Les deux bêtes d'Apocalypse 13

P. Bronner

La bête qui monte de la mer

Depuis que l'Agneau a commencé d'ouvrir les sceaux du livre des jugements, l'humanité a connu mille difficultés (Apocalypse 6:1). Une succession de fléaux s'est d'abord abattue sur elle, amenant les hommes à demander aux montagnes de tomber sur eux pour les soustraire à la colère divine. Et voici que le feu de l'autel est versé sur la terre (8:5); les fracas du septième sceau débutent. Les quatre premières trompettes sonnent, puis trois malheurs sont annoncés (8:13). L'angoisse des hommes est à son comble. C'est curieusement à ce moment-là que Satan s'apprête à lancer un suprême défi à Dieu. Il va redonner l'espoir à toute une frange de l'humanité, parvenant à se faire passer pour son libérateur. Il utilisera directement les deux premiers malheurs (chapitre 9) pour produire ce que nous allons voir. Le chapitre 13, qui fait apparaître deux tableaux relatifs à deux sources futures du mal, nous montre comment le diable parviendra à ses fins.

De la mer, figurant les nations en désordre, surgit une première «bête» ayant sept têtes et dix cornes. Cet animal redoutable a une grande ressemblance avec le dragon, de sorte que l'on devine le lien étroit qui l'unit au serpent ancien. Cette bête est en fait un empire1 soutenu par le diable. À travers cette bête, il faut aussi voir l'empereur qui vient d'accéder à la plus haute marche du gouvernement2 (17:12).

1 La prophétie biblique représente souvent les empires par de grandes «bêtes». Ainsi, au chapitre 7 du livre de Daniel, les empires babylonien, perse, grec et romain sont vus comme étant respectivement un lion, un ours, un léopard et un animal terrifiant ayant dix cornes. C'est évidemment la quatrième bête de ce passage de Daniel que nous retrouvons dans l'Apocalypse. Différente des autres et extraordinairement puissante (Daniel 7:7, 19), elle reprend néanmoins certains caractères des précédentes (une gueule de lion, des pattes d'ours et un corps de léopard). Elle prend leur place ainsi que leurs spécificités respectives.

2 La bête désigne l'empire d'Occident, mais aussi son représentant suprême que nous appellerons: «l'empereur», ignorant le titre et les prérogatives exacts qui seront les siens. Le fait que les dix rois de cet empire règnent en même temps que la bête montre que celle-ci peut être considérée comme une personne (17:12). Elle est à la fois une puissance politique et l'homme qui la gouverne. Une telle identification se rencontre ailleurs dans la Parole. Ainsi, le roi Nebucadnetsar est considéré comme étant la tête d'or de la grande statue, bien que cette tête représente l'empire qu'il a fondé (Daniel 2:39). Remarquons que la seconde bête du chapitre 13 est aussi un homme puisqu'elle est appelée: «le faux prophète» au chapitre 19 (verset 20).

Le dragon donne à la bête «sa puissance et son trône, et un grand pouvoir» (verset 2) si bien qu'elle domine «sur toute tribu et peuple et langue et nation» (verset 7). Il s'agit là d'une chose unique. Actuellement, les autorités existantes «sont ordonnées de Dieu» et, de ce fait, nous leur devons la soumission tant qu'elles n'exigent rien de contraire à notre foi (cf. Romains 13:1, 2). Elles peuvent être despotiques, et même persécutrices, comme l'était l'empereur Néron au temps de l'apôtre Paul. Toutefois c'est Dieu qui les a mises en place. Mais bientôt, quoique Dieu reste maître de la situation, ce sera le diable qui donnera le pouvoir, et même son propre trône à la bête future. La puissance du dragon étant colossale, le nouvel empire assujettira une grande partie du monde en peu de temps. Soyons reconnaissants d'être épargnés de la méchanceté délirante d'un pouvoir dont la source est entièrement occulte.

Pour faire accepter le joug de la bête diabolique, le serpent agit sur les sentiments des hommes, suscitant leur admiration. Il y parvient comme il ne l'a encore jamais fait, en redonnant la vie à la bête dont l'une des sept têtes est marquée d'une plaie mortelle (versets 3, 12 et 14).

Le chapitre 17 nous montrera que cette guérison miraculeuse est la résurrection inattendue de l'une des sept formes de gouvernement de l'ancienne puissance romaine. C'est certainement la forme impériale qui réapparaît soudainement. Elle trouve le soutien de dix «rois» ou dirigeants représentés par les dix cornes de la bête ornée de dix diadèmes (13:1; 17:12, 13). Cet éclat de la puissance satanique confiée à un homme certainement exceptionnel et à ses dix vassaux redonne confiance aux habitants de la terre. Ils s'écrient: «Qui est semblable à la bête, et qui peut combattre contre elle?» (verset 4). Ils se sentaient si faibles et si vulnérables au milieu du tourbillon des jugements! Mais maintenant, la bête est leur rempart. Sa restauration est le fait d'une puissance surnaturelle; elle s'est relevée en dépit des châtiments divins! Que craindraient-ils? Enfin, pensent-ils, la paix et la sûreté leur sont garanties! (cf. 1 Thessaloniciens 5:3). En leur présentant la bête, Satan leur offre la perspective d'une formidable contrefaçon du règne de paix de l'Agneau.

Si les croyants s'attachent au divin Ressuscité, les sujets de la bête sont absolument fascinés par la restauration de l'empire romain. Satan sait combien les saints puisent courage et espoir en contemplant le Vainqueur du tombeau où Joseph d'Arimathée ensevelit le Christ. Il ose utiliser un semblant de résurrection pour produire des effets comparables chez les incrédules. Et, comble de l'iniquité, il leur propose, non une Personne divine, parfaite, sainte et débonnaire, mais un empire dirigé par un mortel sans scrupule, violent et pervers.

L'émerveillement de «ceux qui habitent sur la terre» est si grand qu'ils vont jusqu'à rendre hommage à l'empereur, et même au dragon qui lui a donné son pouvoir. Ce dernier devient le grand héros d'une terre châtiée par son Créateur. Le culte dû à Dieu est rendu au dragon. Quel renversement de l'ordre normal des choses! Quelle habileté que celle du Méchant!

C'est en particulier l'orgueil, appelé «la faute du diable» (1 Timothée 3:6), qui avait poussé Satan à demander à l'Homme parfait de lui rendre hommage. Ce qu'il n'a pu obtenir de Jésus, il le reçoit de bon gré des sujets de l'empereur.

Mais l'orgueil de l'homme n'a pas non plus de limites. Celui-ci persévère dans son éloignement de Dieu et s'adore lui-même à travers le nouveau dictateur. «Tous ceux qui habitent sur la terre, dont le nom n'a pas été écrit, dès la fondation du monde, dans le livre de vie de l'Agneau immolé, lui rendront hommage» (verset 8). Et que dire de l'orgueil de la bête qui accepte ce culte abominable, tout en proférant «de grandes choses» (verset 5)?

La Parole fait une distinction entre «ceux qui sont établis sur la terre» et «toute nation et tribu et langue et peuple» (voir en particulier 14:6). Les premiers soutiennent résolument le pouvoir de la bête: ils rendent hommage à la bête et au dragon. Les derniers au contraire subissent par contrainte ce pouvoir absolu. Ceux qui «habitent sur la terre» appartiennent au territoire immédiat de la puissance romaine. Ce sont notamment les habitants de l'Europe occidentale autrefois christianisée, où l'empire romain s'est reconstitué. Ce sont aussi ceux d'Israël qui ont conclu un pacte avec le nouvel empereur (cf. Ésaïe 28:15; Daniel 9:27).

Le monde aujourd'hui «christianisé», obtenant demain prospérité, gloire et domination de la main du diable, montrera ce jour-là toute sa déchéance morale. La vraie gloire d'un homme, n'est-elle pas de recevoir humblement ce que Dieu donne? Mais «ceux qui habitent sur la terre» n'en ont pas voulu. Rejetant Dieu et ses promesses célestes, ils se sont attachés à la terre. Celle-ci est entachée de péché, mais c'est ainsi qu'ils l'aiment. Tout ce à quoi ils tiennent s'y trouve. Pour rien au monde, ils ne voudraient la quitter. Cette parole de Jésus à Nicodème se vérifiera là encore: «les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises» (Jean 3:19).

L'empereur émaille ses prétentieuses paroles de honteux blasphèmes. Ceux-ci caractérisent tellement la bête qu'ils en parent les sept têtes (verset 1). Ils sont proférés à la fois contre Dieu, contre son habitation et contre ceux qui habitent dans le ciel. Ils mettent en évidence une haine profonde et un véritable mépris pour tout ce qui touche au vrai Dieu. Pleine de rage, la bête fait en outre la guerre aux saints qui sont sur la terre et, pour un temps, a l'avantage sur eux (verset 7).

Le chapitre qui est devant nous est l'un de ceux qui dévoilent les ressorts profonds du cœur de l'homme. Quand, bientôt, l'humanité sera mise à l'épreuve, ce sera la démonstration définitive de ce qu'elle vaut: elle rejette Dieu et suit Satan. Son orgueil, son attachement à la terre, son mépris du ciel et des témoins du Seigneur en seront la preuve formelle. Dieu nous prévient pour nous ôter toute illusion sur le système du monde et son avenir. Tirons-en les conclusions pratiques que l'Esprit Saint nous dicte. Le monde ne s'améliorera pas; les vrais chrétiens y sont des étrangers; nous n'hésitons pas à le répéter. C'est au ciel qu'ils appartiennent. Là se trouvent leurs vrais trésors; c'est aussi là que doit être leur cœur. Ils sont de passage sur la terre afin d'être de vivants témoins de Jésus Christ, et non des esclaves endormis qui se fondent dans le milieu ambiant.

La perspective satanique d'un règne de paix sera bien fugitive. Elle ne sera qu'une immense tromperie bientôt changée en terrible oppression. Et le Dieu souverain a limité le temps d'action de la bête à quarante-deux mois (verset 5). Alors, il réglera les comptes: «Si quelqu'un mène en captivité, il ira en captivité; si quelqu'un tue avec l'épée, il faut qu'il soit tué par l'épée. C'est ici la patience et la foi des saints» (verset 10).

La foi écoute son Dieu (verset 9). Elle sait qu'il est juste et que sa puissance dépasse infiniment celle du diable. Elle s'en trouve fortifiée et se montre patiente face à la méchanceté et la perversité du cœur humain. En cela, elle honore Dieu. C'est ainsi que les croyants persécutés garderont courage, jusqu'à ce que le Messie anéantisse le chef-d'œuvre du diable.

La bête qui monte de la terre

Satan n'est pas un novice de la contrefaçon. Déjà, lorsque Moïse parlait aux Égyptiens par des miracles, il poussa les devins du Pharaon à l'imiter autant que possible. C'était un moyen de récuser les preuves de la puissance et de l'autorité divines. La restauration de l'ancien empire romain et l'imitation du Millénium ont le même but. Cependant, pour compléter son dispositif mensonger, et pour maintenir l'humanité sous son influence directe, le dragon a besoin d'un faux prophète qui soit aussi un faux Christ. Cette ignoble réplique du Messie est la seconde bête que nous voyons monter de la terre au verset 11.

En tant que «bête», cet homme étonnant exerce le pouvoir civil en Israël, dont il paraît surgir. Mais il exerce surtout une influence religieuse pernicieuse: il est appelé «le faux prophète» au chapitre 19 (verset 20). Par ses deux cornes, la seconde bête ressemble à un agneau (verset 11). Le faux prophète a bien quelques ressemblances superficielles avec le Christ, l'Agneau véritable et parfait qui possède sept cornes (5:6). Toutefois, ses paroles sont d'inspiration satanique: il parle comme un dragon (verset 11). Ses miracles, comparables à ceux d'Elie et des témoins du chapitre 11, s'ajoutent à ses paroles pour séduire «ceux qui habitent sur la terre» (versets 13, 14). Toute son activité, qui paraît être au service de l'humanité, est mensongère. Ceux qui n'ont pas voulu écouter la voix de l'Agneau de Dieu reçoivent à bras ouverts «l'agneau» du diable. Le Seigneur avait prévenu ses contradicteurs: «Moi, je suis venu au nom de mon Père, et vous ne me recevez pas; si un autre vient en son propre nom, celui-là vous le recevrez» (Jean 5:43).

Tout ce qui paraît bon ne trouve pas nécessairement sa source en Dieu. La tromperie et la séduction sont des moyens dont l'Ennemi use à merveille. Prenons donc garde à toutes les formes d'imitation qui s'offrent à nous. Les sourires du monde, les «délices du péché» (Hébreux 11:25), les «sectes de perdition» (2 Pierre 2:1), en font partie. Nos enfants, particulièrement fragiles, ont besoin d'être avertis.

Le faux prophète est l'Antichrist dont parle la première épître de Jean. Ce qui le caractérise, c'est qu'il nie le Père et le Fils (1 Jean 2:18, 22). Il est aussi «l'inique», «l'homme de péché» dont «la venue est selon l'opération de Satan, en toutes sortes de miracles et signes et prodiges de mensonge, et en toute séduction d'injustice pour ceux qui périssent, parce qu'ils n'ont pas reçu l'amour de la vérité pour être sauvés» (2 Thessaloniciens 2). S'élevant et s'opposant «contre tout ce qui est appelé Dieu ou qui est un objet de vénération», mis à part le dragon et la bête romaine évidemment, il s'assied «au temple de Dieu, se présentant lui-même comme étant Dieu» (verset 4). Nous reconnaissons en lui «le roi» qui, en Israël, «agira selon son bon plaisir, et s'exaltera, et s'élèvera contre tout dieu, et proférera des choses impies contre le Dieu des dieux». Il «n'aura point égard au Dieu de ses pères» (Daniel 11:36, 37). Dans sa folie, il se présente comme un objet de culte au même titre que le dragon et l'empereur romain. Ensemble, ils forment une horrible parodie de la sainte Trinité.

Il est troublant de considérer la formidable puissance de persuasion du diable. Il est encore plus solennel de penser que Dieu permettra le déploiement de cette énergie d'erreur, en châtiment envers ceux qui ont entendu la vérité mais qui n'en ont pas voulu. Il ne suffit pas d'être «de religion chrétienne» pour être sauvé. Ce n'est pas le baptême ou les bonnes œuvres qui assurent une place dans le royaume de Dieu et qui peuvent préserver des jugements à venir. Ceux qui aujourd'hui se contentent d'un christianisme de façade sans être «nés de nouveau» seront demain séduits par la bête qui parle comme un dragon.

L'influence du faux Messie dépasse largement les limites d'Israël: elle est immense. L'Antichrist exerce «tout le pouvoir de la première bête devant elle, et fait que la terre et ceux qui habitent sur elle rendent hommage à la première bête dont la plaie mortelle avait été guérie» (verset 12). En outre, à son initiative, les hommes font une représentation idolâtre de la première bête. Le faux prophète donnera à cette «image» la faculté de respirer, de parler et de faire en sorte que ceux qui refusent le culte de l'idole soient mis à mort. Sur sa demande également, les hommes de toute condition reçoivent sur le front ou la main droite une marque d'assujettissement à la première bête, sans laquelle ils ne peuvent ni acheter ni vendre.

Quel contraste entre la cruauté de cette dictature et la débonnaireté de Jésus de Nazareth! Le fils du charpentier s'effaçait humblement pour servir les autres, guérissait malades et démoniaques. Il se laissa crucifier et pria en faveur de ses meurtriers. Peut-on vraiment préférer «l'homme de péché» à «l'homme Christ Jésus»? Malheureusement, un tel choix n'a rien d'étonnant. N'a-t-on pas, dans le passé, délivré le brigand Barabbas au lieu de l'homme qui passa «de lieu en lieu, faisant du bien, et guérissant tous ceux que le diable avait asservis à sa puissance» (Actes des Apôtres 10:38)?

La marque qui est inscrite sur les hommes est «le nom de la bête» romaine ou «le nombre de son nom», qui est 666 (versets 17, 18). Ce nombre peut être «compté», ayant une signification mystérieuse mais précise. Nous reconnaissons notre ignorance à cet égard. Toutefois, nous ne doutons pas que, lorsque la bête dominera, Dieu donnera «sagesse» et «intelligence» (verset 18) aux saints pour élucider cette énigme. Ils auront aussi conscience que porter le nom de la bête, c'est accepter son joug satanique et s'opposer à Christ. Les croyants percevront tout ce qu'il y a de mauvais et d'humain dans cette marque qui est «un nombre d'homme» (id). L'homme «naturel», comme ce qui procède de son mauvais cœur, n'est-il pas opposé à Dieu? Malgré la menace de mort qui pèsera sur tout opposant au régime, les élus pourront trouver en Dieu la force de refuser tout compromis.

Notre Dieu veut toujours donner aux siens une vue des choses conforme à la sienne, au moins pour les circonstances qu'ils traversent, pour les préserver de tout faux pas. Leur sagesse et leur intelligence consistent à l'écouter, car il enseigne par l'Esprit Saint et communique ses sentiments sur toute chose. Soyons de ceux qui accordent du prix à ce que Dieu pense et qui en tiennent compte. Il nous dit: «Mon fils, sois attentif à ma sagesse, incline ton oreille à mon intelligence, pour garder les pensées réfléchies et pour que tes lèvres conservent la connaissance» (Proverbes 5:1).