En otage

Les responsables du «holdup», Marcel et Bernard, ont pris la fuite. Jane la brune file à son tour. Nathalie, précédée par la police, découvre Madou à table. Mais où est Laurent? —Laurent a tant marché qu'il est à bout de forces. Apercevant une maison il court, tombe la tête contre une pierre et s'évanouit.

Après l'avoir ranimé, radiographié, pansé, soigné en bonne et due forme, l'interne de garde et l'infirmière essayèrent de le faire parler. Mais Laurent était en état de choc, il avait perdu le contact avec la réalité. Il dormait, gémissait, prononçait des phrases incohérentes dans son demi sommeil.

— On ne sait même pas d'où il vient, c'est tout de même étrange, dit l'infirmière.

— Il semble être inconnu à Saint-Jean-de-Livet, ajouta l'interne.

Deux heures plus tard, l'aide-soignante lui parla. Quand elle vit que le jeune garçon commençait à se demander pourquoi il se trouvait dans une chambre d'hôpital, elle appela l'interne et l'infirmière de service.

— Comment t'appelles-tu, mon garçon? demanda gentiment l'interne.

— Laurent.

— D'où viens-tu?

— De Lucène Mais je voudrais qu'on délivre Madou. Il faut faire vite...

Laurent avait de la peine à s'exprimer. Il parlait d'une voix pâteuse. L'aimable aide-soignante assistait à l'entretien, elle était jeune dans la profession, et ses réparties faisaient parfois les délices du service dans lequel elle était affectée.

— D'où viens-tu, mon garçon? De quel village? insista l'interne.

— J'sais pas.

— On t'a retrouvé à Saint-Jean-de-Livet.

— P't'être bien. J'me sauvais. J'avais couru dans la forêt.

— Tu te sauvais? Tu faisais une fugue?

Il répéta, parce que le mot était trop compliqué pour un cerveau malmené:

— Une fugue?

— Tu fuyais tes parents?

— Oh! non! C'est le contraire.

— Tu les cherches, alors?

— Ça oui! Il est quelle heure?

— Seize heures.

— Quel jour?

— Jeudi.

— Qu'est-ce que ça peut faire qu'on soit Jeudi, puisque je ne sais plus trop ce qui m'arrive.

— Qu'est-ce que tu as fait avant de tomber dans le fossé? Laurent fit un effort pour se souvenir.

— J'ai couru, couru dans la forêt. C'était pas rigolo. J'avais noué des draps pour me sauver par la fenêtre. Le Marcel voulait se venger sur moi des bêtises de ma sœur... Alors, fallait mieux filer, pas vrai?

— Il est drôlement choqué, murmura l'infirmière, entre haut et bas. Il divague complètement.

De sa voix endormie, Laurent continua:

— Heureusement que les nœuds étaient solides.

— Pourquoi as-tu fait cela? demanda l'interne.

— J'étais pris en otage.

— Oh! là, là, ça ne tourne pas rond dans sa tête, dit à mi-voix l'aide-soignante. Ce serait mieux de le laisser dormir encore.

Laurent toucha son pansement:

— Ne t'inquiète pas, Laurent, tu n'as rien de grave, ajouta-t-elle, en lui caressant la main.

Laurent entrouvrit davantage les paupières et distingua l'aide-soignante.

— Tu es belle comme ma maman.

— Merci mon petit. Et cette belle maman, où est-elle?

— Chez nous... Comment tu t'appelles?

— Aude.

— C'est un joli nom.

Après cet effort il ferma de nouveau les yeux.

L'interne était perplexe. Aucune fugue, aucune disparition n'avaient été signalées à la police d'Orléans, ni à celle de Saint-Jean-de-Livet. Par erreur ou par manque d'idées, l'hôpital ne consulta pas les autres villages environnants. L'infirmière avait fait remarquer que l'enfant était propre, avec des ongles nets et des vêtements de bonne qualité, il n'était donc pas un garçon livré à lui-même.

Aude lui tendit un verre d'eau d'Évian, fraîche et désaltérante. Il but l'agréable liquide avec avidité.

— C'est bon, dit-il avec conviction. Quand la reine Esther a donné un festin pour Assuérus et Aman, elle ne connaissait pas l'eau d'Évian. Dommage...

Les adultes se regardèrent avec une expression d'incrédulité impuissante et amusée.

— Dis-moi, reprit l'interne, tu dois bien te souvenir du village d'où tu viens?

Mais non! Puisque je vous dis que j'étais enfermé quelque part. Ils m'avaient pris en otage. Ils avaient même des revolvers.

— Tu regardes trop la télévision, jeune homme, dit l'infirmière sèchement, ça te tourne la tête.

— Vous ne voulez pas me croire, hein? Personne ne veut me croire... Ça ne fait rien, le Seigneur est au courant. De grosses larmes perlèrent à ses yeux.

— Le Seigneur? Quel Seigneur? insista tout de même le docteur.

— Le Seigneur Jésus, bien sûr! C'est à Lui que je regarde. Pas aux vagues, non! Pas aux vagues. On enfonce quand on regarde aux vagues.

— Qu'est-ce qu'il raconte? s'étonna encore l'infirmière.

— Oh! vous ne pouvez pas comprendre. Vous ne lisez pas la Bible, vous...

Je vois, ajouta l'infirmière, d'une voix qu'elle croyait être basse, mais qui ne l'était pas, il doit être entre les mains d'une secte. Vous voyez ce que ça donne.

Laurent s'insurgea:

— Mais non! C'est pas vrai! J'ai pas le cerveau dérangé! Et puis, j'veux plus parler à personne, sauf à Aude.

L'interne et l'infirmière se glissèrent un regard d'intelligence, et décidèrent de le laisser seul avec l'aide-soignante.

Aude lui prit la main et le rassura:

— Est-ce que tu veux te reposer encore un peu? Je te tiendrai la main pendant que tu sommeilles.

— D'accord, je vais t'obéir. Mais avant je voudrais téléphoner à mes parents. Ils te rembourseront la communication.

— Oh! bien sûr! s'exclama-t-elle, c'est par là que nous aurions dû commencer! Nous avons été stupides!

Aude nota le numéro avec son stylo bille sur le revers de sa main. Elle rappela de nouveau l'interne. Quand elle eut composé le numéro, elle tendit le téléphone à Laurent. L'interne et Aude assistèrent au dialogue.

— Allo, Papa! C'est moi, Laurent!

— Oh! Laurent, mon chéri! Dieu soit loué! Te voilà enfin! Quel bonheur!

— Oh! là, là, si tu savais! moi aussi, j'suis content! Nadège arracha presque le récepteur des mains de son père.

— Laurent, pardon pour tout le mal que je t'ai fait.

— C'est pas grave. Tu vois, j'ai tenu le coup!

Laurent comprit que Nadège pleurait.

— Pleure pas, va... on va être bien ensemble, maintenant.

— Oui, j'te ferai plus de misères. J'avais tellement peur de ne pas te revoir vivant!

— Ben dis-donc, t'as vraiment dû te faire de la bile! Est-ce que Maman est là?

Laurent redevenait communicatif comme si son cerveau émergeait de l'engourdissement d'une maladie.

Papa reprit gentiment le récepteur des mains de Nadège.

— Maman a retrouvé Madou.

— Là-bas! Elle est avec les gangsters?

— Ne t'inquiète pas, ils ont pris la fuite.

L'interne et Aude se regardèrent, de plus en plus ahuris.

— Ils ont compris que tu allais alerter la police, alors ils se sont sauvés.

— Ça, c'est une bonne nouvelle! Oui, c'est une bonne nouvelle! Est-ce que Madou est toujours dans le coma?

— Elle ne l'a jamais été, mon chéri. Elle était simplement assoupie. Mais dis-moi, où es-tu? De quel endroit me téléphones-tu?

— De l'hôpital.

— De l'hôpital! Tu es à l'hôpital? Tu es donc malade ou blessé?

— Oui, je me suis évanoui. Je me suis blessé au front en sortant des bois. Ensuite, quelqu'un a dû m'amener ici.

— Dans quel hôpital es-tu?

— On est où, ici, Monsieur? demanda Laurent à l'interne.

— À l'hôpital d'Orléans. Voudrais-tu me passer ton papa?

— J'ai entendu, affirma papa, tu es à l'hôpital d'Orléans.

— Oui. Écoute! je voudrais te dire... J'ai été gardé du mal à cause de ta phrase.

— Quelle phrase, mon chéri?

— Tu dis souvent que le Seigneur est au courant. Quand je n'en pouvais plus dans la forêt, ça me réconfortait très fort.

L'interne faisait des signes à Laurent.

— Attends, dit-il, le docteur voudrait te parler.

— D'accord. Je vais téléphoner à Maman afin qu'elle te rejoigne au plus vite. Elle va bondir de joie!

— Et moi aussi, tu penses...

L'interne rassura le père en lui affirmant que son fils était hors de danger et qu'il pourrait quitter l'hôpital le jour même. Il leur faudrait seulement régler la note. Puis, lorsque Claude lui raconta en détail le holdup et la prise d'otages, il fut bien obligé de reconnaître que le jeune Laurent ne leur avait pas menti.

— Il divaguait singulièrement à son réveil. Il nous a parlé de la reine Esther et d'une histoire de vagues dans lesquelles on enfonce, ajouta-t-il, mais c'est sans importance.

— L'important, c'est de l'avoir retrouvé et de l'avoir retrouvé en vie, assura Claude.

À suivre