Tempêtes : Quelques pensées sur Jonas

P.Er Fuzier

Le prophète dans la tempête

L'Éternel appelle Jonas à aller vers Ninive, pour crier contre elle et lui annoncer le jugement. Jonas s'enfuit à Joppé, et prend un navire pour Tarsis. Il choisit lui-même son chemin, selon sa volonté. Il fait prévaloir ses propres choix sur la parole et la volonté de Dieu.

Le Seigneur ne peut pas laisser son prophète dans une position aussi fausse, dans un état aussi triste. Il envoie un grand vent sur la mer et une grande tempête (Jonas 1:4). Alors que les marins crient chacun à son dieu, Jonas dort. Il faut que les marins viennent le réveiller, l'exhorter à invoquer Dieu.

Cette scène nous rappelle d'autres tempêtes dont nous parlent les Écritures. Dans nos difficultés, dans les jours de trouble, nous aimons à nous souvenir des scènes des Évangiles, de l'intervention du Seigneur pour délivrer ses disciples, calmer les vents et la mer, rassurer leurs cœurs. Mais les mêmes circonstances peuvent correspondre à des situations moralement bien différentes. Il est bon de nous interroger, dans nos difficultés, sur les raisons pour lesquelles nous les traversons, sur ce qui peut nous avoir amenés dans de telles circonstances, et avoir conduit le Seigneur, dans sa fidélité, à les permettre.

Dans les deux scènes des Évangiles qui nous montrent les disciples dans la tempête, nous pouvons constater que c'est le Seigneur lui-même qui avait envoyé les siens, qui leur avait enjoint de prendre la mer. La première question qui se pose à nous est de savoir si nous sommes dans la position des disciples obéissants, ou dans celle du prophète désobéissant. Ne nous trompons pas: l'amour du Seigneur est aussi grand pour ce dernier que pour les premiers; mais la façon dont cet amour agit ne peut être la même, et le chemin de la délivrance ne peut être identique. Lorsque, dans la tempête, le Seigneur est dans la barque avec ses disciples, il reprend les vents et la mer et il se fait un grand calme (Matthieu 8:26). La deuxième fois, le Seigneur vient lui-même au-devant de ses disciples, qu'il avait contraints de monter sans lui dans la nacelle. Il leur parle et les rassure; à sa parole, la tempête se change en calme (Matthieu 14:22-33), «et aussitôt la nacelle prit terre au lieu où ils allaient» (Jean 6:21).

Le Seigneur n'agit pas de la même manière envers le prophète qui s'enfuit loin de lui. Il envoie la tempête, il suscite les reproches justifiés des marins, il utilise le sort pour désigner ce désobéissant. Certes, cela est nécessaire pour que Jonas puisse retrouver le chemin de son Dieu, et pour que l'Éternel puisse ramener cette brebis égarée. Mais quelle différence! Quelle tristesse, quand notre désobéissance est exposée au monde, et attire ses reproches!

Jonas est descendu au fond du navire et s'est endormi. Il n'est plus à l'écoute de Dieu, ne se tient plus devant lui. Il est indifférent à la tempête et à la peine des hommes qui sont auprès de lui. Le prophète de l'Éternel n'a ni une prière à faire monter pour les marins, ni une parole d'exhortation à leur apporter. Au contraire, ayant perdu sa bonne conscience devant Dieu, il s'expose aux reproches justifiés des hommes.

Nous pensons à un autre serviteur, appelé à traverser une tempête extraordinaire. C'est Paul, dans son voyage vers Rome. Enseigné et fortifié par un ange de Dieu, l'apôtre a pu manifester sa sollicitude pour ceux qui traversaient la tempête avec lui, les exhorter et les encourager (Actes des Apôtres 27:21-25, 33-36).

Quel contraste entre le sommeil de Jonas et celui du Seigneur Jésus dans la nacelle! D'un côté, nous avons le parfait Serviteur, goûtant le repos que le Père lui donne après avoir accompli l'œuvre du jour — c'est le bien-aimé jouissant des soins divins. De l'autre, nous avons le prophète qui refuse son service, cherchant dans le sommeil l'oubli de sa désobéissance. Plus encore, le Seigneur, dormant à la poupe, près du gouvernail, est maître du bateau malgré les apparences; tandis que Jonas, descendu au fond du navire, est emporté sans savoir où il va.

La tranquillité de celui qui se remet aux soins fidèles du Père, qui vit dans sa lumière et jouit de sa paix, n'est pas de l'indifférence. Quant au sommeil de Jonas, il n'est pas le calme que donne la confiance. Mais Dieu sait manifester l'état des cœurs, et il le fait pour Jonas. Veillons à éviter toute indifférence devant le Seigneur, et en particulier toute indifférence à l'égard de sa discipline. Mépriser sa discipline, c'est mépriser celui qui l'exerce envers nous, et qui le fait comme un père veillant sur ses enfants (Hébreux 12:5-11).

Jonas ne peut donc pas trouver la délivrance comme les disciples l'ont goûtée de la part du Seigneur. Il faut qu'il passe par un autre chemin. L'Éternel ne peut le conduire «au port qu'il désirait» (cf. Psaumes 107:30), il ne peut le laisser poursuivre le chemin de sa propre volonté.

Jonas avait choisi son chemin. Il faut qu'il soit ramené au point où il s'est écarté du chemin du Seigneur, au moment où il s'est écarté de Dieu. Mais pour cela, il faut qu'il apprenne ce qu'est le fruit de la volonté propre. «Il y a telle voie qui semble droite à un homme, mais des voies de mort en sont la fin» (Proverbes 14:12). «Si vous vivez selon la chair, vous mourrez» (Romains 8:13). Jonas doit apprendre que la seule sentence que Dieu puisse prononcer sur la chair, sur la volonté propre de l'homme, c'est la sentence de mort. Il devra passer trois jours et trois nuits dans le ventre d'un poisson, éprouvant la détresse et l'amertume de la mort, pour être enfin délivré.

Nous devons apprendre aussi cette leçon lorsque nous nous laissons entraîner par la chair. Certes, notre salut ne peut être remis en cause, ni notre position en Christ devant Dieu. Mais il faut que nous apprenions ce qu'est le caractère profond de notre volonté naturelle, combien elle est opposée à la pensée de Dieu, et quelle en est la fin. Soyons assurés que le Seigneur saura garder les siens, en même temps qu'il leur fera faire une telle expérience. Mais il est sérieux de considérer que, quelquefois, il doit reprendre le croyant pour le ramener de son égarement. Et c'est d'autant plus sérieux lorsqu'il s'agit d'un serviteur et de l'accomplissement du service qui lui a été confié.

La tempête écartée

Jonas est à nouveau appelé à annoncer la parole de l'Éternel à Ninive. Il proclame la très prochaine «tempête» du jugement de Dieu sur la ville.

Toutefois, cette tempête est retardée pour Ninive. Cent ans plus tard, environ, le prophète Nahum prononcera son oracle sur Ninive au nom de l'Éternel — «son chemin est dans le tourbillon et dans la tempête» (Nahum 1:3). Mais, à la prédication de Jonas, «les hommes de Ninive crurent Dieu, et proclamèrent un jeûne… Et Dieu vit leurs œuvres, qu'ils revenaient de leur mauvaise voie; et Dieu se repentit du mal qu'il avait parlé de leur faire, et il ne le fit pas» (Jonas 3:5-10).

Ce que manifestent les hommes de Ninive, c'est la repentance. Celle-ci est fondée, tout d'abord, sur la parole de Dieu, la parole reçue et crue. Rien, apparemment, ne pouvait les faire douter de la stabilité de Ninive; la pensée qu'une si grande ville puisse être «renversée» en si peu de temps pouvait paraître absurde. Mais l'autorité et la puissance de la parole de Dieu peuvent surmonter les raisonnements humains et produire la repentance. Le travail accompli dans la conscience des hommes de Ninive se manifeste par des œuvres qui conviennent à la repentance (Luc 3:8; Actes des Apôtres 26:20), par une attitude d'humiliation et l'abandon de leurs mauvaises voies (Jonas 3:10).

Combien plus que les hommes de Ninive, devrions-nous, enfants de Dieu, manifester la réalité de la repentance lorsque le Seigneur doit nous reprendre et nous discipliner parce que nous nous sommes éloignés de lui. Même si nous tombons bien bas, la discipline ne doit pas produire en nous de découragement, pas plus que de l'indifférence: le chemin de la restauration est toujours ouvert, par la confession de nos péchés. Mais il faut une confession vraie, devant lui, et une attitude qui la manifeste.

La repentance produite chez les hommes de Ninive était le fruit de la parole de Dieu dans leur conscience. C'est Jonas qui leur avait présenté cette parole. Ce n'était pas une chose agréable, douce à entendre, que le message de Jonas. Mais il parlait «comme oracle de Dieu» (1 Pierre 4:11). Aussi n'est-ce pas Jonas simplement que les habitants de Ninive ont cru; c'est Dieu (Jonas 3:5).

La parole d'exhortation n'est pas toujours facile à supporter (Hébreux 13:22). Encore moins s'il s'agit d'une parole de répréhension. Aussi avons-nous tendance à la rejeter et à rejeter ceux qui nous la font entendre. Pourtant, les hommes de Ninive se seraient-ils repentis sans la prédication de Jonas? Comprenons que si, parfois, ce qui nous est dit nous semble sévère, cette sévérité peut être nécessaire à notre bénédiction. Ne nous hâtons pas de critiquer, de taxer de légalisme, d'étroitesse ou de dureté ce qui s'adresse à notre conscience. Appliquons nous à discerner, derrière le serviteur, Celui qui nous parle. Dans des jours difficiles, c'est en étant attentifs à cette parole que nous retrouverons le vrai et le droit chemin.

Le dernier mot de la grâce

Ramené, Jonas a été fidèle pour annoncer la parole de Dieu et sa justice. Mais il doit encore apprendre ce qu'est la bonté de Dieu.

Dieu voit les œuvres des habitants de Ninive, qui témoignent de leur repentance, et il n'exécute pas le jugement annoncé. Alors, Jonas trouve «cela très mauvais» (4:1). Ce qu'il avait annoncé ne s'accomplit pas. Il considère l'appréciation que l'on peut porter sur son service, les moqueries peut-être qu'il s'attirera pour avoir annoncé un jugement qui ne vient pas. Il regarde à lui-même et se nourrit de sa propre importance. Sa prière nous montre que c'était, dès le début, ce qui l'avait poussé à s'enfuir à Tarsis (verset 2). Il avait devant lui sa parole plutôt que la parole de Dieu. Ce qu'il savait de Dieu l'avait d'emblée incité à estimer que Dieu n'agirait pas comme il l'aurait souhaité. N'est-ce pas le danger d'une connaissance qui n'est pas liée à l'amour (1 Corinthiens 8:1-3)?

Soulignons qu'il ne s'agissait pas seulement d'orgueil chez Jonas. Il était écrit dans la loi: «Quand le prophète parlera au nom de l'Éternel, et que la chose n'aura pas lieu et n'arrivera pas, c'est cette parole-là que l'Éternel n'a pas dite…» (Deutéronome 18:22). C'était la réalité du service de Jonas et de l'appel de Dieu qui pouvaient être remis en cause. Mais si le Seigneur nous confie un service, pour sa gloire et non pour la nôtre, il saura aussi veiller sur nous. Il sait revendiquer l'honneur que, par pure grâce, il a donné aux siens (Psaumes 105:14, 15). Jonas aurait pu demeurer tranquille, appuyé sur l'Éternel, et lui remettre sa voie (Psaumes 37:5-7). Le Seigneur est un maître bon et fidèle, il prend en mains la cause des siens — si nous savons la laisser entre ses mains.

Les pensées de Jonas nous paraissent empreintes de dureté envers les Ninivites, et nous ne pouvons que blâmer un serviteur qui aurait préféré l'exercice du jugement à celui de la patience et de la bonté. N'oublions pas que de telles pensées sont montées au cœur de certains disciples pourtant bien proches du Seigneur (Luc 9:54, 55), et que nous ne sommes pas à l'abri de ce danger. N'oublions pas non plus que mettre en avant nos propres pensées d'indulgence ou de tolérance pour nous soustraire à l'obéissance à la Parole, parce que cela nous coûte, est tout aussi triste que la dureté de Jonas.

Dans son irritation, Jonas s'oublie jusqu'à l'insolence (4:9). Et pourtant, Dieu parle à son serviteur, et plus encore, parle avec lui. Quelle patience, qui dépasse ce que nous pouvons concevoir! Mais lorsque Dieu parle, si grande que soit sa patience envers nous, il faut qu'il ait le dernier mot. Et le livre de Jonas se termine ainsi, en laissant le prophète la bouche fermée.

Il est rare que Dieu ferme ainsi la bouche aux siens. Cette circonstance nous rappelle les plaidoyers de Job, et la requête d'Elie contre le peuple. Eux aussi ont eu la bouche fermée. Job invoquait sa justice, sa réelle piété. Elie et Jonas avaient en vue leur service, leur témoignage. Et comment Dieu les enseigne-t-il? C'est la grandeur de Dieu, sa sagesse, qui fait comprendre à Job qu'il doit prendre la place de celui qui se laisse instruire. «Dieu est plus grand que l'homme» (Job 33:12), lui avait rappelé Elihu. Sa sagesse est infiniment au-dessus de ce que nous comprenons: confions-lui ce que nous ne comprenons pas. C'est la fidélité de Dieu — qui s'était maintenu un résidu au milieu de la ruine du peuple — qui répond au réquisitoire d'Elie. Dieu entend et répond, au-delà de ce que nous pouvons penser, en son temps, et en manifestant sa puissance.

C'est la bonté de Dieu qui clôt le livre de Jonas (verset 11). Rien ne fait taire nos prétentions, rien ne nous met à notre juste place, comme la bonté et la grâce de Dieu (cf. Ézéchiel 16:63). La repentance des Ninivites en appelait à la justice du Juge de toute la terre; mais Jonas devait aussi apprendre à connaître sa bonté, dans sa compassion envers des enfants sans discernement, si nombreux dans cette grande ville. De quelle façon merveilleuse Dieu sait manifester justice et bonté!

Ajoutons que Jonas aurait pu comprendre combien le service qui lui avait été confié était grand, si, au lieu de regarder à lui-même, il avait considéré les pensées de Dieu. La repentance des hommes de Ninive était bien une manifestation extraordinaire de la puissance vivante de la parole de Dieu qu'il annonçait. Qui aurait pu amener dans l'humiliation les hommes de cette ville orgueilleuse, qui pouvait briser leur orgueil, sinon Dieu lui-même? La puissance de la parole prophétique était manifestée de façon bien plus grande lorsqu'elle opérait dans les consciences que lorsque le jugement s'exécutait. «La miséricorde se glorifie vis-à-vis du jugement» (Jacques 2:13).

Cette miséricorde de Dieu est manifestée à l'égard de Ninive. Elle l'est aussi à l'égard de son serviteur Jonas. Qu'aurait-il mérité? «Le jugement est sans miséricorde pour celui qui n'a pas usé de miséricorde» (idem), et ce n'est pourtant pas le jugement que Dieu exerce envers son serviteur; c'est par sa bonté qu'il met fin à ses contestations.