Première épître aux Corinthiens (suite)

F.B. Hole

Chapitre 9

A la fin du chapitre 8, nous avons vu l'attitude pleine d'égards de Paul: il était disposé à renoncer à ses droits incontestables, si, par là, il pouvait sauver un de ses frères plus faible d'un désastre spirituel. Le chapitre 9 s'ouvre par une vigoureuse affirmation de sa position apostolique et des privilèges qui lui sont liés. Les deux choses s'accordent parfaitement, mais l'apôtre savait bien que ses adversaires — et ceux du Seigneur — essaieraient de le trouver en défaut à ce sujet. Ils insinueraient que son attitude bienveillante n'était qu'un artifice destiné à camoufler le fait qu'il n'était pas réellement apôtre, mais quelqu'un qui s'était élevé lui-même. Les Corinthiens avaient manifestement été influencés par les prétentions osées de ses adversaires et leurs pensées avaient par conséquent été quelque peu faussées. C'est ce qui conduit Paul à parler ouvertement de l'autorité que Dieu lui a donnée.

Il était réellement apôtre; et il était entièrement à l'aise quant aux objets mentionnés plus haut. Il n'avait pas été avec Christ durant les jours de sa chair, comme les douze, mais il avait vu le Seigneur dans sa gloire. Les Corinthiens eux-mêmes étaient le fruit de son travail apostolique. Le verset 2 fournit un argument incontournable à ceux d'entre eux qui, influencés par les adversaires, pouvaient être enclins à mettre en question son apostolat: ils étaient eux-mêmes la preuve de la validité de son œuvre! Jeter un doute sur la réalité de son travail revenait à en jeter un sur la réalité de leur propre conversion. A la fin de la deuxième épître, il reprend cet argument et le développe (13: 3-5).

Si on l'interrogeait à ce sujet, il avait là une réponse qui ne pouvait être contredite. Ses adversaires faisaient feu de tout bois pour le discréditer. Maintes et maintes fois, il s'abstenait de manger ou de boire quelque chose par égard pour d'autres. Il n'avait pas, contrairement à d'autres apôtres, d'épouse pour l'aider et l'accompagner dans ses voyages. Lui et Barnabas avaient voyagé et travaillé sans relâche, sans prendre les moments de repos dont d'autres jouissaient. De plus, au lieu d'être à charge à d'autres pour ses besoins matériels, il avait travaillé de ses propres mains pour gagner sa vie et n'avait rien reçu de qui que ce soit à Corinthe. Or chacune de ces choses était utilisée dans le but de le discréditer. En fait, elles étaient toutes à son crédit, car il s'agissait là de ses droits. Il renonçait à des choses auxquelles il avait droit en tant qu'homme et en tant que serviteur du Seigneur; et il le faisait par dévouement entier aux intérêts de son Maître.

Paul était donc contraint de parler de ce qui le concernait personnellement. Mais le Saint Esprit — qui s'exprime ici par sa plume — se sert de cette occasion pour exposer la volonté du Seigneur quant à ceux qu'il a appelés à consacrer tout leur temps à l'Évangile ou au service de Dieu. Il est ordonné «à ceux qui annoncent l'évangile de vivre de l'évangile» (verset 14). Il s'agit évidemment du cas normal. Si un ouvrier du Seigneur a des moyens financiers personnels et n'a pas besoin d'une telle aide — ou si quelqu'un, comme Paul, tout en en ayant besoin, a la force de s'en passer, c'est une autre affaire. Il y a toutefois cette différence à observer: il n'y a pas de vertu à décliner de l'aide quand on a suffisamment de ressources; il y en a quand on n'a rien et qu'on renonce à ses droits.

Le principe que Paul expose est appuyé par un raisonnement spirituel au verset 7. Mais alors, il ne s'agit pas simplement d'une idée d'homme, ni même d'un homme spirituel: la loi s'exprimait exactement de la même manière. La petite prescription qui semble si abruptement placée en Deutéronome 25: 4 établit ce principe en rapport avec une humble bête de somme. Il est appuyé en outre par les ordonnances concernant le service du temple et les autels juifs. Et finalement, le Seigneur lui-même en a ordonné ainsi pour la période actuelle. C'est ce que l'on voit en Matthieu 10: 10 et dans d'autres passages des évangiles. Ce principe est donc établi de manière surabondante. Que tous ceux qui aiment le Seigneur prennent bien garde de ne négliger aucun vrai serviteur qu'il a appelé à son service! Si nous le faisions, nous irions à l'encontre de sa Parole et en éprouverions nous-mêmes une grande perte.

En passant, remarquons que la manière dont Deutéronome 25 est cité ici nous conduit à nous attendre à trouver dans la loi, insérés et illustrés, bien des principes de conduite que le Nouveau Testament nous enseigne être selon la volonté de Dieu. Il n'y a rien de surprenant à cela, car Dieu est toujours le Même. En revanche, nous trouverons dans le Nouveau Testament de nouveaux principes de conduite qui ne sont pas dans l'Ancien. Il peut être opportun de faire ici une brève mise en garde. Tenons notre imagination bien en bride lorsque nous scrutons la loi donnée à Israël. L'esprit rêveur peut trouver des analogies apparentes qui, malgré des intentions pieuses, ne sont qu'un débordement de fantaisie.

Le verset 10 s'achève par les mots: «Celui qui foule le grain doit le fouler dans l'espérance d'y avoir part». Cela signifie que celui qui travaille pour partager avec nous des choses spirituelles ne doit pas être privé de partager avec nous les choses charnelles — c'est-à-dire celles qui sont liées aux besoins de nos corps.

Y a-t-il eu quelqu'un d'autre, dans l'histoire de l'Église, qui ait vécu comme Paul, ayant autant de droits, mais si peu porté à demander? Il préférait supporter toutes les souffrances plutôt que d'être le plus petit obstacle à la progression de l'Évangile. Il aurait préféré mourir plutôt que de manquer en cela. Heureux homme! Il n'est pas étonnant qu'il puisse ensuite exhorter les croyants en disant: «Soyez mes imitateurs».

Voyez aussi combien il ressentait intensément l'appel de Dieu à prêcher l'évangile. Il savait qu'une administration lui avait été confiée; malheur à lui s'il y manquait! La tâche confiée aurait pu lui déplaire et ne pas être conforme à sa volonté — comme cela avait été le cas pour Jonas quand il devait aller prêcher à Ninive — mais c'était une nécessité qui lui était imposée (verset 16). Il aurait alors été contraint de servir au travers de grandes difficultés, comme Jonas l'a été. Bien sûr, sa tâche ne lui était pas désagréable. Il se glorifiait en elle, bien qu'en l'accomplissant il n'y avait rien de quoi il puisse se glorifier. Le faisant volontairement, il en recevrait certainement la rétribution. Or cela faisait partie de son salaire que de pouvoir prêcher l'évangile sans frais. Qu'il est beau de pouvoir annoncer le salut qui est «sans argent et sans prix», sans soulever aucune question quant à l'argent ou à la rémunération de la prédication!

Mais le zèle de l'apôtre pour l'Évangile le poussait encore plus loin. Il était parfaitement libre, il n'avait d'obligation envers personne. Pourtant, son amour le conduisait à se faire l'esclave de tous, afin de gagner «le plus de gens» possible. Il était sorti pour en conquérir autant que possible; c'est pourquoi, dans les limites qui respectent la volonté de Dieu, il s'adaptait à ceux qu'il cherchait à conquérir. Il énumère quatre classes de personnes: les Juifs, ceux qui sont sous la loi, ceux qui sont sans loi et les faibles. Il s'adaptait à chacune de ces classes lorsqu'il les approchait, mais bien sûr sans faire quoi que ce soit de contraire à la volonté de Dieu. C'est ce dont témoignent les expressions des versets 20 et 21: «n'étant pas moi-même sous la loi» et «non que je sois sans loi quant à Dieu, mais je suis justement soumis à Christ».

Lorsque Paul s'approchait d'un homme sous la loi, il observait les prescriptions de la loi, pour ne pas blesser sa sensibilité. Il se soumettait à tout, pour autant qu'il ne renie pas par là le fait qu'il n'était lui-même plus sous la loi. Lorsqu'il approchait un homme sans loi, il le faisait sur ce terrain-là. Toutefois, il prenait toujours soin de montrer qu'il n'était pas un homme sans loi, mais qu'il était justement soumis au Seigneur. Il est donc évident que l'apôtre regardait de quelles gens il s'approchait et tenait compte de leurs particularités, afin d'éviter tout ce qui aurait pu les indisposer inutilement à l'égard du message qu'il leur apportait. Il était bien loin d'avoir cet esprit qui conduit à dire: Dieu peut sauver et s'occuper de ceux qu'il a élus — et qui, par conséquent, lance presque l'Évangile à la tête des gens sans se préoccuper du résultat.

Essayez de vous figurer l'apôtre devenant faible pour les faibles, parlant en termes simples et élémentaires à des gens peu instruits! Cela ne devait pas être une tâche facile pour un homme si instruit! Et pourtant, il l'a fait. C'est l'art que doit apprendre tout moniteur d'école du dimanche dévoué et efficace. Il faut qu'il devienne comme un enfant pour gagner des enfants, sans pour cela devenir enfantin. Il doit comprendre l'esprit d'un enfant, et avoir devant lui comme but final: le salut.

En abordant le verset 24, les pensées de l'apôtre s'élargissent: il s'occupe de l'esprit et du caractère qui devraient marquer tout serviteur du Seigneur. Nous sommes vus comme des athlètes en compétition dans un stade, engagés dans une course ou un combat. C'est pour cela que nous devrions être caractérisés par le zèle, par un objectif bien précis, et par une vie de modération en tout et de renoncements. L'athlète, que ce soit celui des jeux pratiqués en Grèce il y a deux mille ans ou celui des compétitions actuelles, prend bien soin de ne pas se laisser dominer par son corps. Bien au contraire, il maîtrise son corps et le soumet à un régime très strict, tout en l'endurcissant par un entraînement continuel. Et il fait tout cela pour une couronne qui se flétrit rapidement. Cherchons à faire les mêmes efforts, mais sur un plan spirituel, afin de recevoir un jour une couronne incorruptible. Car, à l'inverse, il est possible de négliger tout cela et, après avoir été un prédicateur éloquent pour les autres, d'être finalement réprouvé soi-même.

Notre chapitre se termine par un mot très déplaisant: «réprouvé». Il y a eu beaucoup de controverses au sujet de ce mot. Plusieurs s'en sont servis pour chercher à prouver que le vrai croyant peut-être rejeté, et perdu pour toujours. D'autres, réalisant que bien des passages disent positivement le contraire, ont cherché à l'expliquer comme signifiant désapprouvé ou rejeté quant au service, privé de recevoir un prix, disqualifié.

Nous croyons cependant que, pour saisir la véritable portée du verset, il faut laisser au mot «réprouvé» son poids et sa pleine signification, et qu'il faut lire ce passage en relation avec les douze premiers versets du chapitre 10. Le mot «Car», au début de celui-ci, indique que ce qui suit illustre ce qui vient d'être dit. «Car… nos pères ont tous été sous la nuée… Mais Dieu n'a pas pris plaisir en la plupart d'entre eux, car ils tombèrent dans le désert.» La plupart des Israélites présentaient les signes extérieurs d'une relation avec Dieu, mais il leur en manquait la puissance vitale: ils n'avaient pas la foi. Ils n'ont pas «mortifié» leur corps, mais se sont adonnés à leurs convoitises et ont misérablement péri. Dans ce sens, ce sont des types de ceux qui, tout en professant hautement être chrétiens, ne sont pas de vrais croyants et périront.

Le sens du mot «réprouvé» semble donc être clairement précisé par le contexte. Mais il reste la difficulté: pourquoi Paul parle-t-il de lui-même en ces termes? Pourquoi est-il si emphatique en disant «que… je ne sois moi-même réprouvé»? Nous croyons qu'en écrivant ainsi, Paul n'avait pas seulement en vue les Corinthiens qu'il venait de blâmer pour leur grand relâchement, mais aussi, et peut-être surtout, les fauteurs de trouble qui les avaient conduits à l'égarement. Ces adversaires étaient sans aucun doute des hommes qui, tout en jouant les grands prédicateurs, se complaisaient eux-mêmes dans des principes relâchés — bien loin de mortifier leurs corps. Toutefois Paul ne les nomme pas directement, pas plus qu'il n'avait cité les chefs de parti au début de l'épître. Là, il avait reporté les choses sur lui et sur Apollos. Ici, il ne cite même pas Apollos, mais les reporte sur lui seul. C'est d'ailleurs une façon de parler très habituelle. Par exemple, un prédicateur s'adresse à la foule en disant: «Si je dois une année de loyer, et que je ne puisse en payer un centime, alors…». De toute sa vie, cet homme n'a jamais eu de dette quant à son loyer, mais, pour illustrer son message, il transfère la chose sur lui. La délicatesse l'empêche de mentionner ses auditeurs, et de suggérer qu'ils ne sont pas capables de payer leur loyer.

Paul n'a aucun doute quant à lui-même. Au verset précédent, il a dit: «Moi donc je cours ainsi, non comme ne sachant pas vers quel but» (verset 26). Mais il a de sérieux doutes quant à ses adversaires, et quelques doutes quant aux Corinthiens. En appliquant son avertissement à lui-même, il ne le rend que plus efficace. Le simple fait d'être un prédicateur ne garantit rien du tout.

À suivre