Menaces dans la jungle

Résumé

Patel a été découvert par Kittu et ramené au village. Mukerji est fier de son fils aîné. Drupadi, lui, tremble à la pensée que Kittu pourrait dévoiler qu'il était le complice de Patel.

Ce dernier comparaît mainte­nant devant les villageois: il doit dire s'il marche toujours dans le chemin du Dieu étranger.

 ─ Patel! souffla son père. Dis-leur la vérité, que tu ne suis plus la voie du missionnaire et de son Dieu! Dis-leur que tu demeures dans les coutumes de ton peuple!

Lentement, le jeune garçon releva la tête et regarda Nala droit dans les yeux.

─ Mon père, ce ne serait pas la vérité, dit-il distinctement.

Un murmure de stupéfaction parcourut la foule, mais bien vite l'indignation contenue éclata en insultes.

─ Avez-vous entendu? répé­tait-on. Pas étonnant que les dieux aient envoyé le tigre pour exercer leur vengeance! C'est une chance qu'il ne nous ait pas encore tous anéantis!

─ Mon fils! s'écria Nala, le visage déformé par la colère. Tu m'avais dit que tu voulais aban­donner ce Dieu étranger et reve­nir aux coutumes de notre village! Tu m'avais promis de m'accompagner la prochaine fois au Temple du Rocher pour prier!

─ C'est parce que j'avais peur. La voix de Patel gagnait en force et en assurance. Et c'est aussi pour cela que je me suis enfui. Mon coeur voulait rester ici et dire toute la vérité aux anciens, mais mes pieds étaient faibles et lâches.

─ Non! explosa son père. Ce n'est pas possible! Quelqu'un a ensorcelé ton esprit! Tu ne sais ce que tu dis!

— Je sais très bien ce que je dis, mon père. Je dis que ce Jésus dont nous a parlé le missionnaire est le seul vrai Dieu. Il...

Un cri déchira l'espace.

— Assez! hurla Mukerji. Nous en avons assez entendu! Patel doit se taire avant que la fureur des dieux nous détruise tous!

Il se mit à crier et de nombreuses voix se joignirent à lui, jusqu'à ce que la clameur résonne au-dessus du village. Patel attendait tranquillement. Il avait espéré tout d'abord se faire entendre, mais le vacarme des villageois dominait largement le son de sa voix, lui ôtant de force le droit à la parole.

Drupadi se sentit presque défaillir. Il avait tant redouté ce moment! Et voilà que Patel fai­sait exactement le pire de tout ce qu'il avait pu imaginer! Il se pré­sentait devant les habitants de Magadi et leur annonçait qu'il ne mettait plus sa confiance dans les dieux des ancêtres, il confessait devant tous qu'il suivait le chemin de Jésus. C'en était trop pour lui; il ne pouvait comprendre. Sa mère lui caressa le bras.

─ Viens, mon fils, murmura-t-elle doucement. Rentrons!

Il la suivit, touché par sa ten­dresse et soulagé de s'éloigner de cette foule agitée.

─ Que vont-ils lui faire? mur­mura-t-il lorsqu'ils arrivèrent à la maison. Avec sa mère, il osait aborder un sujet aussi sensible, car elle savait garder les secrets. Et il ressentait le besoin de cal­mer la tempête qui se déchaînait en lui. Vont-ils le lapider?

─ Je n'en sais rien, Drupadi. C'est possible. Mais peut-être que non.

─ Ou crois-tu qu'on va lui ôter la raison? Il n'avait jamais vu une chose pareille, mais il avait entendu dire que des anciens avaient exigé une punition telle­ment dure que le condamné en perdait la raison.

Sa mère ne put répondre que de façon imprécise.

─ Si c'est le Conseil qui inflige la punition, on peut s'attendre au pire. Les anciens risquent de se laisser emporter par leur crainte et leur fureur. Mais si c'est Nala qui doit décider, il sera certaine­ment un peu plus charitable. Nala n'est pas un homme aussi violent que certains autres...

Drupadi resta interdit. A n'en pas douter, elle parlait de son père. A Magadi, il n'y avait per­sonne de si violent et absolu que Mukerji. Sentant sa mère de son côté, Drupadi ne put s'empêcher de vider son coeur.

─ Maman, tu sais, ce que le missionnaire dit n'est pas mau­vais. Il fait même bon l'écouter. Il parle du Dieu étranger, mais ses paroles semblent dire la vérité. Il parle d'une deuxième vie, pas comme un animal, un oiseau ou un serpent, mais comme une per­sonne, dans un endroit qui s'ap­pelle le ciel. Tu sais, rien qu'en écoutant, le coeur se remplit de joie!

Il s'arrêta brusquement, réali­sant qu'il en avait peut-être trop dit. Mais le regard de sa mère était plein d'amour.

─ Moi aussi, j'ai ressenti la chaleur des paroles du mission­naire, murmura-t-elle. Et j'au­rais bien voulu en savoir plus sur ce nouveau Dieu. Mais, mon fils, nous n'avons pas le droit d'écouter de tels discours. Ton père est un homme bon, mais il est si sévère envers ceux qui abandonnent les coutumes de notre peuple que l'on ne peut savoir de quoi il serait capable si un membre de sa propre famille marchait dans les voies du Dieu étranger.

Elle frémit. Le sourire avait disparu de son visage et la lumière de ses yeux semblait éteinte. Elle regarda Drupadi fixement:

— Promets-moi de ne jamais être aussi insensé que Patel ce matin, mon fils!

— Ne te fais pas de souci pour moi, s'écria-t-il. Je n'ai pas envie d'entendre tout le village hurler contre moi!

Elle approuva pensivement, comme si elle voulait encore ajouter quelque chose, mais elle se tut. A ce moment, Mukerji et Kittu arrivèrent, encore tout échauffés contre Patel.

— Nala doit maintenant punir dûment son fils, annonça le père, sinon le Conseil s'en chargera à sa place.

— Crois-tu qu'on va lui ôter la raison, comme on le faisait autre­fois? demanda Kittu tout excité.

— On verra de quelle manière Nala va le punir. Mukerji était défi­guré par la colère. Chacune de .ses paroles était un coup de couteau dans le coeur de Drupadi. Moi, je lui montrerais, à mon fils! Il ne me ridiculiserait pas comme cela devant tout le village! Il ne profé­rerait pas de telles insanités sans être puni! Mais Nala est un faible! Le Conseil sera bien obligé de s'oc­cuper de la punition à sa place. Il fit une pause pendant laquelle il considéra ses fils avec attention.

─ J'aime mieux vous dire qu'il n'aurait pas besoin de punir mes fils à ma place! Je m'en occupe­rais moi-même, avec mes deux mains!

Drupadi était terrorisé. Son père n'était pas du genre à faire des menaces en l'air. Ce n'était pas uniquement pour les impres­sionner que Mukerji grondait de la sorte; il mettrait vraiment ses paroles à exécution.

Cette nuit-là, Drupadi ne par­vint pas à trouver le sommeil. Mais ce n'était même pas l'avertisse­ment solennel de son père qui le perturbait. C'était la voix ferme de Patel qui résonnait encore à ses oreilles. Son ami était pleinement persuadé de ce qu'il croyait, il avait une certitude si profonde qu'il ne craignait pas de s'opposer à son père, au Conseil et à tout le village, et de leur expliquer le chemin qu'il avait décidé de suivre, malgré tou­tes les conséquences. Drupadi s'étira sous son drap sans parve­nir à se détendre. Si seulement il possédait un tel courage! Mais il avait bien trop peur de la colère de son père pour s'engager comme Patel sur le chemin de Jésus.

Le lendemain après-midi, Mukerji ramena des nouvelles de Patel.

─ C'est une tête de mule! Une honte pour l'honorable nom de son père! Il cracha avec mépris. J'aimerais mieux que mes fils soient morts plutôt que l'un d'en­tre eux se détourne de sa famille et des voies de son peuple!

─ Qu'est-ce que Nala lui a fait? demanda la mère, et son regard effleura Drupadi au passage.

Mukerji se laissa tomber par terre, s'appuyant contre la paroi.

— Il l'a frappé trois fois avec un fouet de cuir, dit-il, afin qu'il renie son nouveau Dieu.

— Et l'a-t-il fait? demanda Drupadi plein d'espoir.

Une grimace de mécontente­ment s'imprima sur les traits de Mukerji.

— Il est beaucoup trop têtu pour cela! C'est un fils indigne, un menteur en plus! Nala se por­terait beaucoup mieux sans lui!

Sous le choc, Drupadi inspira bruyamment. C'en était trop pour lui. Il était dépassé, terrorisé par les événements. Il n'arrivait plus à garder le contrôle sur lui-même pour agir avec sa prudence habi­tuelle. Et cela suffit pour éveiller les soupçons de Mukerji.

La punition de Patel

— As-tu encore de la pitié pour le fils de Nala? Les traits de Mukerji reflétaient tout son mépris.

— Ce n'est pas cela, se défen­dit Drupadi. C'est seulement que... que...

— Si tu agissais comme le fils de Nala, je n'aurais plus aucune considération pour toi. Que tu sois vivant ou mort me serait complètement égal!

— Drupadi n'est pas comme le fils de Nala, intervint sa mère d'une voix calme. C'est un garçon qui a le sens du devoir et qui est soucieux de la renommée de son père.

Mukerji n'en était pas si sûr.

— J'ai confiance en Kittu. Mais je ne sais pas si je peux me fier à Drupadi. Il se pencha vers ce der­nier. Ce que tu dis me laisse un peu perplexe, mon fils. Tes paro­les me font douter de toi. Tu ne vas quand même pas suivre le même chemin que Patel, ou bien?

— Moi? Suivre les pas de Patel? Drupadi rassembla tout son cou­rage pour rire. Personne n'ose­rait le faire après tout ce qui s'est passé au village!

Mukerji réfléchit un moment.

— En effet, dit-il. Et Patel ne va pas rester longtemps à Magadi. Il ne pourra pas ensorceler tout le village avec ses discours pernicieux.

— Que va donc lui faire Nala? demanda la mère avec insistance.

— Il lui a administré quarante-cinq coups de fouet et comme Patel s'est obstiné dans son erreur, il a demandé au Conseil le droit de l'envoyer dans le village de sa parenté, bien loin d'ici, où il n'y a pas de missionnaire qui puisse lui tourner la tête. Le ton de sa voix se durcit. C'est une punition bien trop douce pour lui, mais le Conseil a été d'accord parce que c'est une affaire entre Nala et les dieux, et parce qu'il sera loin d'ici et que cela devrait suffire pour détourner la malédiction de Magadi.

Drupadi essaya de dissimuler son soulagement. C'était en effet une punition incroyablement légère pour Patel. Les zébrures du fouet sur son dos se guéri­raient bien un jour et aussi long­temps qu'il n'essayerait pas de gagner d'autres personnes à son nouveau Dieu, on le traiterait là-bas comme quelqu'un de normal. Il respirait: Patel ne serait ni tué ni gravement blessé.

Après un certain temps, son père reprit la parole.

— Le Conseil a décrété que l'on devait s'attaquer aux vrais respon­sables de ces événements. On a donc décidé de punir Sahib Con-way et son fils, vu que ce sont eux qui ont communiqué le mal à Patel. Ils doivent payer pour cela.

À suivre