Le chien de Pépé
Résumé de l’épisode précédent
La famille de José invite Mlle Beamish et le couple anglais à la petite fête de Noël qui aura lieu dans le local de réunions chrétiennes et tous trois acceptent. Le jour j, ils sont bien étonnés de ne pas se retrouver dans l'église du village. Jake s'en ouvre à l'un des hommes présents qui lui explique qu'ils désirent se réunir simplement, à la manière des tout premiers chrétiens.
L'histoire
Nous désirons partager comme ils le faisaient, dit-il. Nous prions les uns pour les autres. Nous essayons de nous aider les uns les autres lorsque nous le pouvons, et Dieu est bon envers nous. Jake traduit tout ceci à Mlle Beamish qui a plutôt l'air gênée. Mlle Beamish a été élevée dans un orphelinat et a été forcée à se rendre à l'église trois fois chaque dimanche. Elle se souvient encore des bancs durs, des sermons qui n'en finissaient plus, des hymnes qu'elle ne pouvait pas comprendre, et du froid... Elle se rappelle surtout d'avoir toujours eu froid dans l'église.
La façon dont ces gens rendent culte à Dieu la surprend. Ils chantent de tout leur cœur ! Est-ce seulement parce que c'est Noël ? Mlle Beamish n'est pas allée à l'église depuis le temps de son enfance. Elle commence à se demander ce qu'elle aurait pensé de Dieu si elle avait pu éprouver du plaisir comme tous ceux qui l'entourent à présent.
Jake traduit un peu le message du prédicateur. Il raconte le récit bien connu de Noël qui l'avait tant irritée quand elle était enfant. Elle avait été abandonnée par ses parents sans avoir jamais su qui ils étaient. Ce bébé, né dans une crèche, a eu plus de chance qu'elle. Quelqu'un l'avait aimé lui ! Alors qu'elle, personne ne l'avait jamais aimée...
Elle pince les lèvres tandis que ce vieux ressentiment douloureux surgit à nouveau dans son cœur. Elle avait même prié pour que sa mère inconnue revienne à l'orphelinat et la ramène à la maison. Puis elle avait prié et supplié pour qu'une gentille dame la prenne chez elle et l'aime. Cela n'était jamais arrivé, et elle avait arrêté de croire en Dieu.
— Dieu t'aime, vient de dire le prédicateur. Elle connaît suffisamment l'espagnol pour comprendre cela. «Dios te ama,» répète-t-il, et c'est comme si... comme si — pensée ridicule — comme si Dieu savait justement ce qu'il y a dans son cœur à ce moment-là !
«C'est absurde» songe-t-elle. Mais ces trois petits mots refusent de la laisser en paix.
Deux autres événements se passent lors de cette fête de Noël. L'un des invités, le neveu de la sœur Dolores, propriétaire d'une boulangerie et cafétéria à Madrid, - déclare que les «ailes d'ange» de Grand Pepe sont les biscuits les plus incroyables qu'il ait jamais goûtés. Il désire que Grand Pepe vienne à Madrid et se mette à faire des «ailes d'ange» pour lui.
— Tu seras riche, lui dit-il. Nous allons tous les deux être riches. Toi, tu seras célèbre. Maria surprend la conversation. Elle n'aime pas du tout l'idée de sentir Grand Pepe si loin de la maison, dans une grande ville où il pourrait lui arriver n'importe quoi. — Il n'a pas besoin d'argent ou de célébrité, dit-elle au neveu. Ne le tentez pas. Il est beaucoup mieux ici, chez nous.
Elle parvient à l'entraîner plus loin, mais pas avant que l'homme ait donné sa carte de visite à Grand Pepe. Ce dernier la glisse dans sa poche sans un mot et, de temps à autre, il porte la main à sa poitrine pour s'assurer qu'elle s'y trouve encore. Une des organisatrices de la soirée, téléphoniste de profession, annonce à José qu'elle a un message pour lui. Un entrepreneur dans le domaine de la construction et pour lequel José a déjà souvent travaillé a téléphoné. Il a du travail sur un chantier dans le Nord pour trois ou quatre mois. Si José est intéressé, il doit l'appeler dès que possible.
— Loué soit Dieu ! s'exclame José. A-t-il dit qu'il y aurait aussi du travail pour mon fils ?
Son rêve est d'emmener Grand Pepe avec lui, afin qu'il puisse commencer à gagner sa vie. Mais l'entrepreneur ne cherche que des travailleurs expérimentés.
— Ce n'est pas juste ! s'exclame José. Comment peut-il acquérir de l'expérience s'il n'a jamais de travail ?
— On vient de m'offrir du travail, lui rappelle Grand Pepe. Cet homme de Madrid a dit que je peux travailler pour lui dès que je le souhaite. Il veut la recette de mes «ailes d'ange», il a même offert de me la payer, mais je n'ai pas voulu la lui donner.
Seul le silence fait écho à cette déclaration. Pepe sait que personne ne souhaite que son frère parte si loin de la maison. Ce n'est déjà pas facile lorsque leur père doit partir pour plusieurs mois. Mais ils savent au moins qu'il va revenir. Si Grand Pepe allait à Madrid, reviendrait- il un jour vivre avec eux ?
— C'est une grande chance, insiste Grand Pepe. C'est quelque chose que j'aimerais vraiment faire.
— Attends jusqu'à ce que je rentre, dit José. Nous en reparlerons et nous en ferons un sujet de prière.
— Alors, tu veux que je reste là tout l'été ? Peut-être l'homme va-t-il changer d'avis ! Il y a une pointe de ressentiment dans sa voix.
— Si c'est le cas, ce n'est pas un problème, alors, répond son père en haussant les épaules. Nous prierons à ce sujet. Mais ne laisse pas ta mère et ton frère seuls pendant que je suis absent.
Grand Pepe n'en dit pas plus, mais Pepe peut voir qu'il y pense. La nuit, ils partagent un matelas installé à même le sol du café. Cette nuit-là, Pepe lui dit :
— Je ne veux pas que tu partes. Ce sera pire que lorsque tu faisais ton service militaire. Là, au moins, tu rentrais presque chaque semaine.
— Je reviendrai pour les vacances. Et tu pourrais parfois me rendre visite.
— Comment est-ce que ça sera là-bas ? Est-ce que je pourrai amener mon chien avec moi ?
Grand Pepe rit.
— Tu n'as toujours pas de chien. Et lorsque tu l'auras, je ne te manquerai plus.
— Mais pourquoi veux-tu partir ? insiste Pepe.
— Je veux faire quelque chose de ma vie. Tu comprendras cela lorsque tu auras mon âge.
«Est-ce que vingt ans c'est déjà très vieux ?» se demande Pepe. Il n'a jamais considéré son frère comme un adulte et cela le rend triste.
— Je voudrais que tu aies seulement mon âge.
— Dors, répond Grand Pepe.
Pepe ferme les yeux mais ne trouve pas le sommeil ; trop de pensées se bousculent dans son esprit. Toute la ville se prépare pour «les rois». A l'école, la rumeur court que quelqu'un défilera dans la procession à dos de chameau, mais cela semble difficile à croire. Pepe n'a jamais vu un vrai chameau. Les vitrines des magasins sont remplies de jouets. Cette année, la plupart des garçons souhaitent un vélo, Ils se disputent pour savoir lequel est le mieux, font des spéculations sur celui qu'ils vont recevoir et cela amène Pepe à penser à son chien. Recevra-t-il autre chose s'il ne peut pas avoir un chien ? Que souhaiterait-il ? Personne ne le lui a demandé... Ils doivent sans doute préparer une surprise !
Finalement, le grand jour arrive. Lorsque Pepe se réveille, il s'aperçoit que, pendant la nuit, une série de petits paquets ont été déposés pour lui sur le comptoir. Tout le monde le regarde tandis qu'il déchire avec empressement les papiers d'emballage. Il y a un calendrier avec six photos de chien, y compris un setter irlandais; quatre boites de nourriture pour chien, un paquet de riz pour chien, un tube de poudre anti-puce, une brosse et un peigne et — le mieux de tout — un collier vert et une laisse! Pepe renifle le cuir neuf; il a une odeur toute particulière.
— Il ne manque plus que le chien, dit son frère en riant.
— Pas pour longtemps, se vante Pepe en caressant le cuir et en le reniflant à nouveau.
— Je te trouverai un chien dans le Nord, promet son père. Lorsque je reviendrai, je t'en ramènerai un. Tu verras.
— Mais seulement un setter irlandais, prévient Pepe.
— Comme tu voudras, répond José.
Un peu plus tard, Mlle Beamish arrive avec un cadeau. C'est un livre qui explique comment prendre soin des chiens; ils le regardent ensemble. Grand Pepe s'est levé tôt pour faire des «ailes d'ange». C'est son cadeau pour la dame anglaise qui a essayé de les aider à trouver un chien.
A midi, ils vont tous ensemble regarder la procession qui part de la place publique. Merry et Jake s'y trouvent déjà et prennent beaucoup de photos. Ils ont laissé Madge et ses chiots à la maison. Mais, en ce moment, Pepe ne pense pas au chien. Comme tous les enfants, sa seule préoccupation est de ramasser autant de bonbons que possible. Ils sont lancés en généreuses poignées par les gens déguisés en serviteurs du roi et perchés sur les chars du cortège. On joue des coudes, on se bouscule, on se dispute surtout lorsque des ballons sont lâchés.
Il y a bien un chameau, mais pas un vrai; c'est un déguisement avec deux personnes à l'intérieur. Il avance en trébuchant un peu partout et celui qui le conduit lui remplit la bouche de tous les bonbons qu'il peut voler aux enfants. Il effraie les chevaux et les fait se cabrer, mais le chameau lui- même prend peur lorsque quelqu'un attache un pétard à sa queue. Chacun s'amuse, bien que plusieurs finissent par avoir mal aux dents, Pepe y compris !
A suivre
