Le chien de Pepe

L’histoire – Le chien de Pépé

Résumé de l’épisode précédent

Le plus grand désir de Pepe serait de posséder un setter irlandais. C'est pourquoi il a. demande au Seigneur jésus de lui en accorder un.

En ce jour ensoleillé de décembre, Pepe est installé à une table de la terrasse du café de ses parents, regardant une nouvelle fois son livre de chiens. Lorsque arrive la dame anglaise, leur cliente quotidienne, il décide de lui montrer son livre.

Suite

Au bout d'un moment, elle commence à y prêter attention. Elle n'a guère le choix. Qui peut résister à l'enthousiasme de Pepe tandis que des dalmatiens, des labradors, des chiens polaires, des lévriers de course, des bulldogs et des terriers sont exposés à sa vue ?

— Joli, commence-t-elle en espagnol, simpatico... bonito...muy grande.

Lorsqu'elle répète les mêmes mots en anglais, Pepe l'imite — Nice. Pretty. Very big, Seulement son «very big» devient «bery vig».

C'est juste à ce moment que son père apparaît, sachant que c'est l'heure de sa cliente. Il la salue avec son habituel sourire et fait comme s'il chassait Pépé et son livre.

— Ne viens pas ennuyer la dame ! s'exclame-t-il. Elle n'est pas intéressée par tous tes chiens ! Mlle Beamish parvient à deviner ce qu'il dit.

— Esta bien. No molesta. Libro bonito, répond-elle. «Ça va bien. Il ne gêne pas. C'est un joli livre» (c'est du moins ce qu'elle essaie de dire).

Ainsi, tandis que son père rentre pour préparer la seule et unique boisson qu'il vendra ce jour-là, Pepe attire de nouveau l'attention de Mlle Beamish vers le livre. Il a gardé le chien de ses rêves pour la fin.

Chapitre 2

Dans cette petite ville à l'extrémité sud du littoral espagnol, très peu de personnes savent quelque chose de concret sur Mlle Beamish. Ils connaissent le montant du loyer de la petite maisonnette qu'elle loue dans l'étroite ruelle pavée, juste à côté de la place municipale. Mais la raison qui l'a amenée à choisir leur ville pour y habiter ou combien de temps elle a l'intention d'y rester est un mystère. Ils sont habitués aux touristes étrangers et, de temps à autre, à l'écrivain ou l'artiste solitaire, mais Mlle Beamish n'en est pas. Elle ne fait aucun effort pour nouer des ami-tiés avec qui que ce soit, aussi faut-il inventer son histoire. Elle est de toute évidence «bizarre», avec toutes ses promenades et ses baignades même hors saison. Les petites vieilles sont choquées qu'elle ose nager en hiver. Quant aux jeunes, ils rient.

Ils finissent tous par conclure : «Que peut-on attendre de mieux d'une étrangère ? Leurs habitudes sont différentes des nôtres.»

La famille de Pepe en sait sans doute plus au sujet de Mlle Beamish que quiconque, parce que durant tout l'été elle est venue acheter une boisson fraîche après sa baignade matinale. Elle s'installait à l'ombre de la terrasse recouverte de chaume au «Café Playa», toujours solitaire et pourtant entourée de monde, car il n'y a pas d'autre place ombragée sur la plage.

Après un certain temps, Mlle Beamish a découvert que l'heure idéale pour venir à la plage en été est lorsque le soleil s'est déjà couché. La nuit, la chaleur est plus douce, la mer possède comme un calme mystérieux, la lueur de la lune flottant à fleur d'eau. Les voix ont perdu leur dureté et les ampoules rouges, jaunes, bleues et vertes qui pendent du toit en chaume ajoutent un éclat de bienvenue. Au menu du soir, on vous offre du poisson frais doré à la poêle et des pastèques refroidies dans le sable, et Pepe sert les clients aux côtés de son père. Il a l'air d'un vrai garçon tandis qu'il se faufile entre les tables, apportant des plats bien garnis, ramassant les assiettes vides et prenant les commandes. Mlle Beamish ne sait pas grand- chose sur les garçons de son âge, mais son cœur est remué quand elle voit ses boucles brunes et ses yeux foncés et joyeux.

Fin août, toutes les familles espagnoles rentrent chez elles, et vers la fin septembre la plupart des touristes étrangers également. On enlève et range dans une boite les ampoules de couleur, mais étant donné que le «Café Playa» est aussi un lieu d'habitation, les volets ne sont pas fermés, ni même la porte. Les tables et chaises restent dehors, car il n'y a pas d'autre place où les ranger. Hormis bien sûr la famille de Pepe — et quelques cavaliers passant au galop sans s'arrêter — Mlle Beamish est la seule personne que l'on aperçoit en hiver sur cette étendue de plage.

—          C'est une dame isolée, décide le père après avoir observé sa silhouette solitaire jour après jour.

Maria, la mère de Pepe, s'est trouvée, il y a bien des années, tout aussi isolée avant d'être devenue chrétienne. Elle soupire en disant :

—          Se retrouver seule est la pire des choses. Et en plus elle est âgée !

—          Et étrangère, ajoute Grand Pepe.

—          Est-ce que le Seigneur ne désire pas que nous soyons particulièrement gentils envers les                               étrangers?  demande Maria. Il me semble qu'il est dit quelque chose sur le fait que son peuple ait                été esclave et étranger ? ll sait combien cela peut rendre triste.

—          C'est dans la Bible, acquiesce José, son mari.

Aussi, le lendemain, ils attendent patiemment que Mlle Beamish rentre de sa promenade. José lui fait signe de la main en montrant la table avec des gestes qui l'invitent à s'arrêter pour boire quelque chose.

—          Moi penser que vous fermer, lui dit Mile Beamish en faisant des efforts pour parler l'espagnol                       qu'elle apprend lentement à l'aide d'un livre et de cassettes.

—          Pour vous, madame, nous sommes toujours ouverts, répond-il en anglais. Elle réalise que c'est                       sincère.

Mlle Beamish ne met pas longtemps pour découvrir que José ne sait pas faire du vrai thé anglais, pas même avec un sachet. Aussi s'est-elle habituée à boire de la tisane à la menthe à la place. Elle n'entre jamais l'intérieur du café, préférant s'asseoir dehors pour regarder la mer. José réalise qu'elle aime la solitude et après les salutations et politesses d'usage, il se retire. Tandis qu'il échange quelques mots avec Mlle Beamish, Maria, fait monter une courte prière: «Seigneur, fais que cette dame anglaise devienne plus aimable». Puis elle demande à José avec enthousiasme :

—          Eh bien, comment est-elle aujourd'hui ?

—          Pareil, répond-il avec un haussement d'épaules qui indique plutôt de l'espoir.

Si le Seigneur désire toucher le cœur de cette dame anglaise grâce aux tisanes à la menthe et à leurs prières, Il le fera en son temps. Aussi José est-il très content le jour où il découvre Pepe et Mlle Beamish, leurs deux têtes penchées sur le livre de chiens, bien qu'il fasse comme si de rien n'était.

—          Notre fils est en train de se faire une amie : la dame anglaise ! dit-il à sa femme en cherchant un                   sachet    de tisane, un verre et une soucoupe. C'est le chien. Tu sais, les Anglais aiment tellement                   les chiens !

Maria jette un coup d'œil du seuil de la porte. Elle ne veut surtout rien gâter. D'ailleurs, elle se sent plutôt intimidée par Mlle Beamish, même si elle prie souvent pour elle. Elle ne sort que rarement vers les clients. Son travail consiste à vendre des boissons fraîches derrière le comptoir en été et à faire la vaisselle toute l'année.

Son visage s'illumine de fierté et un sourire plisse ses joues rebondies. Puis, elle se retire à l'intérieur, ne désirant nullement que Pepe la voie. Mais elle ne peut s'empêcher de jeter un coup d'œil de temps à autre, au grand amusement de son mari. Elle voit Pepe s'arrêter à sa page favorite. Sa main l'effleure d'une façon théâtrale en attendant que Mlle Beamish dise quelque chose. Mlle Beamish ne sait peut-être pas grand-chose sur les enfants et elle veut probablement rester à l'écart. Mais ce silence et ce regard, ainsi que la façon dont les doigts de Pepe viennent de toucher doucement le museau du chien en disent plus long que n'importe quel discours dans n'importe quelle langue. Lentement et avec soin, elle construit une phrase en espagnol.

— Esto es un perro hermoso, ce qui signifie: «c'est un beau chien».

Un immense sourire éclaire le visage de Pepe et ses yeux laissent échapper une étincelle toute particulière. Avec beaucoup de foi, il annonce en anglais en désignant le setter du doigt:

— Celui-là, à moi. Et il se montre du doigt pour s'assurer qu'elle a bien compris.

Elle ne comprend pas. Veut- il dire que c'est son image préférée? Ou explique-t-il qu'il a un chien comme celui-ci ? Mlle Beamish n'a vu près du «Café Maya» que des chats sauvages en train de dévorer des arêtes de poissons.

Pepe essaie à nouveau :

— Mon chien. Demain. Son visage se contracte sous l'effort. Il voudrait dire : «un de ces jours» mais il ne peut se souvenir que de «demain».

— Tu vas avoir un chien comme celui-ci demain ! s'exclame Mlle Beamish, oubliant que l'anglais de Pepe est sans doute pire que son espagnol.

— Mon père. Il donne, continue Pepe, pas du tout décontenancé par tous ces mots qu'il ne comprend pas.

Il serre contre son cœur le livre encore ouvert à la précieuse page.

Il désire montrer à cette dame anglaise combien il va aimer ce chien, lorsqu'il lui appartiendra. Mlle Beamish a encore bien de la peine à comprendre. Bien sûr, elle ne sait que très peu de choses concernant cette famille du «Café Playa», mais ils ont l'air plutôt pauvres. Même en Angleterre, un chien de race peut coûter très cher. Combien plus le prix d'un tel chien doit-il être élevé en Espagne! Mais ce n'est pas son affaire.

A ce moment, Pepe aperçoit son père sur le seuil de la porte. Il court vers lui, lui prend la main et le tire vers la table.

— Raconte-lui, demande-t-il. Raconte-lui tout au sujet du chien.

— Un jour, je vais donner chien pour lui, dit José.

— Celui-ci ? Mlle Beamish parvient difficilement à masquer l'étonnement dans le ton de sa voix.

José hausse les épaules. Puis en tendant ses mains comme s'il tenait quelque chose de petit, il ajoute :

— J'apporte petit chien. Lui content.

à suivre