Le livre de Daniel (suite)

F.B. Hole

Chapitre 3

Il ne nous est pas dit combien de temps s'écoula entre les événements racontés dans les chapitres 2 et 3, mais nous ne pouvons nous empêcher de penser qu'il y a un rapport, dans l'esprit de Nebucadnetsar, entre la statue qu'il vit en songe et la statue gigantesque qu'il fit faire. La première n'avait en or que la tête, qui le représentait lui-même; la suivante — qui était majestueuse — devait être tout en or.

Étant donné que l'ancienne coudée avait la longueur d'un avant-bras humain — de 45 cm à 55 cm —, cette statue devait avoir au moins 27 mètres de haut et 2,70 mètres de large. L'immense quantité d'or qui avait permis au roi de la faire n'égalait peut-être pas celle dont disposait Salomon, mais elle montre bien que les «temps des nations» commencèrent dans un grand déploiement de puissance, de richesse et de gloire. Et comment se terminera cette période de la suprématie des nations? La réponse se trouve en Apocalypse 13. Un autre roi puissant se lèvera, et une autre image extraordinaire sera faite. En comparant les deux scènes, nous remarquons de nombreuses ressemblances, mais aussi un contraste significatif. C'est le «Dieu des cieux» qui avait donné à Nebucadnetsar «la puissance, et la force, et la gloire» (Daniel 2:37), tandis que le grand roi à venir, qui est appelé «la bête», recevra «sa puissance et son trône, et un grand pouvoir» du «dragon», c'est-à-dire du diable lui-même (Apocalypse 13:2).

Quant aux ressemblances — également frappantes —, elles témoignent du fait que les tendances perverses de l'homme déchu sont exactement les mêmes dans tous les âges. Le Dieu des cieux avait accordé à Nebucadnetsar un grand pouvoir et une grande gloire, mais il s'en servit immédiatement pour se glorifier lui-même dans cette gigantesque statue d'or! Beaucoup de peuples différents lui étaient soumis, chacun d'eux ayant un grand nombre de dieux. Qu'ils aient donc, tout en conservant leurs divinités locales, une sorte de «super-religion» ayant pour effet de les unir ensemble! D'où la proclamation du héraut: «Il vous est ordonné, peuples, peuplades, et langues…»

Ces anciens monarques savaient en outre comment agir efficacement sur les foules. La musique exerce une influence certaine sur l'esprit humain, qu'elle soit du genre classique et cultivé, ou du genre le plus vulgaire du monde païen. En fait, ce sont ces dernières qui semblent produire les effets les plus envoûtants, comme les «danses diaboliques» des primitifs. Sous l'influence de ce genre de musique, les gens se conduisent comme sous l'effet d'une drogue.

C'est pourquoi, afin de pousser cette foule immense à adorer la statue d'or et rendre ainsi hommage à ce roi puissant, on fit jouer «toute espèce de musique». Ceux qui ne se soumettaient pas encouraient la peine terrible d'être jetés vivants dans une fournaise de feu ardent.

Des événements semblables sont prédits en Apocalypse 13 pour la fin des temps, mais avec des détails encore plus frappants. Au lieu de «toute espèce de musique», le faux prophète aura le pouvoir de donner la respiration et la parole à «l'image de la bête», et ceux qui refuseront de l'adorer seront mis à mort (verset 15). Ce pouvoir de donner la respiration à une image est véritablement stupéfiant, mais n'oublions pas que ce temps-là sera celui de «l'opération de Satan, en toute sorte de miracles et signes et prodiges de mensonge, et en toute séduction d'injustice pour ceux qui périssent» (2 Thessaloniciens 2:9, 10).

Poursuivant la lecture de notre chapitre, nous apprenons comment Dieu changea la parole de Nebucadnetsar et fit échouer son projet. De même, en poursuivant la lecture de l'Apocalypse, nous apprenons comment un jugement beaucoup plus terrible, bien que plus longtemps différé, tombera sur la bête représentée par l'image à venir, ainsi que sur le faux prophète qui en sera le soutien: ils seront «tous deux jetés vifs dans l'étang de feu» (Apocalypse 19:20).

Parmi toutes les convoitises et tous les désirs inhérents à la nature de l'homme déchu, le plus profondément enraciné est le désir de se glorifier, voire même de se déifier. Au commencement, il succomba à cette déclaration séductrice de Satan: «Vous serez comme Dieu, connaissant le bien et le mal» (Genèse 3:5). L'ennemi, bien sûr, se garda de leur dire qu'ils connaîtraient le bien sans pouvoir l'accomplir, et le mal sans pouvoir l'éviter! Dès lors, l'exaltation du «moi» est devenu l'idée maîtresse de notre monde. Il en était ainsi pour Nebucadnetsar. À ce moment, il était au sommet de la pyramide; et il y avait au-dessous de lui, le soutenant, «les satrapes, les préfets, les gouverneurs, les grands juges, les trésoriers, les conseillers, les légistes, et tous les magistrats des provinces». Cette énumération de personnages importants, nous la trouvons par deux fois dans notre chapitre, comme pour nous impressionner par la solidité de cette pyramide dont le roi était le sommet. Du haut de cette position apparemment incontestable, le grand roi proclama son décret. Mais ce décret était en fait un défi lancé à Dieu. Et Dieu releva celui-ci grâce à trois serviteurs dévoués qu'il s'était réservés.

Ce qui est assez remarquable, c'est que Daniel n'est pas mentionné dans ce chapitre. Cette omission est encourageante. Elle nous montre qu'en l'absence d'un serviteur exceptionnellement courageux et fort, Dieu peut engager et utiliser très efficacement des serviteurs moins doués. Les trois compagnons de Daniel ne possédaient pas ses dons d'intelligence des songes et des prophéties, mais ce qu'ils partageaient certainement, c'était son dévouement au seul vrai Dieu, qui impliquait une entière séparation de l'idolâtrie. C'est pourquoi, lorsque les foules, du plus grand jusqu'au plus petit, se prosternèrent pour adorer la statue, eux restèrent debout. Ils étaient un vivant exemple du principe énoncé par les apôtres en Actes 5:29: «Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes».

Leurs ennemis rapportèrent aussitôt la chose pour exciter la fureur de Nebucadnetsar. Le roi chercha néanmoins à savoir si cette accusation de refus d'obéissance était fondée, puis il prononça son ultimatum, suivi de la question insolente: «Qui est le Dieu qui vous délivrera de ma main?» La réponse des trois Hébreux est digne de toute notre attention.

Sauf erreur, nous avons ici la première mention d'un serviteur de Dieu menacé de la peine de mort — et quelle mort! — s'il refuse de renier son Dieu et d'abandonner sa foi. Il y a eu depuis lors beaucoup de cas semblables à celui des trois jeunes Hébreux. Au chapitre 6, nous avons celui de Daniel. Dans les premiers temps de l'Église, combien de croyants ont été livrés aux bêtes sauvages pour avoir refusé de renier leur Seigneur et Maître! Plus d'un soi-disant «hérétique» fut brûlé vif dans nos pays; et nous connaissons le sort d'un grand nombre de chrétiens, à une époque plus récente, sous le joug de fer du communisme ou de l'Islam. Mais l'exemple de ces témoins est particulièrement frappant, et leur attitude est un témoignage qui retentit à travers les siècles.

Tout d'abord, ces jeunes Hébreux affirment que leur Dieu peut les délivrer. Ils exaltent ainsi sa puissance. En second lieu, ils ne cachent pas le fait que, pour des raisons à lui, il se pourrait qu'il ne les délivre pas. En troisième lieu, ils déclarent, sans l'ombre d'une hésitation, que même s'il ne lui plaisait pas de les délivrer, ils ne renieraient pas leur Dieu en adorant la statue d'or du roi et en honorant des dieux qui n'en sont pas. «Nous ne servirons pas tes dieux», voilà leur mot final. Le résultat fut que Dieu les honora d'une manière merveilleuse.

Nous ferons bien, toutefois, de nous rappeler que les séductions du monde sont plus nuisibles à notre témoignage que ses persécutions et ses menaces de mort. À la fin de sa vie, l'apôtre Paul dut écrire: «Démas m'a abandonné». Or ce n'était pas parce qu'il avait eu peur des menaces du monde, mais parce qu'il avait «aimé le présent siècle» (2 Timothée 4:10). Juste avant cela, Paul avait parlé de «tous ceux qui aiment son apparition», sachant que l'apparition du Seigneur Jésus introduira un monde très différent du monde actuel, et entièrement selon Dieu. Démas a succombé aux séductions du «présent siècle», autrement dit au monde. Tel est le danger que nous courons nous-mêmes, chrétiens de l'Europe occidentale, qui sommes en général gardés des persécutions qui sévissent ailleurs. Que Dieu veuille nous donner cet esprit de décision qui caractérisa ces trois Hébreux, afin que, face aux séductions, nous puissions dire: «Sache… que nous ne servirons pas tes dieux…»!

En poursuivant notre lecture, nous remarquons le changement radical qui s'opère en Nebucadnetsar, en comparaison de ce qu'il avait manifesté à la fin du chapitre 2. Il était alors «sur sa face» (verset 46), en présence de Daniel; or tomber sur sa face, c'est, en figure (et étymologiquement), s'effacer soi-même. Maintenant, il est debout et si rempli de fureur que son visage même est changé sous l'empire de sa cruelle résolution. Non seulement les trois hommes qui ont défié sa volonté seront jetés dans la fournaise, mais celle-ci sera chauffée sept fois plus qu'à l'ordinaire. C'est pourquoi il incombera aux hommes les plus vaillants de son armée de les y jeter. Ainsi fut prononcé le jugement. Ainsi fut fait.

C'est alors que la main de Dieu commence à se montrer. Le jugement tombe, oui, mais sur les hommes les plus vaillants de la célèbre armée de Nebucadnetsar, et non pas sur les trois Hébreux sans défense. La première chose que voit ce roi orgueilleux et impie, c'est ses plus vaillants hommes consumés par la fournaise qu'il a fait chauffer d'une manière si excessive. Quel spectacle humiliant pour lui! Ce qu'il voit juste après, ce sont quatre hommes se promenant, déliés et indemnes, au milieu du feu dont la proximité avait suffi à tuer ses meilleurs soldats. Le feu qui devait être leur mort signifiait pour les serviteurs de Dieu, non seulement le salut, mais la liberté. Ils avaient été jetés dans la fournaise «liés», mais maintenant ils s'y promenaient, car le feu n'avait consumé que leurs liens, et un Visiteur céleste était avec eux!

Devant ce miracle stupéfiant, la colère du roi tombe. Le songe du chapitre 2, que Daniel avait exposé, l'avait ému; mais bien qu'il ait appris qu'il était la tête d'or de la statue, il n'avait pas pris à cœur le fait que la position suprême à laquelle il avait accédé, c'est au «Dieu des cieux» qu'il la devait. S'il avait reconnu cela, il n'aurait jamais demandé avec orgueil qui était le Dieu qui pouvait délivrer de sa main! Le Dieu des cieux, le Dieu qui lui avait donné son pouvoir, avait relevé son défi, retourné contre lui son ordre cruel, annulé l'effet de cette fournaise surchauffée, et rendu visible sa présence auprès de ceux qui auraient dû être ses victimes.

Le roi avait discerné qu'il y avait quelque chose de divin et de «semblable à un fils de Dieu» dans «l'aspect du quatrième». La manière dont il exprime sa conviction était sans aucun doute dictée par Dieu lui-même. Avant lui, Balaam avait eu des paroles qu'il n'aurait jamais prononcées sans y être poussé par Dieu (Nombres 23; 24). Et après lui, Caïphe prononça des paroles chargées d'un sens très différent de celui qu'il avait voulu leur donner (Jean 11:51). De même ici, Nebucadnetsar reconnaît que Dieu est intervenu et qu'il a manifesté sa présence auprès des hommes qu'il avait cherché à tuer; il s'exprime donc fort justement, mais la véritable portée de ses paroles lui échappe sans doute. Nous voyons ici Dieu (le Père) qui se propose ses voies, et le Fils qui se manifeste et agit. Mais nous apprenons cela dans le Nouveau Testament.

Le miracle était si total que les vêtements des jeunes Hébreux étaient intacts; pas un de leurs cheveux n'était brûlé, et l'odeur du feu n'avait pas même passé sur eux. Le roi doit pleinement reconnaître la main de Dieu, et il confesse sa toute-puissance. Cependant, il se contente de le reconnaître comme «le Dieu de Shadrac, de Méshac et d'Abed-Nego», exactement comme, à la fin du chapitre 2, il l'a reconnu comme le Dieu de Daniel. Il ne le reconnaît pas comme son Dieu personnel. Cependant il prononce des peines très sévères envers quiconque parlerait contre lui. Ce grand roi, sous le règne duquel commencèrent «les temps des nations», avait une leçon encore plus sérieuse à apprendre.

À suivre