Le premier amour (Apocalypse 2: 4)

W. Runkel

Les chapitres 2 et 3 de l'Apocalypse contiennent sept lettres que l'apôtre Jean a envoyées à sept assemblées de l'Asie Mineure. Comme l'ensemble du livre, ces lettres ont un caractère prophétique. Le Saint Esprit s'est servi de ces assemblées pour nous donner une vue d'ensemble de l'histoire de l'assemblée de Dieu sur la terre. L'état de chacune d'elles correspond à une période particulière, depuis le début de l'Église jusqu'au retour du Seigneur pour la prendre auprès de lui dans le ciel. Ces deux chapitres ne nous présentent pas l'assemblée sous l'aspect de sa sécurité et de sa bénédiction éternelles, mais comme témoin responsable de répandre la lumière divine. Le «Fils de l'homme» se trouve au milieu des «sept lampes d'or», qui sont «sept assemblées» (1: 12, 20).

Mais, outre la signification de ces chapitres en rapport avec l'histoire de l'Église, nous ne devons pas manquer d'y voir un enseignement pratique et direct pour nous. «Que celui qui a des oreilles écoute ce que l'Esprit dit aux assemblées!» (2: 7, 11…). Le Seigneur Jésus se tient devant chacune d'elles comme Juge, et il juge leur état avec une connaissance divine. De plus, il ne fait pas de doute que son jugement et son action envers chaque assemblée locale nous enseignent aussi quant à la manière dont il agit envers les personnes individuellement. C'est dans ce sens que nous aimerions exprimer quelques pensées en rapport avec ces paroles du Seigneur à Ephèse: «Tu as abandonné ton premier amour» (2: 4).

Que signifie «ton premier amour»?

On pense quelquefois qu'il s'agit de l'amour ardent qui étreint une âme après la conversion. Il est certain que quelqu'un qui se sait délivré du fardeau de ses péchés éprouve souvent un amour profond pour son Sauveur. C'est ainsi que le Seigneur dit d'une femme qui était une grande pécheresse: «Ses nombreux péchés sont pardonnés, car elle a beaucoup aimé» (Luc 7: 47). Mais dans notre verset, le premier amour veut dire «l'amour le plus grand». Il s'agit ici de son premier rang en qualité et non pas de son ordre dans le temps. La chose devient plus claire si nous considérons un autre passage où le même mot est utilisé. En Luc 15: 22, ce mot désigne la robe dont le fils prodigue doit être revêtu — «la plus belle robe», en note: «la première». Notre premier amour, c'est notre meilleur amour. Notre affection la plus profonde doit être pour le Seigneur.

Un reproche fait dans l'amour

Les sept épîtres commencent par l'expression «Je connais» (ou «je sais», ce qui a le même sens). Comme il le fait si souvent, le Seigneur relève d'abord ce qu'il peut approuver: «Je connais tes œuvres, et ton travail, et ta patience» (2: 2). Mais son œil voit plus loin et plus profondément, au travers de la surface extérieure d'une activité louable en soi, jusqu'à la source d'où provient chaque activité humaine — il voit jusqu'au cœur. Et il met à nu ce qui s'y trouve caché: «J'ai contre toi que tu as abandonné ton premier amour».

N'en est-il pas de même en ce qui nous concerne? Il se peut que nous soyons zélés dans le service et dans le travail pour le Seigneur, que nous soyons tout disposés «à combattre pour la foi qui a été une fois enseignée aux saints» (Jude 3), que nous tenions ferme aux enseignements de la Parole et cependant que nous devions entendre le reproche du Seigneur d'avoir abandonné le premier amour? Pourquoi ce blâme? Parce que le Seigneur Jésus nous aime. C'est là une preuve infaillible que son amour ne se refroidit pas, même si le nôtre faiblit.

L'évangile de Jean nous rapporte que, peu de temps avant la croix, «Jésus… ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'à la fin» (13: 1) — c'est-à-dire jusqu'à l'extrême, jusqu'au terme de chaque besoin. Puis à la croix, il a donné la preuve que son amour était plus fort que la mort. Jamais cet amour ne pourrait cesser ou se lasser, que ce soit envers son assemblée ou envers ses rachetés individuellement. Il est le «Fils de Dieu, qui m'a aimé et qui s'est livré lui-même pour moi» (Galates 2: 20). De notre côté, ce qui compte, ce n'est pas la somme de notre travail et de nos efforts, mais l'amour que nous avons pour Christ. Si cet amour n'est pas le mobile de tout notre service, alors celui-ci n'est qu'une façade. Et nous sommes, selon les paroles de l'apôtre Paul, «comme un airain qui résonne ou comme une cymbale retentissante» (cf. 1 Corinthiens 13: 1). Le Seigneur peut tout à fait demeurer Celui en qui nous croyons, et ne plus avoir la première place dans notre cœur.

A cause de la recherche de notre bien-être, nous courons tous le danger que l'amour du monde supplante dans notre cœur l'amour pour le Seigneur Jésus. C'est un poison insidieux. Il est bon que le Seigneur sonde nos cœurs à ce sujet. Il le fait aujourd'hui par sa Parole, vivante et opérante, qui atteint «jusqu'à la division de l'âme et de l'esprit». Il connaît tout, même «les pensées et les intentions du cœur» (Hébreux 4: 12). Béni soit-il de ce qu'il en est ainsi!

Et si nous prenons conscience que notre amour s'est refroidi, il nous montre le chemin: «Souviens-toi donc d'où tu es déchu, et repens-toi, et fais les premières œuvres» (verset 5). Il est donc possible de revenir au «premier amour». Même si l'assemblée dans son ensemble a abandonné son premier amour, le Seigneur montre cependant que chacun individuellement peut rechercher cet état, et cela par la repentance. Cette possibilité demeure ouverte pour chacun de nous. Nous pouvons être certains qu'il attend et désire ardemment cela, car son amour ne peut être satisfait que si nous y répondons.

Un dernier appel dans l'amour

Le reproche du Seigneur à l'assemblée d'Ephèse et son appel à la repentance sont restés collectivement sans effet. Rien ne porte à croire que ce recul ait été enrayé ou qu'il ait même été suivi d'un progrès. Un regard sur le développement historique de l'Église nous apprend au contraire, comme nous l'avons déjà remarqué, que l'état d'abandon du premier amour est demeuré, et même qu'il est devenu l'état de tiédeur de la chrétienté d'aujourd'hui. Non seulement la Parole l'annonce prophétiquement, mais l'image actuelle du témoignage chrétien ne le montre que trop distinctement.

Cet état de tiédeur caractérise la dernière étape de l'assemblée sur la terre; le tableau nous en est donné par l'assemblée à Laodicée. Il est si abject aux yeux du Seigneur qu'il avertit cette assemblée qu'il va la «vomir de sa bouche» (Apocalypse 3: 16). — Il est vrai qu'il n'a pas retiré les promesses qu'il a faites à l'assemblée à Philadelphie; celui qui s'en empare et marche à leur lumière peut encore se trouver aujourd'hui sur le terrain de Philadelphie et avoir l'approbation du Seigneur. Mais le trait caractéristique de notre époque est la tiédeur de Laodicée. C'est pourquoi chacun de nous doit se demander jusqu'à quel point nous avons adopté les caractères de Laodicée et sommes tombés dans cet état qui conduit le Seigneur à dire: «Tu es… pauvre, et aveugle, et nu».

Dehors, à la porte du cœur

Cependant, le Seigneur aimerait nous préserver de cet état, ou nous en arracher. Si le «travail d'amour» qui caractérisait l'assemblée à ses débuts (1 Thessaloniciens 1: 3) a cessé, son travail à lui ne cesse pas. Le Seigneur adresse un ultime appel au cœur; il l'adresse à chacun individuellement. Son amour ne s'est pas refroidi au cours des deux millénaires de l'histoire de l'Église: «Moi, je reprends et je châtie tous ceux que j'aime; aie donc du zèle et repens-toi. Voici, je me tiens à la porte et je frappe: si quelqu'un entend ma voix et qu'il ouvre la porte, j'entrerai chez lui et je souperai avec lui, et lui avec moi» (Apocalypse 3: 19, 20). Le temps pendant lequel l'assemblée devait répandre sur la terre la lumière de ce que Dieu a révélé en Christ touche à sa fin. Le Seigneur s'occupe des personnes individuellement et cherche la communion avec elles. Sa main ne se fatigue pas de heurter. Ne devrions-nous pas être prêts à répondre et à ouvrir la porte de notre cœur? Il ne l'ouvrira jamais de force. C'est son amour qui appelle.

Cela nous est déjà présenté dans l'Ancien Testament par une figure très expressive. Dans le Cantique des Cantiques, nous voyons le fiancé se tenir devant la porte de sa fiancée. Il frappe, mais elle n'ouvre pas. Finalement, ses «entrailles se sont émues à cause de lui». Le verrou de la porte, que sa main avait touché, était couvert de myrrhe — plante qui, dans l'Ancien Testament, nous parle plus d'une fois des souffrances de Christ et de son amour au sein des douleurs les plus intenses. Celle qui est appelée «amie» ouvre enfin la porte, mais il avait passé plus loin. Il ne voulait pas entrer dans la maison sans y être le bienvenu (Cantique des Cantiques 5: 1-8).

Nous pensons également à cette scène d'Emmaüs, où le Sauveur ressuscité «fit comme s'il allait plus loin» (Luc 24: 28). Les deux voyageurs le prièrent alors de demeurer avec eux. Lui qui jusque-là était encore un étranger pour eux, combien avait-il attendu cette demande: «Demeure avec nous, car le soir approche et le jour a baissé»! Il n'est pas entré sans être invité. Nous voyons là sa manière incomparable d'ouvrir les portes. Elle est empreinte de son amour divin.

Sommes-nous prêts à lui ouvrir les portes, d'abord celle de nos cœurs, puis aussi celle de nos maisons — et tout particulièrement celle du lieu où nous nous rassemblons comme croyants, où il doit être le centre et avoir toute autorité?