Menaces dans la jungle

Résumé de l’épisode précédent

Patel a été découvert par Kittu et ramené au village. Mukerji est fier de son fils aîné. Drupadi, lui, tremble à la pensée que Kittu pourrait dévoiler qu'il était le complice de Patel.

Ce dernier comparaît maintenant devant les villageois : il doit dire s'il marche toujours dans le chemin du Dieu étranger.

Oh! non! Drupadi n'avait pas imaginé une seconde que les anciens pourraient se retourner contre ses amis américains ! Mais il ne pouvait que se taire...

— Les enseignements de ce missionnaire sont dans toutes les bouches, continua Mukerji. Les gens se sont laissés entraîner par ses beaux discours. Certains se mettent même à y croire, du moins c'est ce qu'il semble.

Drupadi aurait bien aimé savoir pourquoi son père trouvait cela si dramatique. Mais il ne faisait pas partie des rares personnes à Magadi qui osaient contredire l'ardent Mukerji...

— On raconte au village que Sahib Conway a essayé de convaincre un homme d'abattre une vache sacrée, contrairement à ses croyances, pour nourrir sa famille. La voix de Mukerji tremblait de colère. Comment peut-on commettre un tel blasphème ? On dit même qu'il aurait tué un cobra sacré.

Drupadi examinait attentivement le visage de son père. Il aurait bien voulu le questionner sans timidité pour en savoir plus. Il s'imaginait lui demander d'un ton neutre en quoi le chemin de Jésus était si condamnable. Mais il ne le fit pas. Comment l'aurait- il pu , sachant que la colère de son père pouvait s'embraser d'un instant à l'autre ?

— On a donc décidé, continua Mukerji triomphalement, que quand ils reviendront, ils seront lapidés !

Lapidés ! Drupadi fut glacé d'effroi. Il avait déjà vécu une lapidation au village. Il avait vu le corps déchiré, brisé, et la folie enragée de la foule. II avait entendu la faible voix de l'homme supplier désespérément d'être gracié. Une fois la fureur éteinte, les gens s'étaient dispersés. Puis Drupadi avait vu la tombe — un monceau de pierres !

Il ne se souvenait plus de tout ce que son père avait encore dit ce soir-là et de ce que lui-même avait répondu. Il avait dû entendre beaucoup d'affreuses choses sur le missionnaire et sur son fils; des mots si terribles que Drupadi se sentait complètement oppressé. Il aurait préféré se boucher les oreilles pour préserver son âme de ce flot d'imprécations. Son père ne cessait de répéter que le missionnaire était un homme détestable qui méritait d'être puni par tout le village. Il avait arraché à Nala son fils aîné et fait venir la malédiction du tigre sur Magadi ; il ne méritait que d'être lapidé. Et son fils ? La pensée de le lapider ne plaisait guère à Mukerji, mais il y avait des cas où les enfants devaient payer pour les fautes de leur père.

Au cours de cette soirée, Drupadi apprit encore que la lapidation ne provoquait pas toujours la mort, il était déjà arrivé que des gens y survivent. Mais pour Sahib Conway, il le savait, on n'allait pas s'arrêter de jeter des pierres avant que toute trace de vie se soit retirée de lui. Les hommes étaient bien trop excités et aveuglés pour envisager de lui faire grâce. Et Jack allait subir le même traitement ignoble! Jack, son ami, qui n'avait jamais fait de mal à personne ! Mais peut- être que le Dieu dont parlait le missionnaire les protégerait, car si quelqu'un était digne de son secours, c'était bien ces deux-là!

Mais après réflexion, le doute s'était emparé de Drupadi. Le nouveau Dieu n'avait pas empêché Nala de fouetter son fils et de l'envoyer au loin. Peut-être que le grand Dieu leur accorderait courage et patience pour supporter la lapidation, afin que tous les gens du village puissent voir combien le missionnaire et son fils L'aimaient.

Mais s'il devait survenir quelque chose au sahib, qui pourrait ensuite parler aux gens du chemin de Jésus et de l'entrée dans le royaume des cieux? Qui leur expliquerait le Livre merveilleux qui faisait brûler les cœurs d'amour pour Celui qui les avait tant aimés qu'il était mort pour eux, pour les sauver?

Drupadi se redressa. Il avait beaucoup d'affection pour le missionnaire et pour Jack, c'était clair, et il souffrirait pour eux comme s'il allait lui-même être lapidé. Mais il réalisa que ce n'était pas cela qui l'affligeait le plus : si le missionnaire était mis à mort, il n'y aurait plus personne pour leur parler du Dieu glorieux.

La décision de Drupadi

Drupadi passa de nouveau toute la nuit à se débattre avec ses pensées. Il devait trouver une solution pour déjouer cette conspiration ! Mais comment ? Comment pouvait-il empêcher quiconque de porter la main sur le sahib et sur Jack alors que tout le village était contre eux ? Et surtout, que pouvait-il entreprendre alors qu'il avait toujours Kittu sur les talons?

Il ne savait pas si le missionnaire avait effectivement commis les actes dont Mukerji l'accusait. D'ailleurs, après avoir entendu le sahib parler de Jésus, il se demandait si c'était vraiment grave de tuer une vache sacrée ou un cobra. Le saint livre, la Bible, ne devait pas interdire de telles choses, sinon le sahib l'aurait mentionné depuis longtemps.

Drupadi était immobile sur son lit, en proie à toutes ses pensées contradictoires. Mais, il réalisa soudain quelque chose qui le remplit d'étonnement: toutes ces dernières semaines, il avait lutté contre le Dieu du missionnaire, contre ce Dieu étranger que Patel avait suivi. Il s'était battu contre les tourments de sa conscience lorsqu'il avait entendu que chaque homme était un pécheur et qu'il méritait la mort. Il avait essayé de faire taire ce désir profondément ancré dans son cœur de laisser Jésus effacer ses péchés, ce Jésus qui voulait lui donner un habit de fête pour le ciel. Et soudain, tout ce combat contre les paroles du sahib était terminé. Son cœur et sa raison reconnurent ensemble que c'était là le chemin, que, tout comme Patel, ce nouveau Dieu était le seul qu'il voulait suivre.

Le missionnaire avait souvent parlé de la prière. Mais comment pouvait-il, lui, Drupadi, prier un Dieu si grand, alors qu'il n'avait encore jamais fait quoi que ce soit pour lui? Cependant, pour autant qu'il le sache, Patel n'avait non plus jamais rien accompli pour son Dieu. Et il affirmait qu'il priait. C'était vraiment incompréhensible pour Drupadi. A qui pouvait-il poser des questions ? Patel était parti et ce n'était vraiment pas le moment d'en parler à Kittu. Alors il parla à Dieu. Il lui dit son état de perdition, son incapacité à faire quoi que ce soit, et confessa sa vie de péchés. Un grand sentiment de paix l'envahit. Il commençait à entrevoir ce que son ami devait ressentir et comment il avait pu résister seul face à toute la colère du Conseil. Il ne pensait pas qu'il en serait capable, mais malgré sa propre faiblesse, il sentit qu'il y avait une nouvelle force en lui.

Mais la pensée angoissante de la prochaine visite du sahib l'assaillit à nouveau. Si seulement il pouvait faire quelque chose pour le missionnaire et pour son fils ! Si seulement il pouvait empêcher d'une manière ou d'une autre cette terrible lapidation ! La douleur remplit son coeur. Alors il s'adressa de nouveau simplement à son nouveau Dieu.

La réponse était si évidente qu'il en sourit. Certes, retenir son père de lapider le missionnaire quand il arriverait à Magadi était absolument impossible. Mais le sahib n'avait qu'à pas venir ! C'était aussi simple que cela ! Pourquoi n'y avait-il pas pensé plus tôt ? Le village où vivait le missionnaire n'était pas très éloigné de Magadi, de l'autre côté du col, à mi-chemin de la descente. Il pouvait facilement atteindre Chamala et rentrer au village avant le lever du jour.

Drupadi sauta sur ses pieds et enjamba Kittu, profondément endormi. Il se faufila jusqu'à la porte et regarda dehors. Hélas ! La lune était déjà basse à l'horizon, dans deux heures il ferait jour. Il n'avait plus le temps de faire l'aller et retour avant que le village se réveille. Il sentit de nouveau l'angoisse étreindre son estomac. Savoir ce qu'il avait à faire mais ne rien pouvoir entreprendre était encore pire que de ne pas avoir de plan ! Puis il réalisa que ce n'était pas si urgent : Sahib Conway et Jack avaient quitté Magadi le jour précédent, ils n'allaient donc pas revenir avant une petite semaine. C'était même plus sage d'attendre que la tempête se soit un peu calmée au village pour assurer la réussite de son expédition nocturne.

Drupadi prépara soigneusement son plan. Il irait au lit à l'heure habituelle, peu après la tombée de la nuit. Peut-être pourrait-il même se coucher un peu plus tôt que de coutume, si son père et Kittu ne se méfiaient de rien. Ensuite, quand tout le village dormirait, il sortirait prestement de la maison et gravirait la route escarpée de la montagne. De l'autre côté du col, il se mettrait à la recherche du sahib pour l'avertir. Peut-être oserait-il même lui demander de le reconduire un bout avec sa Jeep ?

Et le tigre ? Dans son souci pour le missionnaire, Drupadi avait complètement oublié le tigre ! Le féroce animal rôdait-il au bord de la rivière ou sur le flanc de la montagne ? Allait-il l'attendre le long du chemin pour l'attaquer ? Il se sentait faiblir intérieurement. Mais non ! Il n'avait plus besoin de craindre la vengeance du tigre puisqu'il était devenu un disciple de Jésus ! Cependant, c'était bien difficile d'ignorer la présence du fauve...

Le lendemain, Kittu lui proposa de l'accompagner dans la montagne.

— On n'en a pas pour longtemps, dit-il.

Drupadi n'osait pas le regarder en face. Son frère était rusé. Il avait peut-être pu percevoir l'excitation et l'inquiétude de ses yeux et découvrir son plan... Cela s'était déjà passé plus d'une fois !

—          J'ai autre chose à faire, répondit-il.

— Je voulais te montrer la grotte où Patel se cachait.

Drupadi ne put s'empêcher de lever la tête et de dévisager son frère avec curiosité.

—          Ça ne m'intéresse pas, répondit-il pourtant.

—          On peut se demander si c'était vraiment ton ami...

Pendant le souper, il ne fut de nouveau question que du missionnaire et de son fils. Mukerji répéta tout ce qu'il avait déjà dit en le relatant d'une façon plus malveillante encore. Il avait de nouvelles informations qui confirmaient que le sahib méritait vraiment d'être lapidé.

Drupadi ne leva pas les yeux de son assiette. II aurait voulu protester, crier que ce n'était pas vrai, que le seul «tort» du missionnaire avait été de parler de Jésus, Celui qui avait tant aimé les hommes qu'il avait laissé sa vie pour eux. Mais il n'osa pas. Cela lui barrerait tout chemin pour venir en aide au sahib. Il resta ainsi sourd aux insultes de son père et n'ouvrit pas la bouche de la soirée, évitant même de regarder les autres.

A suivre