prévenu, je comprends tout à fait.
— Si c'est un setter, alors ce doit être son chien ! Et Maria explique comment Pepe a prié pour ce miracle. Vous voyez bien que c'est un miracle ! dit-elle, ses yeux noirs tout brillants.
— Euh, je n'en sais rien, répond Jake. Je ne suis pas vraiment religieux...
Il se tourne vers Mlle Beamish avec un sourire:
— Elle dit que c'est le chien pour lequel Pepe priait. Apparemment, il s'attendait à un miracle et Dieu l'a accompli.
— C'est très bizarre, remarque Mlle Beamish, et elle se demande pourquoi elle se sent tout à coup si gênée. Elle aimerait se moquer, mais n'y parvient pas.
Cet après-midi-là, lorsque Pepe aperçoit sa mère et son frère au portail de l'école, il sait que quelque chose d'extraordinaire est arrivé.
— Voilà, tu l'as ta réponse ! s'exclame Grand Pepe en faisant semblant de le gifler. Dépêche- toi. Nous allons chez les Anglais.
— Qu'est-ce qui se passe ? Est- ce que c'est mon chien ? C'est cela, n'est-ce pas ? J'ai mon chien ? Il est venu ! Il est arrivé !
Ils ont à peine le temps de lui dire qu'il va voir un chien malade. Maria commence à expliquer comment Jake l'a trouvé, mais elle passe plus de temps à louer Dieu pour sa réponse aux prières. Pepe écoute à peine tandis qu'il court en avant ; ils vont beaucoup trop lentement à son goût !
Lorsque Merry lui ouvre la porte, son visage est radieux et ses yeux brillants.
— Où est mon chien ? Les mots lui échappent tandis qu'il regarde de tous côtés, s'attendant à le voir sauter dans sa direction ou à le trouver dans les bras de quelqu'un prêt à le lui remettre.
— Tu la verras dans une minute, dit Jake. Mais il faut que nous te parlions d'elle, tout d'abord.
— C'est une chienne ? s'exclame Pepe. Il n'avait jamais envisagé que Red puisse être une femelle.
— Elle est très malade... commence Jake, mais Pepe l'interrompt.
— Cela n'a pas d'importance. Je vais en prendre soin. Elle ira mieux. Où est-elle ? Je voudrais la voir.
Le chien est blotti sur des journaux dans un coin du patio. Jake laisse Pepe y aller seul, se bornant à l'avertir:
— Ne la touche pas. Elle est dans un piteux état. Sois très calme et tendre. Ne l'effraie pas.
Il n'aurait pas eu besoin de se faire du souci à ce sujet. Pepe est tout à coup intimidé, alors qu'il avait tant attendu ce moment ! C'est son Red, le chien que le Seigneur Jésus a réservé pour lui et qu'il lui donne maintenant.
— Red, chuchote-t-il presque. Alors que le chien continue à dormir, il répète son nom, à peine plus fort. Cette fois-ci les paupières collées s'entrouvrent et Red le regarde. Bien que ce soit un regard maladif, le cœur de Pepe bat d'excitation. Combien de fois a-t-il croisé ce même regard dans son livre ? Avec un sourire confiant, il étend sa main en faisant claquer ses doigts.
— Red, s'exclame-t-il. Ne connais-tu pas ? Je suis Pepe, ton ami !
A sa grande satisfaction, la queue dégarnie se crispe et remue faiblement. Pepe rit.
— Tu es tellement laide ! s'exclame-t-il. Mais je t'aime quand même. Grâce à moi, tu vas devenir le chien le plus beau du monde !
La queue frétille encore deux fois doucement.
— Crois-tu que tu vas finir par m'aimer ? lui demande Pepe. J'espère bien, parce que tu m'appartiens en propre ! Je t'ai demandé à Jésus tout spécialement, et te voilà !
Le chien fait un effort pour se lever mais retombe avec un gémissement.
— Cela ne sert à rien de t'apitoyer sur ton sort, lui dit Pepe. Il faut que tu te rétablisses. Tu dois prendre des forces. Allez. Essaie encore une fois ! Il fait claquer ses doigts et sourit lorsqu'elle se soulève : on dirait un épouvantail raccommodé et branlant, remuant faiblement la queue en guise d'excuse. Il oublie que Jake lui a dit de ne pas la toucher. Il fait quelques pas dans sa direction et s'agenouille devant elle, étendant sa main pour lisser les poils de sa tête et de ses oreilles. Ces endroits-là ont des poils en tout cas ! La chienne n'est pas douce et soyeuse comme doit l'être le chien du livre. Elle est couverte de saletés, de puces et d'ulcères, et elle tremble au contact de Pepe. Elle lui lèche les doigts nerveusement, ayant de la peine à croire qu'une main humaine la caresse à nouveau.
A suivre
