Jésus devant Pilate

W. Runkel

Les six questions d'un juge inique

La Bible rapporte en détail les événements concernant le Seigneur Jésus, la nuit où il fut livré. Ces heures bouleversantes, d'une portée infinie, sont caractérisées par la rencontre du bien et du mal, des ténèbres et de la lumière. D'un côté nous y voyons les actes souverains de Dieu, dans l'accomplissement de ses desseins pour le salut, de l'autre, la pleine manifestation du mal dans la nature humaine. Tout cela converge vers la crucifixion du Seigneur Jésus, là où le péché de l'homme atteint son point culminant, mais aussi où le fondement est posé pour ôter le péché du monde (Jean 1:29).

Le Seigneur Jésus venait de traverser une nuit d'intenses souffrances. Il avait été trahi par l'un de ses disciples et renié par un autre. Après l'avoir interrogé à plusieurs reprises, les principaux sacrificateurs et le sanhédrin avaient déclaré: Il mérite la mort, et l'avaient traité avec ignominie.

Le jour s'était levé. Pour amener à terme leur volonté de mettre Jésus à mort, les Juifs l'avaient conduit à Pilate. Lors des interrogatoires qui avaient précédé, le Seigneur n'avait ouvert la bouche que pour rendre témoignage à la vérité quant à sa personne. Il avait gardé le silence sans répondre aux fausses accusations portées contre lui. Ce silence, mentionné sept fois dans les évangiles, nous rappelle les paroles du psaume: «Comme un muet, je n'ouvre pas la bouche. Je suis devenu comme un homme qui n'entend point et dans la bouche duquel il n'y a pas de réplique» (Psaumes 38:13, 14).

Il ressort de l'évangile de Luc que le Seigneur a comparu deux fois devant Pilate. Entre ces deux interrogatoires se situent la comparution du Seigneur devant Hérode (Luc 23:6-12), puis la scène où Pilate le fait fouetter, les moqueries de la part du peuple et la couronne d'épines que les soldats mettent sur sa tête. Jean fait mention de quatre questions posées au Seigneur lors du premier interrogatoire, puis de deux autres au cours du second.

Examinons brièvement le déroulement de ces événements tel que Jean nous le rapporte.

«Toi, tu es le roi des Juifs?» (Jean 18:33)

Les Juifs avaient déjà décidé la mort du Seigneur. Pourquoi le mènent-ils à Pilate? Il y a deux réponses à cette question: premièrement, l'exécution de la peine de mort était interdite aux Juifs, alors sous le pouvoir des Romains. Secondement — et c'est la raison essentielle — il fallait que le conseil de Dieu s'accomplisse. «Car en effet, dans cette ville, contre ton saint serviteur Jésus que tu as oint, se sont assemblés et Hérode et Ponce Pilate, avec les nations et les peuples d'Israël, pour faire toutes les choses que ta main et ton conseil avaient à l'avance déterminé devoir être faites» (Actes des Apôtres 4:27, 28). Le Seigneur lui-même avait indiqué «de quelle mort il devait mourir»; il avait déclaré qu'il devait être «élevé de la terre». Il fallait qu'il passe par «la mort de la croix». Dans tous ces événements, l'homme s'apprêtait à combler la mesure de sa culpabilité.

Lorsque Pilate lui demande s'il est le roi des Juifs, le Seigneur répond par une autre question: «Dis-tu ceci de toi-même, ou d'autres te l'ont-ils dit de moi?». Cette question avait pour but de toucher la conscience du juge. En outre, elle contraint Pilate à constater la culpabilité du peuple: «Ta nation et les principaux sacrificateurs t'ont livré à moi». Il confirme ce qui était arrêté depuis longtemps: le Fils de David, le roi d'Israël, était rejeté par son propre peuple.

«Qu'as-tu fait?» (Jean 18:35)

Le Seigneur n'avait en rien enfreint la loi ou agi contre les intérêts de l'empereur. C'est ce qu'il aurait pu répondre, et bien d'autres choses encore. Il aurait pu attirer l'attention sur sa vie, ses miracles et sa doctrine. N'avait-il pas enseigné à rendre «les choses de César à César» (Matthieu 22:21)? Ne s'était-il pas retiré sur la montagne, sachant que la foule allait «l'enlever afin de le faire roi» (Jean 6:15)? De tout cela, le Seigneur ne fait pas mention, mais il dit: «Mon royaume n'est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu, afin que je ne fusse pas livré aux Juifs». «Pas de ce monde» — parole combien significative! À laquelle le Seigneur ajoute: «Mais maintenant mon royaume n'est pas d'ici». Ces mots évoquent les gloires qui suivront; ils révèlent quelque chose de la grandeur et de la gloire du Seigneur. Ils montrent qu'il était prêt à accepter le rejet et à renoncer pour le moment au trône à Jérusalem. «Maintenant» et dans «ce monde», le royaume n'était pas établi en puissance et en gloire; cela devait avoir lieu plus tard sur la base de l'œuvre accomplie à Golgotha. Roi rejeté de la terre, Jésus allait maintenant retourner au ciel, après sa résurrection. Il est cet «homme noble qui s'en alla dans un pays éloigné, pour recevoir un royaume et revenir» (Luc 19:12). Jusqu'à son retour, il est assis comme Fils de l'homme glorifié à la droite de Dieu.

«Tu es donc roi?» (Jean 18:37)

Nous arrivons maintenant à la question décisive. Pleinement conscient de ce que sa réponse affirmative lui vaudra, le Seigneur confesse qu'il est roi: «Tu le dis que moi je suis roi». Cette parole manifeste clairement, par ailleurs, qu'il ne renonce pas à son droit à la royauté. Tant par l'Ancien que par le Nouveau Testament, nous savons qu'il sera roi sur Israël et que toutes les nations le serviront, lui, le Fils de l'homme.

Puis le Seigneur ajoute quelque chose qui dépassait certainement la compréhension du gouverneur, mais qui, cependant, était un appel à son cœur et à sa conscience: «Moi, je suis né pour ceci, et c'est pour ceci que je suis venu dans le monde, afin de rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité, écoute ma voix». Le Seigneur agit ici en vue d'amener aussi ce païen à la connaissance de la vérité, s'il veut bien la recevoir. C'est, dans la vie de cet homme, un instant tout à fait particulier et de la plus haute solennité. Pilate se tient devant un prisonnier sans réaliser qu'il est le Fils de Dieu. Il est devant celui qui est la Vérité et par lequel sont venues «la grâce et la vérité». Mais il laisse échapper l'occasion unique de sa vie, d'ouvrir ses yeux et son cœur à la vérité. Il demeure aveugle sur les choses éternelles et invisibles qui appartiennent à un autre monde.

«Qu'est-ce que la vérité?» (Jean 18:38)

Le Seigneur ne donne pas de réponse à cette question. Il avait «fait la belle confession devant Ponce Pilate» (1 Timothée 6:13) et avait rendu témoignage à la vérité. Il n'y avait plus rien à ajouter. L'occasion ne lui est d'ailleurs pas donnée de dire quoi que ce soit. En effet, immédiatement après lui avoir posé cette question, Pilate sort vers les Juifs pour leur dire: «Moi, je ne trouve aucun crime en lui». Profondément impressionné par le calme et la dignité de son prisonnier, le juge était convaincu depuis longtemps de son innocence. Sa femme, elle aussi, l'avait confirmé dans cette conviction et l'avait fait prévenir: «N'aie rien à faire avec ce juste; car j'ai beaucoup souffert aujourd'hui à son sujet dans un songe» (Matthieu 27:19). Il y avait ainsi trois faits qui mettaient le gouverneur dans le plus grand embarras: l'animosité des Juifs, le songe de sa femme et l'innocence évidente de l'accusé! Que va faire Pilate?

Il aurait certainement préféré prononcer la libération du Seigneur. Pour se rendre les Juifs favorables, il se réfugie d'abord dans la coutume de leur relâcher un prisonnier à la fête de la Pâque. Cette proposition n'a cependant pas d'autre résultat que la terrible exclamation de la foule: «Non pas celui-ci, mais Barabbas!» Or Barabbas était un brigand! Ce cri bouleversant révèle la haine sans bornes de la foule soulevée contre le Seigneur. Au lieu d'accepter leur roi, le Fils de Dieu, ils choisissent un brigand. Choix lourd de conséquences, que Dieu, dans ses voies gouvernementales, allait faire retomber sur eux.

Alors Pilate fait fouetter Jésus. A-t-il l'espoir, par ce châtiment des plus cruels, de pouvoir satisfaire les désirs de la foule? C'est ce que laissent entendre ses paroles: «l'ayant donc châtié, je le relâcherai» (Luc 23:22). S'il n'était pas rare, selon les mœurs de l'époque, que les malfaiteurs condamnés à mort soient soumis à un tel supplice, il était infligé en ce moment à un accusé que le juge avait déclaré être innocent! Les douleurs corporelles qui y étaient liées étaient atroces, et il s'y ajoutait celles de la couronne d'épines, symbole de la malédiction, comme aussi tout le poids des moqueries et de l'ignominie dont les hommes l'accablaient. Les mains rudes des soldats lui avaient mis cette couronne pour se railler non seulement de lui, mais aussi de la nation juive qui ne pouvait s'appuyer que sur un tel roi.

Ainsi les tentatives de Pilate de libérer Jésus ont échoué. L'homme dont le devoir était de prononcer un jugement juste capitule devant la foule déchaînée: «Prenez-le, vous, et le crucifiez; car moi, je ne trouve pas de crime en lui». Mais on ne peut se soustraire ainsi à sa responsabilité. C'est à lui qu'il incombait de prononcer la libération du Seigneur, car il était le gouverneur.

«D'où es-tu?» (Jean 19:9)

«Nous avons une loi», disent les Juifs, «et selon notre loi il doit mourir, car il s'est fait Fils de Dieu». — Fils de Dieu? Jusque-là, il avait été question du fait que cet accusé se déclarait être le roi d'Israël, point sur lequel le gouverneur romain se sentait compétent; il s'agissait alors d'une affaire politique. Mais Fils de Dieu? Il avait déjà éprouvé un très grand malaise tout au long de cette affaire, et maintenant il a encore plus peur. Comment juger d'une telle question? D'où pouvait bien venir un homme qui avait cette prétention? Il était de la juridiction d'Hérode; cela Pilate le savait bien. Mais… s'agirait-il de quelqu'un qui n'est pas de cette terre? «Et Jésus ne lui donna pas de réponse.»

«Ne sais-tu pas que j'ai le pouvoir… de te crucifier?» (Jean 19:10)

Par cette dernière question, Pilate tente de faire parler Jésus. Mais celui-ci répond avec dignité: «Tu n'aurais aucun pouvoir contre moi, s'il ne t'était donné d'en haut». Oui, l'autorité officielle de Pilate, qu'il cherchait à faire valoir contre le Seigneur, était de Dieu; et il était responsable de l'exercer selon Dieu. Il n'avait pas reçu une autorité pour condamner arbitrairement «le saint et le juste» après l'avoir déclaré innocent. En cela, cependant, s'accomplissait le conseil de Dieu; la condamnation à mort devait être prononcée en dernière instance par Pilate, représentant de toutes les nations, et non par les Juifs. Toutefois Judas, qui avait «livré» le Seigneur, avait «plus de péché»; sa responsabilité était à la mesure des privilèges qu'il avait reçus, ayant vécu des années dans la compagnie du Seigneur. En cela, il est une image tragique de la nation juive.

Lorsque, finalement, Pilate demande aux Juifs: «Crucifierai-je votre roi?», les principaux sacrificateurs lui répondent: «Nous n'avons pas d'autre roi que César». Pilate est pris au piège, lui qui voulait et devait demeurer un «ami de César». L'animosité des conducteurs du peuple nous fait penser à cette expression du psaume 22: «Comme un lion déchirant et rugissant», et la fureur du peuple, au déchaînement des «chiens». (versets 13, 16).

Le jugement annoncé par le prophète Osée ne pouvait ainsi que se confirmer: «Les fils d'Israël resteront beaucoup de jours sans roi» (3:4). Et la puissance de l'empereur romain, dont ils se réclamaient, devait détruire Jérusalem 40 ans plus tard, cette ville qu'ils avaient appelée «notre lieu» (Jean 11:48).

Alors Pilate leur livre Jésus «pour être crucifié». Ainsi se confirme la parole de Salomon: «Dans le lieu du jugement, là il y avait la méchanceté… dans le lieu de la justice, là il y avait la méchanceté» (Ecclésiaste 3:16). Ainsi le Fils de Dieu, «le témoin fidèle et véritable» sort et s'en va au lieu appelé Golgotha, pour y donner sa vie.