Le chien de Pépé
Résumé
Pepe rêve de posséder un chien. Un jour, il montre son livre de chiens à la dame anglaise, leur unique cliente de la saison, et il lui annonce qu'il sera bientôt l'heureux possesseur d'un setter irlandais. Comme son interlocutrice ne semble pas bien comprendre, Pepe appelle son père à la rescousse qui explique l'histoire à leur cliente.
— Qu'est-ce que tu lui racontes? demande Pepe.
— Que je vais te donner un chiot.
— Mais celui-ci, insiste Pepe. Je ne veux que celui-ci!
José étend sa main pour ébouriffer les cheveux de son fils.
— On verra, fiston, dit-il. On verra.
Chapitre 3
Grand Pepe a hérité de son surnom parce qu'il a en réalité le même prénom que son frère. Leur vrai nom à tous les deux est José, comme leur père; aussi y a-t-il trois José dans la même famille. En Espagne, presque chaque José a «Pepe» comme diminutif, mais il est très rare que deux frères portent le même prénom!
En fait, les deux Pepe ne sont que des demi-frères. La première femme de José est morte alors que Grand Pepe était encore petit, et ils ont traversé des temps vraiment difficiles, tantôt ensemble, tantôt séparés. José voyageait dans tout le pays à la recherche de travail. Parfois, il préparait du ciment et portait des briques sur un chantier, ou il travaillait de longues heures dans des hôtels et des cafés. D'autres fois, il ramassait du coton, faisait la récolte des pommes de terre et taillait des pêchers.
Aucun de ces travaux ne durait bien longtemps et c'était difficile pour lui de s'occuper de son fils lorsqu'il devait se déplacer si souvent. Aussi, Grand Pepe a-t-il passé une grande partie de son enfance dans des maisons d'accueil. A certains endroits, il était maltraité. Et partout, il n'était qu'un «moins que rien». Il ne se souvient pas du tout de sa maman. Ses journées étaient remplies soit par le désir ardent d'être avec son père soit, lorsqu'il était avec lui, par l'appréhension terrible de devoir bientôt le quitter.
Un jour, son père rencontra quelques croyants qui l'invitèrent à leurs rencontres. José aime encore parler de ces jours-là.
— Je pensais que c'était des gens plutôt fous. Ils étaient aussi pauvres que moi, certains même encore plus pauvres. Et si moi j'avais des problèmes, quelques-uns d'entre eux en avaient de plus grands. Mais ils étaient tous tellement heureux! Rien ne semblait pouvoir les empêcher de louer Dieu!
Les larmes lui viennent encore aux yeux, lorsqu'il se souvient comment ils leur ouvrirent leur coeur et leur maison.
─Je ne savais absolument rien sur Jésus jusqu'à ce que je rencontre ces gens, mais lorsque je vis Jésus en eux, j'ai su avec certitude que c'était du vrai.
Parmi eux, il y avait une gitane qui s'appelait Maria. Elle était veuve et n'avait pas d'enfants. Pour une gitane, ne pas avoir d'enfants est la pire des choses., Sa famille lui avait dit qu'elle avait attiré une malédiction sur sa propre tête en épousant un homme qui n'était pas gitan, et ils ne voulaient pas qu'elle revienne au milieu d'eux. Ces croyants lui ont raconté comment le Seigneur Jésus prend soin des délaissés. La Bible est remplie d'histoires de femmes à qui Jésus est venu en aide. Comme elle ne savait pas lire, elle écoutait avidement pendant chaque réunion et elle retenait tous ces récits. Elle découvrit bientôt que Dieu savait exactement ce qu'elle ressentait en étant sans enfants et abandonnée de sa famille.
— Et puis des miracles ont commencé à se produire.
C'est ainsi que Maria explique les événements qui suivirent sa conversion. Elle fit la connaissance de José — ils furent baptisés dans la mer le même jour — et se marièrent. Maria trouva donc à la fois un mari et un fils.
Tout d'abord, Grand Pepe trouva difficile de l'appeler «Maman», non pas parce qu'il ne le voulait pas, mais parce que c'était un mot si étrange pour lui. Il était terriblement timide, jusqu'à ce qu'elle le prenne dans ses bras et lui prodigue tout l'amour dont il avait été privé. La première fois qu'il l'appela «Maman», ses yeux noirs se remplirent de larmes qui le mouillaient tandis qu'elle couvrait son visage de baisers. Puis ils avaient tous les deux ri et s'étaient embrassés et, depuis, c'était comme s'ils avaient toujours été une famille.
Bientôt un miracle encore plus grand se produisit. Bien que tout le monde ait pensé la chose impossible, le deuxième fils de José vit le jour. Rien n'aurait pu empêcher Maria de donner à cet enfant le nom de son père. Lorsqu'il commença à parler, c'est lui qui attribua à son frère le noble titre de «Grand Pepe». Cela aurait été naturel pour Grand Pepe d'être jaloux de son frère. Il était si choyé et aimé! Mais même Grand Pepe était rempli de respect et de crainte face au miracle de sa naissance. Si souvent il avait langui d'avoir un frère ou une sœur — quelqu'un qui lui appartienne en propre — et ce bébé était le sien autant que celui de ses parents.
Quant à José, il avait fermement résolu de procurer à sa nouvelle famille une vie plus sûre. C'est à ce moment qu'il entendit parler d'une maison vide sur la plage et après avoir obtenu la permission de la transformer en café, avec Maria, ils réunirent leurs économies pour l'acheter. Ils durent quitter l'endroit où Dieu les avait tant bénis, et José doit encore faire des travaux supplémentaires lorsqu'il peut en trouver. Mais rien ne peut gâcher leur contentement. Ils ont même trouvé un petit groupe de croyants, ce pour quoi ils avaient tant prié. Pas étonnant qu'ils croient aux miracles!
Ils sont souvent à court d'argent, mais l'amour abonde. Il vaut mieux qu'il en soit ainsi car le «Café Playa» étant très petit, ils auraient pu passer leur temps à se quereller. La plupart de leur vie se passe à l'extérieur, où Pepe a toute la liberté qu'offre la plage ainsi que le son de la mer pour le bercer le soir. Ces deux derniers étés, Pepe a aidé à servir les clients. C'est comme un jeu pour lui, bien qu'il doive travailler aussi dur que n'importe qui d'autre. Son père ne peut pas se permettre d'embaucher quelqu'un pour le seconder lorsqu'ils sont si occupés. Aussi ont-ils donné à Pepe le grand titre de « Camarero »1 tandis que les clients espagnols appellent son père «Jefe»'. Il a appris à être prudent avec les assiettes brûlantes. Il ne casse plus guère qu'un verre ou deux. Et il est fier d'entendre son père dire à la fin d'une longue journée — peut-être à deux ou trois heures du matin —: «Je ne sais pas ce que je ferais sans lui!» Les clients le gâtent presque autant que sa propre famille, aussi Pepe n'a-t-il jamais connu la peur et la solitude comme Grand Pepe. Mais il aimerait quand même bien un ami qui ne serait pas gêné par le fait qu'il est un gitan et un chrétien. ll est tout à fait sûr que les chiens ne se soucient pas de choses comme cela.
Pepe ne harcèle pas ses parents avec son setter irlandais. Il sait bien que, s'ils avaient pu, ils le lui auraient apporté le lendemain. Et il a appris de ses parents à tout remettre entre les mains du Seigneur. Il croit et il attend.
Pendant ce temps, José, Maria et Grand Pepe complotent secrètement pour savoir comment ils pourraient lui procurer un tel chien, et cela d'ici le 6 janvier.
— La dame anglaise va sans doute pouvoir nous aider, décide José alors qu'ils ne parviennent pas à trouver un moyen. Tout le monde sait que les Anglais aiment les chiens. Elle saura comment il faut s'y prendre.
C'est ainsi qu'un beau matin, alors que Pepe est à l'école, son père décide de parler à Mlle Bea-mish. Il est très nerveux. Est-ce que son anglais ou l'espagnol
de leur cliente suffiront? Sera-t-elle offensée? C'est une personne si difficile à cerner! Avant qu'elle arrive, ils prient tous ensemble.
— S'il te plaît, aide à José à savoir comment tout expliquer, prie Maria.
— S'il te plaît, qu'elle ne se fâche pas et qu'elle continue à venir, enchaîne José.
Grand Pepe ne croit pas vraiment que cette dame anglaise pourra trouver un chiot setter irlandais à temps; aussi, prie-t-il:
— Seigneur, nous avons besoin d'un miracle. Rien n'est trop petit ou trop insignifiant pour toi.
Ce matin-là, lorsque José insiste pour que Mlle Beamish s'installe à l'intérieur du café pour boire son verre de tisane à la menthe, elle comprend que ce n'est pas une occasion ordinaire. Elle n'est encore jamais entrée dans le «Café Playa» et est étonnée qu'il soit si petit. A côté du comptoir, il y a juste place pour deux petites tables et six chaises.
Lorsque José, après lui avoir apporté le thé, s'installe à sa table, Mlle Beamish est intriguée et à vrai dire plutôt gênée. Tout à coup, Maria apparaît sur le seuil de la porte qui mène à la cuisine. Bien qu'elle ne sache pas un mot d'anglais, elle veut voir et écouter. Maria est suffisamment corpulente pour remplir toute l'embrasure de la porte. Son sourire est aussi agréable que celui de Pepe. La largeur de José est environ la moitié de la sienne. 11 est sec et fin comme un fil de fer et plutôt petit. Ses cheveux noirs sont grisonnants et son visage est recouvert de rides après tant d'années de travail sous le soleil ardent.
Dans un mélange d'anglais et d'espagnol, José fait part à Mlle Beamish de ce qu'ils désirent, tandis que Maria acquiesce de la tête, profitant de chaque instant. Elle est fière de son mari qui sait si bien parler deux langues.
Mlle Beamish est tellement prise au dépourvu par cette requête qu'elle ne sait comment répondre.
A suivre