La Fuite

A. Van der Jagt

Jean, Manette et Camille sont enfin parvenus à destination: la Hollande. Après avoir passé quelques jours à Vlissingen, ils vont être transférés à Amsterdam où ils pourront enfin rencontrer des compatriotes huguenots!

Chapitre 21 ─ La fin du voyage

La nuit était venue sur Amsterdam, la grande cité marchande de Hollande. Toute l'activité de la journée était retombée et chacun avait regagné son foyer. Les jours de travail commençaient si tôt qu'on avait besoin d'une longue nuit et d'un sommeil réparateur! Mais, ce soir-là, au troisième étage d'une maison, quelqu'un ne dormait pas et regardait tranquillement par la fenêtre. C'était Jean; il était censé être déjà au lit mais n'en ressentait pas le besoin. Tant de décisions majeures avaient été prises aujourd'hui, qu'il voulait s'offrir le temps d'y repenser dans la solitude. Il était si reconnaissant de la tournure qu'avaient prise les événements!

Cela faisait environ trois semaines que Jean, Camille et Manette étaient arrivés à Amsterdam, après avoir voyagé comme de riches personnages, d'abord par bateau puis en diligence postale, grâce à la générosité du Conseil de Vlissingen. Ils furent reçus par un compatriote qui leur apprit qu'il était ministre de l'église réformée de France. Il leur offrit l'hospitalité. Ils firent la connaissance de son épouse et passèrent des heures à faire le récit de leurs aventures.

Le lendemain était un dimanche et ils avaient accompagné leurs hôtes à l'église. C'était une nouvelle et étrange expérience, mais ô combien heureuse! de se retrouver au milieu d'un grand nombre de huguenots, et de recevoir un enseignement sur un texte biblique. C'était si merveilleux que personne n'ait la crainte d'être jeté en prison ou d'être persécuté! Après le culte d'adoration, les enfants furent invités à présenter l'histoire de leur fuite à toute la congrégation, et chacun écouta avec joie comment le Seigneur les avait guidés.

Le lundi, le couple qui les hébergeait eut une longue conversation avec eux sur leurs désirs pour le futur. L'épouse suggéra qu'ils restent d'abord avec eux quelques semaines pour se reposer complètement, leur maigre salaire ne leur permettant malheureusement pas de les prendre en charge définitivement tous les trois. Ces gens sans enfants étaient tombés sous le charme de Manette qu'ils aimaient déjà comme leur propre fille et ils émirent le désir de la garder auprès d'eux, à condition de recevoir leur approbation à l'unanimité. Les garçons, reconnaissants de cette issue, ne purent qu'accepter et Manette était tout heureuse d'avoir retrouvé une famille.

─  Notre point d'interrogation reste votre avenir, chers garçons, leur dirent-ils.

Dans la discussion qui s'ensuivit, Camille mentionna soudain son désir de devenir pasteur. Ainsi pourrait-il retourner en France pour apporter l'évangile à ses parents et à tous ceux qui voudraient l'entendre.

Ce fut une grande surprise pour son ami Jean. Ils avaient été si proches et il croyait bien le connaître, mais il n'avait jamais eu le moindre soupçon de ce profond désir. Quand il avoua son étonnement, Camille rougit et confessa qu'il y avait pensé lors de leur séjour à Paris, mais qu'il n'avait jamais eu le courage de lui en parler, car il avait eu peur qu'il se moque de lui à cause desa mécon­naissance presque totale de la Bible. Mais maintenant, les choses avaient changé. Ils se trouvaient dans un pays où il pouvait saisir l'opportunité-d’ aller à l'école et à l'université. Il avait toujours aimé les livres et il était prêt à renoncer à tout pour devenir ministre. Il interrogea leur hôte pour savoir s'il était possible d'étudier et de travailler en parallèle pour subvenir à ses propres besoins. Ce dernier, qui avait écouté avec un large sourire, l'assura que l'on trouverait sans aucun doute un moyen, s'il était décidé dans son cœur à suivre sa vocation jusqu'au bout.

Jean, lui, ne savait pas bien ce qu'il avait envie de faire. Sa première pensée fut pour son père qu'il aurait voulu retrouver, mais leur hôte le prévint tout de suite que c'était pratiquement impossible. Il promit que certains de ses amis feraient tout leur possible pour entrer en contact avec lui, et peut-être que même lui, Jean, pourrait les aider plus tard dans ce sens. Il expliqua qu'il arrivait parfois que des esclaves des galères puissent mettre pied à terre et envoyer des lettres, pour autant qu'ils aient de l'argent. Certains Hollandais aisés, des chrétiens sincères, mettaient tout en œuvre pour soulager les huguenots sur les galères. Ils essaieraient de localiser son père et de l'aider.

Après avoir entendu cela, Jean demanda leur avis: que faire pour subvenir à ses besoins et à ceux de Manette? Il n'aimait pas l'idée qu'ils la prennent en charge alors qu'ils avaient déjà des difficultés financières. La femme du ministre sourit, appréciant sa délicatesse. Elle leur fit une proposition:

Et si toi, Jean, tu restais aussi avec nous? Dès que tu auras trouvé un emploi, la moitié de ton salaire serait utilisée pour votre nourriture et vos habits, et l'autre moitié pour tes études. L'idée de gagner votre vie est tout à ton honneur, mais tu ne dois pas négliger tes études. Je pense que revoir la lecture, l'écriture et l'arithmétique ne te ferait pas de mal.

Puis elle eut une véritable inspiration. S'il voulait débuter dans le monde des affaires, elle contacterait un marchand hollandais qui avait besoin d'un garçon de bureau. Elle le connaissait bien et elle était sûre qu'il serait d'accord d'embaucher Jean si elle le lui demandait, d'autant plus qu'il parlait français.

Assis près de la fenêtre, Jean ne pouvait se résoudre à aller dormir et repassait dans sa tête tout ce qui était arrivé. La séparation d'avec Camille était inévitable, mais il allait vivre tout près, dans une autre famille. Tout s'était si bien mis en place, qu'il se demandait encore s'il n'avait pas rêvé... Dieu leur avait permis d'oublier toutes leurs craintes et leurs soucis en les comblant si abondamment! Il se mit alors à genoux devant la fenêtre ouverte et rendit grâces à Celui qui les avait guidés au travers de tous les dangers de leur fuite vers ce pays de liberté où ils pouvaient confesser son Nom sans être persécutés.

Fin