En otage (suite)

Ranimé, pansé, soigné, Laurent subit le long interrogatoire afin de savoir d'où il vient. Il téléphone à son père qui lui dit que sa maman viendra le chercher à l'hôpital.

Chapitre 9 - Une semaine mémorable

En attendant la visite de Maman, l'interne décida que Laurent devait prendre du repos. Mais le jeune garçon ne l'entendit pas d'une bonne oreille, car personne n'avait songé à le nourrir et ses tiraillements d'estomac devenaient impératifs. On lui avait appris à ne pas réclamer, mais tout de même, ce jeûne forcé dépassait les limites. Il se tourna vers le docteur et balbutia:

— S'il vous plaît, Monsieur, je veux bien dormir, mais est-ce que l'heure du repas est passée? J'ai drôlement faim!

— Naturellement! Depuis quand n'as-tu rien pris?

— Depuis ce matin.

— Excuse-nous, mon garçon. Ton histoire nous a fait perdre le sens des réalités.

— C'est pas une histoire, c'est du vrai.

— D'accord, c'est du vrai!

— Je vais te préparer un plateau, dit Aude.

La jeune fille revint dix minutes plus tard, avec ce qu'il fallait pour satisfaire son appétit, et même un peu plus.

— Tu es gentille, toi, dit Laurent spontanément, parce que la jeune fille lui plaisait. J'aimerais bien que tu sois chrétienne.

Interloquée, Aude l'observa. Elle mit un certain temps à répondre:

— Ben... je le suis, je vais à l'église.

— Ça ne veut rien dire! fit-il sur un ton convaincu, alors qu'il s'attaquait avec plaisir à une cuisse de poulet.

— Ah oui! pourquoi?

— Les églises sont remplies de gens qui n'ont pas envie d'aller au ciel.

— Peut-être.

— C'est quand on a accepté Jésus dans son cœur qu'on est chrétien. Quand on est sûr qu'il nous a pardonné tous nos péchés. Ça s'appelle la repentance.

— Dis-donc, tu en sais des choses pour un garçon de ton âge?

— Je le sais parce que je suis sauvé.

— Sauvé? Sauvé de quoi?

À ce moment précis, «la surveillante chef» apparut et rappela sévèrement à Aude qu'elle n'était pas là pour discuter avec les malades.

Après s'être régalé d'une agréable manière, Laurent eut l'occasion de dire un mot à Aude lorsqu'elle vint reprendre le plateau.

— Voudrais-tu m'inscrire ton adresse sur un papier? demanda-t-il. Si tu pouvais parler avec ma maman quand elle viendra, elle t'expliquerait ces choses-là mieux que moi.

— Je crois que je ne le pourrai pas, Laurent, j'ai du travail. Mais je vais t'apporter ma carte de visite avec mon adresse et mon numéro de téléphone.

— O.K. merci.

— Maintenant, repose-toi.

Il essaya de s'endormir. Cependant, avec les chocs émotionnels accumulés depuis la veille, les nerfs avaient pris le dessus et le sommeil le fuyait. Maman arriva. Ils se jetèrent dans les bras l'un de l'autre. Nathalie sanglota comme jamais elle ne l'avait fait en présence de son cher garçon. Laurent se demanda un court instant s'il était un fils normal, parce qu'il éprouvait une sorte de joie à constater que Maman versait des larmes pour lui. Rien que pour lui. C'était le signe qu'elle l'aimait profondément. «C'est drôle, pensa-t-il, je devrais pleurer et je n'y arrive pas. Je suis si content que Maman soit là, et je suis content qu'elle pleure... Oh! là, là, j'voudrais pas qu'elle devine mes pensées...»

— Laurent, le Seigneur Jésus est redevenu le premier dans ma vie. Vraiment le premier.

— Oh! Maman!

Il n'ajouta rien, les mots étaient superflus.

Elle le berça tendrement. Puis, après ces douces effusions, il s'éloigna des bras maternels et annonça:

— Le docteur a dit que je pouvais m'en aller d'ici.

— II a sans doute établi une ordonnance et indiqué dans combien de temps il faudra changer le pansement, répondit-elle. Je vais demander à lui parler. Tu restes tranquille en attendant.

Le docteur rassura Nathalie. La mère et le fils se rendirent à Chevillenay, où ils rejoignirent Madou, Jo et le commissaire.

Maman avait oublié de dire à Laurent que Jo était revenu délivrer Madou, cette dernière ayant été enfermée à clef par les bandits.

— Il a été gentil avec moi, dit Laurent, sans lui, les autres m'auraient emmené.

— Je prends note de tout cela, répliqua le commissaire, et nous verrons comment agir à l'égard de Jo.

Nathalie murmura à l'oreille de son fils:

— Sa maman est chrétienne. Elle lit la Bible et elle prie depuis longtemps pour Jo.

— Ben alors, elle va en avoir du chagrin si Jo va en prison, répondit-il mélancolique.

— Laurent, rappelle-toi que le Seigneur est au courant. Avec son aide nous pourrons peut-être leur être utiles. Nous irons les voir de temps en temps.

— Vrai! Tu vas faire ça!

Laurent exulta. Tant de sujets de joie l'envahissaient maintenant. Le Seigneur n'avait-il pas opéré un véritable bouleversement dans le cœur de sa maman?

Les deux voitures, celle du commissaire et celle de Nathalie prirent le chemin du retour. Il y eut de joyeuses retrouvailles à Lucène. Mais Laurent, commotionné par son accident, et Madou, anéantie de fatigue, durent aller se coucher avant le crépuscule.

Maman reconduisit Madou jusqu'à sa maison. Elle lui proposa: «Puisque j'ai votre clef, plus tard, dans la soirée, je passerai chez vous. Je m'assurerai que vous avez trouvé le sommeil et que tout va bien. C'est la moindre des choses que je puisse faire pour vous.»

Madou répondit à peine. Cela ne lui ressemblait pas. «Il faudra veiller sur elle, se dit Nathalie. Elle subit sans doute les conséquences de cette terrible séquestration.»

Le téléphone sonna. C'était Marianne, la fille de Madou Tessier qui appelait. Nathalie entendit les premières répliques, puis, elle s'esquiva discrètement en murmurant: «A plus tard.»

Jo passa la nuit au poste de police. Claude et Nathalie s'entretinrent longuement au téléphone avec la maman de Jo qui versa d'abondantes larmes. Ils l'apaisèrent en lui rappelant, malgré tout, les promesses de la Bible, et au bout du fil, Papa prit même le temps de prier avec elle. Il ajouta: «Je crois que durant ces derniers jours votre fils a pris la meilleure décision de sa vie. Il vous en parlera lui-même». Et le cœur de cette mère fut réchauffé d'une douce chaleur, la consolation divine coula en elle comme un baume qui guérit.

Maman et Nadège se glissèrent ensemble dans la chambre de Laurent, avant qu'il ne s'endorme. Chacune lui prit une main et lui manifesta une tendresse inaccoutumée.

Nadège resta un instant de plus que Maman et murmura encore:

— Pardon pour tout, Laurent. Je ne voudrais pas avoir un autre frère que toi.

— Oh... ça va... articula Laurent d'une voix déjà ensommeillée.

Si Nadège avait mis en ordre ses culpabilités douloureuses vis-à-vis de son frère, son attitude relevait d'un pardon conforme au devoir, un pardon sans humilité. C'était dans l'ordre des choses de s'excuser, mais au fond d'elle-même stagnait une profonde misère: celle de n'avoir rien réglé à la croix. Nadège n'avait pas levé les yeux vers le Père céleste. Tout abandonner entre les mains de Christ lui semblait être un prix trop dur à payer. Elle continuait de lutter contre le «Venez à moi» si doux et si purificateur du Sauveur. La prisonnière actuellement, c'était elle.

Nadège était hantée par une autre peur: Marcel et Bernard n'avaient pas été arrêtés, ils restaient dangereux. Qui sait s'ils ne viendraient pas rôder cette nuit autour de la maison? Qui sait si leur haine des bourgeois, si leur colère contre le fait que la filière de la drogue risquait d'être démantelée, ne se transformerait pas en une attaque brutale et sans merci contre la famille Baudrimont? Dans son extrême anxiété, elle oubliait que la police continuait d'exercer sa surveillance.

Papa et Maman vinrent lui dire bonsoir. Elle avoua sa crainte.

— Les deux autres n'ont pas été arrêtés! Ils sont dangereux, je les connais.

— Nous avons eu la preuve pendant ces deux jours que notre Dieu est un Dieu de délivrance, répliqua Maman.

— Peux-tu t'endormir en te déchargeant sur lui de ton inquiétude? demanda Papa.

En dépit de sa détresse, elle lança une réplique cinglante:

— Non! ce n'est pas possible! Et ne me demandez pas pourquoi!

Papa et Maman se regardèrent. Ils étaient venus avec un cœur bienveillant, tandis que le cœur de Nadège exhalait une inexplicable animosité. Maman reprit doucement:

— Tu nous parles comme si tu nous en voulais.

— Pas à Papa! Et puis, laissez-moi tranquille!

— Oui, nous allons te laisser tranquille, si toutefois la tranquillité peut être ta compagne en ce moment. Demain, nous y verrons plus clair.

La réflexion de Papa la laissa muette. Elle se faisait mal et elle rendait son entourage malheureux.

Claude et Nathalie se retirèrent silencieux.

— Elle me hait, soupira tristement Maman.

— Depuis hier elle n'a rien fumé, peut-être qu'elle est en manque, il se peut que cela la rende irritable, suggéra Papa.

— Peut-être, murmura Nathalie sans conviction.

À suivre