L’homme qui était différent

Il y a bien des années, quand la Chine était encore un pays libre et ouvert aux étrangers, deux jeunes gens se rendaient à une bourgade pour vendre des bibles au marché. Au bout de deux heures de marche, ils atteignirent la cité grouillante de monde et encombrée de mulets et de marchandises.

David et Jacques déambulaient lentement à travers le marché. C'était un lieu sordide, rempli de mendiants et de querelleurs. Ils se dirigèrent vers un bouquet d'arbres et s'accroupirent à l'ombre au milieu de gens qui prenaient leur repas de midi. Puis ils sortirent leurs livres.

─ Dis-nous de quoi parlent ces livres! lança un paysan. Nous ne savons pas lire.

Que pouvait bien leur dire David? Que comprendraient-ils d'un Dieu vivant et aimant? Il regarda les visages tournés vers lui, certains si mornes, d'autres si sournois, et il se mit à parler de Jésus, celui qui allait çà et là, en faisant du bien, qui enseignait aux gens à aimer leurs ennemis. Les Chinois l'écoutèrent avec étonnement, et l'auditoire ne cessa de s'élargir. Emporté par son sujet, David parla encore et encore... Soudain, il fut interrompu par un homme qui s'était frayé un chemin dans la foule:

─ Je connais cet homme, annonça-t-il. Il habite dans notre village. Viens et je te le présenterai.

C'est en vain que David tenta d'expliquer que l'homme dont il avait parlé avait quitté ce monde depuis longtemps déjà.

─ Non, non, ton ami, il n'y en a qu'un comme lui. Il sera heureux de te voir, puisque tu le connais si bien. Viens, suis-moi. Il habite là-bas dans la vallée.

Piqués de curiosité, David et Jacques furent d'emblée disposés à le suivre; ils endossèrent leur sac à dos et partirent. Une heure de marche les amena au village — une étendue sur laquelle étaient éparpillées des huttes branlantes, où des porcs farfouillaient de leur groin la poussière et les immondices.

─ Ton ami habite ici, dit le paysan.

Avant même que le paysan s'arrête, David et Jacques surent qu'ils étaient arrivés. Il n'y avait pas d'immondices devant cette hutte, et à la place de la boue piétinée poussaient des plantes vertes. L'homme qui se présenta à la porte était lui aussi différent; son visage était simple et bienveillant.

─ Tes amis, dit le paysan en guise de présentation. Ils ont parlé de toi au marché et moi je leur ai servi de guide.

─ Entrez, dit l'homme avec courtoisie, et asseyez-vous. Vous avez fait un long voyage à pied, et je n'ai pas grand-chose à vous offrir. Je vais faire du thé.

Pendant qu'ils buvaient, la conversation s'engagea.

─ Qu'êtes-vous venus faire dans ce village perdu?

─ Nous vendons des livres qui parlent de Dieu, le Créateur, et de son Fils Jésus Christ.

─ Jésus? L'homme se leva et son visage s'éclaira étrangement.

─ Le connaissez-vous? murmura-t-il. Se peut-il que ce soit l'homme que je connais?

Il alla ouvrir une boîte et revint, tenant dans ses mains un vieil évangile de Marc en lambeaux.

─ Voilà le livre qui parle de mon Jésus, dit-il en s'attardant affectueusement sur ce nom. Il y a bien des années de cela, un homme me l'a vendu au marché et, depuis, je le lis jour et nuit. Je n'ai jamais connu d'homme comme lui! Je me suis dit: «Il est si bon, pourrai-je jamais devenir comme lui?» Chaque jour, je me demande ce qu'il ferait s'il était ici dans ma maison. Parfois, j'ai l'impression qu'il est réellement là dans cette hutte ou qu'il laboure et récolte avec moi, ou alors qu'il m'accompagne sur la route du marché. Se pourrait-il que ce soit le même Jésus que vous connaissez?

Les yeux des missionnaires se fixèrent sur ce visage si lumineux et rayonnant d'amour.

─ Oui, c'est le même Jésus, dit Jacques. Il est Unique.

─ Alors j'avais raison? demanda le paysan d'une voix forte, passant soudain sa tête dans l'embrasure de la porte. Est-ce que c'était lui, l'homme dont vous avez parlé tout à l'heure?

─ Oui, l'homme dont nous avons parlé est ici avec nous, affirma David. Il demeure dans cette maison. Tu avais parfaitement raison!

As-tu déjà passé près d'un champ de renoncules avant le lever du soleil et remarqué chaque fleur en bouton? Es-tu revenu quelques heures plus tard pour trouver chacune de ces fleurs d'or épanouie et reflétant le soleil? Ce n'est pas en se démenant, ni en travaillant qu'elles ont accompli ce prodige, mais simplement en se tournant vers la lumière. De la même manière, quand nous nous tournons vers Jésus, quand nous considérons, dans les évangiles, sa vie parfaite et son amour, et que nous recherchons à être comme lui, nous sommes progressivement transformés.

«Nous tous, contemplant à face découverte la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image» (2 Cor. 3, 18).