Les joies du monde et celles du chrétien

Raymond Lacombe (1996)

Il n'y a pas de plus grand affront envers notre Seigneur que de mésestimer les immenses bénédictions spirituelles que nous avons en lui. En même temps, quelle honte de nourrir des pensées de frustration — et donc de convoitise — pour les plaisirs mondains et souvent malsains qui remplissent le cœur des hommes! Ayons plutôt à cœur de suivre le bel exemple de Moïse. L'opprobre du Christ avait pour lui beaucoup plus de prix que les richesses de l'Égypte dont il aurait pu jouir toute sa vie. Le ramassis de peuple au désert, au contraire, fit preuve de sentiments dont nous avons à nous garder (Nombres 11: 4). Quels honteux regrets apparaissent ici: «Qui nous fera manger de la chair? Il nous souvient du poisson que nous mangions en Égypte pour rien, des concombres, et des melons, et… il n'y a rien, si ce n'est cette manne devant nos yeux» (versets 4-6).

Dans nos pays, dans notre société de consommation où de grands efforts publicitaires sont déployés pour amorcer notre convoitise, nous sommes tous exposés à ressembler à Israël dans le désert.

Depuis Lémec (Genèse 4: 19-24), les hommes du monde cherchent à vivre dans l'indépendance de Dieu et s'imaginent pouvoir trouver leur joie sans lui. Dans ce but ont été organisés, en tous temps, divertissements et festivités. L'examen de plusieurs circonstances des Écritures nous convaincra que «ceux qui regardent aux vanités mensongères abandonnent la grâce qui est à eux» (Jonas 2: 9).

Aux temps de Noé, les banquets et les célébrations étaient coutumiers. On se passait agréablement de Dieu. Dès ces jours-là étaient déjà manifestées l'indépendance et l'insouciance du cœur des hommes. Leur grande méchanceté et leur violence dénoncées par l'Éternel ne troublaient nullement leurs consciences endurcies. Ils étaient sourds à l'avertissement fourni pendant des années par la construction de l'arche. «La patience de Dieu attendait», nous dit l'apôtre Pierre (1 Pierre 3: 20). Mais personne n'en avait conscience. Et un jour, sans autre préavis, cette patience eut son terme. «On mangeait, on buvait, on se mariait, on donnait en mariage, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche; et le déluge vint, et les fit tous périr» (Luc 17: 27).

Nabal, sous le règne de Saül, eut une fin dramatique (1 Samuel 25: 36-38). Dans l'ignorance complète de la catastrophe qui l'avait frôlé, il faisait joyeuse chère avec ses tondeurs. Quel retournement dès le jour suivant! Le vin passé, «son cœur mourut au-dedans de lui». La joie était finie et bien finie. Après dix jours de sursis, son âme lui fut redemandée. Que de personnes ressemblent encore à Nabal, rejetant le Fils de David, le Sauveur! Ils restent dans leur nature méchante et violente, n'ont de joie que dans les plaisirs de la terre, et sont susceptibles de mourir d'un jour à l'autre dans leur péché.

Les amusements des Philistins et leurs festivités étaient probablement très animés aux jours où Samson tournait la meule dans la maison des prisonniers (Juges 16: 21-30). Certes, le témoignage de cet homme avait grandement failli, et Dieu se servait des Philistins comme d'une verge pour lui. Mais cela n'enlevait rien à la responsabilité de ces ennemis invétérés du peuple de Dieu. Ces trois mille personnes — hommes, femmes, princes — étaient loin de se douter que ce jour de réjouissance était le dernier de leur vie sur la terre. Ils avaient proclamé: «Notre dieu (Dagon) a livré entre nos mains Samson, notre ennemi». Mais celui-ci cria à l'Éternel et fut exaucé. Il se pencha avec force sur les colonnes et la maison tomba sur tout le peuple. Comme ces Philistins, il y a encore de nos jours des peuples idolâtres et superstitieux qui se confient en des dieux imaginaires. Quant à nous, même si nous ne sommes pas exposés à des égarements aussi grossiers, gardons-nous de la tendance naturelle à nous satisfaire allègrement du jugement divin, même mérité, qui tombe sur quelqu'un. Et n'oublions pas, comme les Philistins, que le vrai Dieu, quoiqu'invisible, conduit providentiellement toutes circonstances.

Le grand festin offert par Belshatsar à mille de ses grands manifestait plus qu'une indifférence à l'égard du Dieu des cieux: c'était une vraie provocation, le comble de l'audace. Le roi avait commandé qu'on apporte les vases d'or et d'argent que son père Nebucadnetsar avait tirés du temple qui était à Jérusalem, afin que lui-même, ses grands, ses femmes, et ses concubines y boivent (Daniel 5: 2). Mais voilà qu'au milieu de ces réjouissances insolentes, une main apparut et écrivit quelques mots sur la muraille. Subitement la fête s'arrêta. Le roi changea de couleur, ses pensées le troublèrent, il trembla de tout son corps. L'inscription était incompréhensible, même pour tous les sages du roi. Toute l'assistance fut bouleversée. Il n'était plus question de continuer à festoyer. À ce moment-là, la reine mère, qui s'était tenue à l'écart de toute cette exubérance, fit son apparition et rappela au roi que son père avait eu recours à la sagesse de Daniel. Celui-ci fut convoqué et ne put qu'annoncer un jugement sans appel et sans délai. Belshatsar, par son arrogance et son cynisme, avait atteint un point de non retour sur le chemin de l'orgueil. «En cette nuit-là, Belshatsar, roi des Chaldéens, fut tué» (5: 30).

Nous avons là le tableau de la profanation consciente et outrageuse de ce qui est sacré. Hélas! il n'est pas nécessaire de sortir des pays christianisés pour voir de telles choses. Soyons fermes pour savoir refuser certaines invitations où notre présence pourrait cautionner involontairement des choses semblables.

Quelques siècles après Belshatsar, un autre roi orgueilleux et sanguinaire avait fermé ses oreilles et sa conscience aux avertissements du messager de Dieu. Hérode, entouré des grands de la Galilée, célébrait avec faste le jour de son anniversaire. Dans l'euphorie de la boisson et l'enthousiasme pour la belle jeune fille qui dansait, il s'engagea publiquement et avec serment à lui offrir le cadeau de son choix, jusqu'à la moitié de son royaume (Matthieu 14: 1-11). Sa joie s'évanouit en un instant et fit place à la tristesse quand il connut la demande de la jeune fille: la tête de Jean le Baptiseur! Mais c'était trop tard, il était pris au piège de ses paroles. Et l'exécution de Jean fut ordonnée. Dès lors sa conscience ne le laissa plus en paix. Et lorsqu'il aura connaissance des miracles du Seigneur, il dira: «C'est Jean que j'ai fait décapiter; il est ressuscité d'entre les morts» (Marc 6: 16). Voilà dans quelle impasse peut conduire l'intempérance. «Le vin, et le moût, ôtent le sens» (Osée 4: 11).

Le peuple que Dieu avait racheté d'Égypte, conduit par ses propres pensées, prit un jour l'initiative d'une prétendue fête à l'Éternel! «Ils firent en ces jours-là un veau, et offrirent un sacrifice à l'idole, et se réjouirent dans les œuvres de leurs mains» (Actes des Apôtres 7: 41). «Le peuple s'assit pour manger et pour boire, et ils se levèrent pour se divertir» (Exode 32: 6). Joie bien vaine et bien précaire! Pouvait-il y avoir une offense plus abominable, une plus affreuse ingratitude envers l'Éternel qui avait usé de tant de bonté envers son peuple? Comment la colère divine ne s'embraserait-elle pas? Cette fois encore, la fête s'interrompit subitement, et ce fut le jugement immédiat: trois mille hommes tombèrent ce jour-là (32: 28). Nous trouvons là le subtil mélange du religieux et du profane: une apparence de piété (une fête à l'Éternel), mais où se cachent les pensées de l'homme et sa propre volonté. Notre époque n'est pas, hélas, exempte de ces excès dans le manger et dans le boire, sous un prétexte de célébration rituelle ou à l'occasion de fêtes annuelles dites «religieuses». Ici encore, veillons à la tenue de nos agapes fraternelles. Souvenons-nous que nous sommes un peuple acquis, une nation sainte, selon le désir de Dieu. Il faut que, dans les réjouissances familiales ou entre frères, prédomine une sainte crainte et un esprit de louange digne de notre position de sacrificateurs. Pensons à donner au Seigneur la première place parmi nos invités.

Les récits rappelés ci-dessus, si particuliers qu'ils soient, nous incitent à détourner nos regards sans regret des plaisirs de ce monde. Nous avons tellement mieux. Nos joies ne seront authentiques et approuvées que dans la mesure où nous aurons avec notre Dieu les mêmes motifs de réjouissances. Le Seigneur, dans sa prière de Jean 17, désirait que ses disciples aient sa joie accomplie en eux-mêmes (verset 13). Quelle joie éclata dans le ciel quand naquit le Sauveur du monde! Et sur la terre, il y eut le tressaillement de joie de Jean-Baptiste dans le sein de sa mère, la louange de Marie, le grand sujet de joie annoncé aux bergers, le désir comblé de Siméon.

Quand une âme passe de la mort à la vie, des ténèbres à la lumière, quel bonheur pour elle! Quelle joie aussi pour les croyants qui ont connaissance de cette conversion! Et le ciel se réjouit pour le même motif. C'est la joie du Bon Berger qui a trouvé une brebis perdue.

Si nous nous écartons du droit chemin, nous ne pouvons plus nous réjouir. Le fils prodigue, en Luc 15, rompit un jour tout lien avec son père, n'ayant pas su se réjouir sous son toit. Mais quelle joie retrouvée et partagée lors de son retour que le père avait tant attendu! Lui-même affirma: «il fallait faire bonne chère et se réjouir» (verset 32).

Quand nous nous réjouissons dans le Seigneur selon l'exhortation de Philippiens 3: 1 et 4: 4, nous sommes en communion avec notre Père céleste, qui a trouvé tout son plaisir en son Fils.

Bien sûr, tant que nous sommes ici-bas, même les joies les plus légitimes sont mêlées aux peines. «Vous vous réjouissez (du salut à venir), tout en étant affligés maintenant pour un peu de temps» écrivait l'apôtre Pierre (1 Pierre 1: 6). David, à la fin de son règne, avait tout son plaisir dans l'alliance éternelle assurée pour lui. Mais il devait ajouter: «quoiqu'il ne la fasse pas germer», ayant dit plus haut: «quoique ma maison ne soit pas ainsi avec Dieu» (2 Samuel 23: 5). Cette joie n'est réalisée que par la foi, car son plein accomplissement est pour plus tard. C'est celle qui fut la part de notre Seigneur, l'homme de douleur, qui, «à cause de la joie qui était devant lui, a enduré la croix» (Hébreux 12: 2).

En Deutéronome 16: 13-15, la joie à la fête des tabernacles est présentée comme un commandement: «Tu ne seras que joyeux». Israël était encore sous la loi, et pourtant cette joie devait éliminer tout sujet de tristesse.

Le peuple ne comprenait pas, à l'époque, l'aspect prophétique de cette injonction. Nous savons maintenant que cette dernière fête de l'année juive préfigurait le règne de mille ans. Israël sera le centre de bénédiction de toute la terre, selon la promesse faite à Abraham. Cette joie exclusive, sans ombre, correspond pour nous à la joie éternelle et céleste de la maison du Père.

Le motif certainement le plus élevé pour nous de nous réjouir, c'est la gloire présente et future de notre Seigneur, gloire qui remplira un jour la terre comme le ciel. Une image de cette joie nous est fournie par celle du peuple d'Israël sous le règne de Salomon. Après avoir célébré devant l'Éternel une fête de quatorze jours, «ils bénirent le roi, et s'en allèrent à leurs tentes, joyeux et le cœur heureux à cause de tout le bien que l'Éternel avait fait à David, son serviteur» (1 Rois 8: 66). La joie par excellence n'est-elle pas celle qui remplit à la fois le cœur du Père, du Fils et des rachetés?

Quelle joie aussi de participer chaque premier jour de la semaine à la célébration de la résurrection du Seigneur, c'est-à-dire de sa victoire sur la mort! Le souvenir de celle-ci devrait faire de nos vies un festin continuel. C'est ce dont nous parle la fête des pains sans levain, qui suivait immédiatement celle de la pâque. On se réjouissait, car c'était une fête; mais la joie était sainte et bonne, car il n'y avait aucune trace de levain, figure du péché (cf. 1 Corinthiens 5: 7, 8).

Que ce soit notre part à tous en attendant le Seigneur!

Bonheur incomparable,

Quand sa face adorable

Resplendira sur nous,

Dans l'éternelle paix!