Menaces dans la Jungle

Résumé de l’épisode précédent

Alors que Drupadi était en train de préparer des victuailles pour Patel, Kittu surgit et laissa entendre à son frère qu'il était au courant de beaucoup de choses.. .

Drupadi se mit tout de même en route et rencontra Jack à qui il avoua tout: la fuite de Patel, la fureur des villageois, sa complicité en nourrissant Patel... Jack décida d'en parler à son père. Drupadi rejoignit ensuite un Patel de plus en plus inquiet.. .

─ Savent-ils où je suis, demanda Patel.

─ Pas encore, mais Kittu se méfie de quelque chose. Les joues de Patel pâlirent d'effroi. Lui aussi avait peur de Kittu.

─ Il faut que je parte, sinon ils vont me trouver! Je ne peux pas rester ici plus longtemps!

─ C'est ce que je voulais te dire. Mais il est possible que tu n'aies plus besoin de rester ici: tu pourras peut-être partir avec le sahib de l'autre côté de la montagne!

Rapidement, il lui expliqua qu'il avait tout raconté à Jack et que leur ami allait demander à son père de lui venir en aide.

─ Quel bonheur! soupira Patel. Dis-lui, Drupadi, que j'irai avec lui. Je partirai tout de suite!

Ebloui, Drupadi cligna des yeux.

─ Il faut que j'y aille maintenant. J'ai donné rendez-vous à Jack et à son père sur la route.

Il laissa la nourriture à son ami et descendit en courant à la rencontre du sahib et de son fils. La Jeep était au bord de la route; on l'attendait déjà. Jack était en train de raconter à son père ce qui était arrivé à Patel depuis leur dernière visite au village. Drupadi n'avait plus qu'à répondre aux questions du missionnaire.

─ Je commence à comprendre, dit celui-ci. Je sais maintenant pourquoi personne ne voulait venir à la chasse au tigre ce matin.

─ Ils ont peur, expliqua Drupadi. Ils pensent que les dieux veillent sur le tigre et ne vous auraient pas permis de tirer. Ils craignent que vous soyez impuissant et que le tigre ne les déchire en morceaux.

Le visage du sahib s'éclaira.

─ Cela explique une bonne partie des choses. Il se tut un instant. Mais que va-t-il se passer avec Patel? demanda-t-il ensuite.

─ J'ai causé avec lui, dit Drupadi. Il voudrait bien partir avec vous pour que les anciens de Magadi ne puissent plus rien contre lui.

Le sahib était stupéfait.

─ Quoi? Il veut quitter son village, sa famille? répéta-t-il comme s'il n'avait pas bien entendu. C'est donc si grave?

 ─ Ils peuvent lui faire des choses terribles.

─ En es-tu bien sûr?

Drupadi hocha la tête.

─ Ils disent que c'est le seul moyen pour que les dieux consentent à délivrer Magadi de la menace du tigre.

Pour la première fois, Drupadi vit de la crainte se refléter dans les yeux du missionnaire. Ce n'est pas possible, se dit-il. Le sahib ne peut pas avoir peur des dieux. Il devait y avoir une autre raison à son inquiétude.

─ J'aimerais bien être en mesure de faire quelque chose pour lui, souffla-t-il finalement.

─ Quoi? Tu ne peux pas l'aider? bondit Jack. Tu ne peux pas aider Patel?

Les yeux incrédules de Drupadi se fixèrent sur le visage grave du sahib. Il était si bienveillant!

Patel est trouvé

Le sahib ne pouvait quand même pas laisser tomber Patel alors qu'il était dans une si grande détresse! Après tout, c'était sa doctrine qui avait incité Patel à abandonner les dieux ancestraux. C'était à cause du Dieu étranger qu'il devait se cacher dans la grotte! C'était donc la faute du sahib! Maintenant, il ne pouvait pas tout simplement abandonner Patel à son sort. Il devait l'aider.

Mais le missionnaire répéta encore une fois en secouant la tête:

─ J'aimerais bien être en mesure de faire quelque chose pour lui.

Drupadi ne répondit rien, mais ses yeux exprimaient distinctement l'indignation qu'il ressen­tait.

─ C'est ainsi, essaya d'expliquer le sahib, et le désespoir étranglait presque sa voix. Nala et Sati sont les parents de Patel. Il leur appartient et il doit faire ce qu'ils désirent jusqu'à ce qu'il soit adulte.

─ Mais les gens du village veulent lui faire du mal! s'écria Drupadi. Peut-être vont-ils même le tuer!

Le sahib se contenta de poursuivre son explication.

─ Ils pourraient porter plainte, disant que j'ai enlevé Patel. Ils pourraient appeler la police et me faire mettre en prison ou m'expulser du pays sans droit de retour.

A entendre le sahib, on pouvait croire qu'aider Patel était un grave délit!

─ Mais nous devons faire quelque chose! interrompit Jack. On ne peut pas le laisser se faire piéger!

Conway inclina la tête et resta un long moment silencieux.

─ Est-ce vraiment si grave, Drupadi? demanda-t-il enfin. Est-ce que la vie de Patel est en danger s'il ne quitte pas les siens?

C'était une question difficile pour Drupadi. Comment savoir ce qui pouvait venir à l'esprit des anciens quand ils trouveraient Patel?

─ Peut-être que oui, dit-il, peut-être que non. Et il décrivit au sahib toute la colère et la peur qui avaient envahi le village. Lorsqu'il eut terminé, il observa le sahib en essayant de lire sa décision dans ses yeux.

─ Je pense que vous avez raison, les enfants, dit-il enfin. On ne peut pas le laisser là-haut si on veut lui faire du mal. On va l'emmener à Chalama, l'envoyer dans une école, et peut-être même lui trouver une famille d'accueil.

Un poids de cent kilos s'envola des épaules de Drupadi. Il était certain que le sahib allait secourir son ami; il savait bien qu'il ne pourrait pas laisser Patel à la merci de la colère des habitants de Magadi. Maintenant, il était sauvé!

─ Allons le chercher maintenant! dit le père de Jack en faisant démarrer le moteur. Viens-tu nous montrer le chemin?

─ Bien sûr!

Drupadi grimpa avec empressement sur le siège arrière du véhicule et indiqua la direction de la grotte. Il n'avait jamais pensé qu'une telle situation pourrait se résoudre si rapidement. Dans quelques minutes Patel aurait quitté la grotte et serait en sécurité de l'autre côté du col, là où il n'y avait pas de Mukerji, de Sacuni ou de Nala qui pourraient venir le tourmenter. Et Drupadi n'aurait plus le souci d'être démasqué comme étant son complice.

La grotte n'était éloignée que de quelques kilomètres, mais la route était tellement raide que la Jeep avançait au pas. Les minutes paraissaient bien longues pendant qu'ils gravissaient le chemin poussiéreux et vibrant de chaleur. Ils n'étaient plus très loin de la grotte lorsqu'ils entendirent un hurlement qui couvrit le bruit du moteur. Conway arrêta le véhicule.

─ Qu'était-ce?

Drupadi tendit un doigt tremblant en direction de la grotte. Ils ne pouvaient pas encore voir l'entrée, mais ils étaient assez près pour distinguer une poignée de villageois.

─ Regardez!

Sous leurs yeux, Patel fut pris et poussé en direction du village, accompagné de cris de triomphe.

Drupadi ne pouvait pas admettre la réalité. Trop tard! Ils étaient arrivés trop tard! Les villageois les avaient précédés. Ceux-ci étaient si excités qu'ils ne remarquèrent la Jeep qu'au moment où le sahib lui fit faire un brusque demi-tour qui fit crisser les pneus et gémir toute la carrosserie.

─ Baisse-toi, Drupadi!

Le véhicule cahotait sur la pente accidentée et sa vitesse augmentait au fur et à mesure qu'il descendait. Drupadi était tapi contre le plancher, s'agrippant au siège. Personne ne pouvait l'avoir vu: c'est lui qui les avait vus en premier et il s'était immédiatement caché, bien avant que le sahib ne le lui ordonne. Il n'avait pas besoin de se faire du souci. Mais cette consolation s'envola bien vite lorsque le sourire ironique de Kittu lui revint à l'esprit. Son frère avait eu un sarcasme mordant dans la voix ce matin, comme s'il en savait beaucoup plus long que ce qu'il disait. Peut-être que les anciens de Magadi étaient déjà au courant qu'il aidait Patel et qu'ils attendaient de le prendre sur le fait. Drupadi était terrorisé.

S'il en était ainsi, il se trouvait exactement dans la même situa­tion que Patel. Il se mit à trembler de tout son corps. Il n'osait s'ima­giner la colère de son père, premièrement à cause de ses men­songes et de sa désobéissance et deuxièmement parce qu'il avait pris le parti de quelqu'un qui méri­tait la colère des dieux. Sous l'ef­fet de la panique, il ne parvenait plus à réfléchir rationnellement et il avait de la peine à respirer.

Ce n'est que lorsqu'ils atteigni­rent la route que le sahib ralen­tit un peu. Puis il écrasa les freins et la voiture s'immobilisa dans un nuage de poussière.

─ Il vaut mieux qu'on te laisse ici, Drupadi, dit-il en regardant de tous les côtés. Ce serait trop bête qu'on nous voie arriver ensemble au village alors qu'ils ont vu la Jeep vers la grotte.

─ Et comment! répliqua Drupadi en sautant de son siège. Il est préférable que je rentre à pied! Quoi qu'il arrive, il ne devait désormais plus jamais être vu en compagnie du sahib ou de Jack. Cela ne ferait qu'aggraver la situation.

─ Nous reviendrons dans une semaine, Drupadi, assura le sahib. Et nous allons beaucoup prier pour Patel et pour toi.

Le garçon l'entendit à peine, il dévalait déjà la route brûlante et poussiéreuse. Il devait impérativement arriver au village avant ceux qui ramenaient Patel; il fallait qu'il puisse faire croire qu'il avait passé toute la journée à Magadi.

Le traître

Certes, ce serait bien inutile si quelqu'un l'avait vu dans la Jeep avec le missionnaire ou si Kittu l'avait suivi jusqu'à la grotte. Mais c'était la seule précaution qu'il pouvait prendre. Qu'allait-il se passer maintenant ?

D'abord, Patel serait amené devant le Conseil et Sacuni ou l'un des anciens établirait l'accusation contre lui. Tous ceux qui auraient un avis à émettre pourraient parler. Quelqu'un se lèverait certai­nement pour rappeler avec quelle témérité il avait déclaré renoncer aux dieux de son peuple pour suivre le Dieu étranger; d'autres se chargeraient d'expliquer que le tigre avait été envoyé pour exercer la vengeance des dieux. Tout le monde était au courant de l'affaire, mais tout serait redit lors de la cérémonie. Bien que Patel soit mineur, et malgré tout le mal qu'il avait causé au village, il aurait le droit d'assister au jugement du Conseil. C'était la loi de son peuple. S'il s'agissait du sahib, ce serait différent. Il ne faisait pas partie du village; il ne serait pas jugé selon les coutumes du pays. Une fois que toutes les accusations contre Patel auraient été prononcées, celui-ci aurait le droit de parler pour se défendre. S'il promettait de ne plus écouter le missionnaire et de retourner aux dieux de son peuple, les anciens se contenteraient certainement de le corriger à coups de fouet ou de bâton, et ils le laisseraient rentrer à la maison.

À suivre