Une rivière à traverser

Le Japon envahit la Chine, on est à la fin du siècle dernier.

«La rivière! La rivière!»

G!adys Aylward est une missionnaire anglaise en Chine. Son nom chinois est Ai-Weh-deh. Depuis douze jours et douze nuits, elle est en route avec une centaine d'enfants pour tenter d'atteindre la zone libre. Quelle expédition à travers montagne et rochers! On entend de tous côtés: «Ai-Weh-deh, j'ai mal aux pieds», «Ai-Weh-deh, je suis si fatigué». Certains enfants n'ont que 4 ou 5 ans!

Enfin, devant leurs yeux émerveillés, le soleil fait étinceler la rivière, dernière étape à franchir pour être en sécurité.

La petite ville, où ils avaient espéré trouver quelque nourriture avant de traverser la rivière, est déserte. Il faut se résoudre à se passer de manger! Quelques soldats leur apprennent que les Japonais peuvent arriver à tout instant et que tout le monde s'est enfui.

Ai-Weh-deh ne se décourage pas. Demain matin il n'y aura qu'à prendre le premier ferry pour la traverser. La nuit arrive et chacun s'endort dans l'herbe. Mais le lendemain aucun ferry n'apparaît.

Ai-Weh-deh s'en retourne au poste de soldats. Les nouvelles sont mauvaises: il n'y a plus aucun bateau et surtout les Japonnais peuvent arriver à tout moment. Pour ce qui est de la nourriture, les soldats partagent leurs maigres provisions; mais qu'est-ce pour une centaine d'enfants? On donne à manger aux plus jeunes et beaucoup de ventres sont creux lorsqu'on s'installe pour une deuxième nuit au bord de la rivière.

Ai-Weh-deh, elle, ne dort pas. Son esprit est agité. La situation semble vraiment désespérée. Que vont devenir tous ces enfants?

Au petit jour, Sualan, une fillette de 13 ans, s'approche d'elle et lui dit:

— «Ai-Weh-deh, te rappelles-tu l'histoire de Moïse et du peuple d'Israël? Dieu avait dit à Moïse de leur faire traverser la Mer Rouge. Et ils sont tous passés à sec de l'autre côté. Est-ce que tu crois que c'est vrai?»

— Bien sûr que je le crois! Je ne vous l'aurais pas raconté sinon!

— Alors pourquoi ne traversons-nous pas?

— Mais je ne suis pas Moïse!

— Bien sûr que tu n'es pas Moïse, mais Dieu est Dieu, n'est-ce pas?»

Que peut-elle répondre à cela? Depuis des années elle enseigne aux enfants que Dieu est puissant. Elle leur a souvent raconté comment II a agi autrefois pour son peuple . Et maintenant, croit-elle vraiment dans son cœur que la puissance de Dieu n'a pas changé?

— Dieu répondra, Sualan, dit-elle.

Puis elle se met à genoux et prie comme elle ne l'a jamais fait encore. «Oh, mon Dieu, aide-nous, nous ne pouvons rien faire!» Sualan ainsi que quelques enfants s'agenouillent près d'elle:

«Seigneur, nous savons que tu vas ouvrir cette rivière pour que nous puissions la traverser.»

Ils sont encore à genoux quand un petit garçon vient tirer Ai-Weh-deh par la jupe:

— Ai-Weh-deh, lève-toi! Il y a un grand monsieur qui veut te parler!

Un officier chinois a aperçu cette troupe près de la rivière. Il désire savoir qui est cette femme, d'où elle vient et pourquoi elle attend là depuis deux jours avec tous ces enfants.

— Mais pourquoi ne traversez-vous pas? demande-t-il.

— Il n'y a plus aucun bateau, répond Ai-Weh-deh.

— Les Japonais pourraient attaquer à n'importe quel instant? C'est de la folie de rester là ainsi! Je vais vous trouver une embarcation.»

Un petit sifflement, un geste du bras, et aussitôt un bateau surgit.

Après plusieurs trajets, Ai-Weh-deh et tous les enfants sont en sécurité sur l'autre rive.

Dans unvillage voisin, les habitants, tout émus à la vue de tous ces enfants, ouvrent leurs portes. Quelques jours plus tard les forces sont revenues et l'expédition peut repartir, pleine de courage, vers sa destination finale.