Les chênes de Mamré

Bernard Paquien (1998)

Hébron est une ville dont on parle beaucoup en ce moment. Elle évoque divers épisodes de l'Ancien Testament qui sont bien utiles pour apprendre au croyant à cultiver ses relations avec le Seigneur. Là, Dieu a donné à Abraham des promesses concernant sa descendance; plus tard, Caleb se souviendra de la promesse que Moïse lui avait faite et réclamera sa part d'héritage en Canaan. Pour Abraham, pour Josué comme pour Caleb, Hébron est une terre de durs combats. Elle devient par la suite une des six villes de refuge. Mais Hébron parle surtout de la mort et de la communion avec Dieu. Nous nous proposons de gravir ensemble les chemins de cette montagne.

Tout d'abord, situons Hébron. Selon Nombres 13:23, elle fut construite sept ans avant Tsoan d'Égypte, très vieille cité dans le delta du Nil. Hébron se trouve à mille mètres d'altitude, à trente kilomètres au sud de Jérusalem. La ville n'apparaît pas dans le Nouveau Testament. Hautement symbolique, elle est aujourd'hui fortement convoitée.

Hébron, lieu de la promesse

Abraham, père des hommes de foi, s'était éloigné de Chaldée à la parole de l'Éternel, pour arriver dans le pays de Canaan. Il s'était arrêté à Sichem, où l'Éternel lui était apparu, puis près de Béthel. En chacun de ces endroits, il avait bâti un autel à l'Éternel (Genèse 12:6-8). Mais, alors qu'il occupe une position si élevée1, celle d'un adorateur, la famine survient. «Et Abram descendit en Égypte pour y séjourner, car la famine pesait sur le pays» (verset 10). L'épreuve le fait douter de la parole de Dieu à plusieurs égards. Pour nourrir sa famille et ses troupeaux, il quitte le pays où Dieu l'a conduit; puis, par crainte d'être assassiné par le Pharaon, il ment au sujet de sa femme en disant qu'elle est sa sœur.

1 Abram signifie «père élevé»

Renvoyé par le Pharaon, il ramène sa femme, Lot, et son bétail, au lieu «où était sa tente au commencement» (13:3). Mais une querelle entre les bergers de Lot et d'Abraham va séparer les deux hommes. On sait pourquoi Lot choisit la plaine, il aime le monde. Abraham demeure dans la montagne, séparé du monde, ce qu'il prouve peu après en refusant les biens que le roi de Sodome veut lui laisser (14:21-24). C'est le choix de la foi. Dieu honore le patriarche en lui réitérant la promesse d'une descendance et d'un pays (13:14-17). Alors Abraham s'installe «auprès des chênes de Mamré qui sont à Hébron» (verset 18). Cette promesse, Dieu va la renouveler encore après la bataille contre la coalition des rois qui avaient pris Lot comme prisonnier et son bien comme butin. Et Dieu atteste cette promesse par un signe où apparaissent des animaux sacrifiés et du feu, car toute alliance entre Dieu et l'homme repose sur un sacrifice par feu, un sacrifice d'excellente odeur (Genèse 15).

En Genèse 18, de nouveau auprès des chênes de Mamré, l'Ange de l'Éternel fixe une échéance à la promesse en disant: «Je reviendrai certainement vers toi quand son terme sera là, et voici, Sara, ta femme, aura un fils» (verset 14). Le rire de doute de Sara, puis son rire de joie en mettant au monde un enfant, c'est le nom même qu'Abraham donne à son fils «Isaac», né exactement au temps fixé par Dieu.

Pour Abraham donc, Hébron évoque la promesse d'un pays et d'une semence. Abraham «crut l'Éternel; et il lui compta cela à justice» (15:6).

Plus tard, il fallait aussi des hommes de foi pour s'emparer du pays de Canaan. C'est le cas de Josué et de Caleb lorsque, après leur incursion dans le pays ennemi, ils sont les seuls des douze espions à ne pas faire fondre de peur le cœur des fils d'Israël (Nombres 14:6-8). Échouer si près du but et retourner errer pendant quarante ans dans le désert en attendant que la première génération incrédule ait péri, voilà qui était bien de nature à décourager Caleb. Mais à quatre-vingt-cinq ans, il n'a pas moins de force qu'à quarante. Une foi vigoureuse l'anime. Il n'a pas oublié la grappe cueillie à Eshcol, dans le pays ruisselant de lait et de miel. Son souvenir, à l'issue du voyage, demeure bien précis. À Hébron, il avait vu des géants, les fils d'Anak (Nombres 13:23), mais son cœur est demeuré attaché à cette montagne. Il rappelle à Josué la parole de l'Éternel et la promesse de Moïse «parce qu'il avait pleinement suivi l'Éternel». «Et Josué le bénit, et donna Hébron en héritage à Caleb» (Josué 14:6-15). Anak est présent à Hébron, image de Satan, notre puissant adversaire. Mais Christ l'a vaincu à la croix. Caleb, type de Christ, s'empare de Hébron.

Hébron, lieu de combat

Cet héritage, Caleb s'en est emparé par la guerre. Ce n'est pas un héritage facile. Les fils d'Anak, placés sur le territoire à conquérir, représentent les convoitises qui «font la guerre à l'âme» (1 Pierre 2:11). Or il faut user de violence pour entrer dans le royaume de Dieu (Luc 16:16), pour suivre un roi rejeté plutôt que «de jouir pour un temps des délices du péché» (Hébreux 11:25).

La tribu de Juda, dont Caleb est un prince, «s'en alla contre le Cananéen qui habitait à Hébron (or le nom de Hébron était auparavant Kiriath-Arba), et ils frappèrent Shéshaï, et Akhiman, et Talmaï» (Juges 1:10).

Pour Abraham aussi, Hébron est un lieu qui évoque le combat. Mais un combat d'une portée morale différente de celle du combat de Caleb.

Une coalition de quatre rois lutte contre une coalition de cinq rois, dont ceux de Sodome et de Gomorrhe. Les premiers repoussent les autres, qui s'enfuient dans la montagne, et ils pillent «tous les biens de Sodome et Gomorrhe», prenant aussi Lot et son bien, «car Lot habitait dans Sodome» (Genèse 14:12). Nous pouvons constater en passant où le choix de Lot l'a conduit: il est maintenant prisonnier du monde. Quelqu'un avertit Abraham, «qui demeurait auprès des chênes de Mamré» (verset 13), que Lot «avait été emmené captif». Abraham «mit en campagne ses hommes exercés, trois cent dix-huit hommes», et «il ramena tout le bien, et ramena aussi Lot, son frère, et son bien, et aussi les femmes et le peuple».

Abraham n'a pas hésité. Il a exposé sa vie et celle de ses guerriers pour sauver son neveu Lot. Que de fois, après Abraham, des croyants ont été conduits à mettre leur vie en danger pour leurs frères! «Par ceci nous avons connu l'amour, c'est que lui a laissé sa vie pour nous; et nous, nous devons laisser nos vies pour les frères» (1 Jean 3:16). Voilà un premier enseignement de ce combat d'Abraham. Il y en a un deuxième. Le roi de Sodome, qui semble avoir conduit la coalition des cinq rois contre Kedor-Laomer et ses alliés, vient vers Abraham pour récupérer son bien. Il lui dit: «Donne-moi les personnes» (littéralement: les âmes. On connaît celui qui revendique les âmes pour lui: Satan), et ajoute: «prends les biens pour toi». Mais Abraham ne se laisse pas piéger. Il n'acceptera rien de cet homme corrompu, ni un fil, ni une courroie de sandale. Il n'attend rien du monde et ne veut rien lui devoir. «N'aimez pas le monde, ni les choses qui sont dans le monde: si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est pas en lui» (1 Jean 2:15). «Ne devez rien à personne» (Romains 13:8). N'est-ce pas un important rappel que Dieu nous adresse aujourd'hui?

Nous trouvons encore une bataille en rapport avec Hébron en Josué 10. Ce sont de nouveau cinq rois qui se liguent cette fois-ci contre Gabaon, «parce qu'elle avait fait la paix avec Israël». Parmi ces cinq rois figure un certain Hoham, roi de Hébron. Les hommes de Gabaon demandent de l'aide à Josué. «Et l'Éternel dit à Josué: Ne les crains pas, car je les ai livrés en ta main». «Et l'Éternel les mit en déroute devant Israël, qui leur infligea une grande défaite» (versets 8 et 10).

La victoire est entièrement due à l'Éternel. Cependant il importe de remarquer que Josué était parti de la bonne place, à savoir de Guilgal.

Hébron, qui a été la scène de ces guerres, sera par la suite une des six villes de refuge que l'Éternel avait demandé à Moïse d'établir, «afin que l'homicide qui, par mégarde, aura frappé à mort quelqu'un sans le savoir, s'y enfuie» (Josué 20:3, 7).

Plus tard la ville sera le siège de la royauté de David sur Juda, pendant sept ans et demi. L'Éternel choisit expressément ce lieu (1 Samuel 2:1). Mais il sera aussi le lieu de la révolte lorsque Absalom, fils de David, s'y rendra pour fomenter un complot afin de prendre le pouvoir (2 Samuel 15:10).

Hébron, lieu de la mort

«Et Sara mourut à Kiriath-Arba, qui est Hébron, dans le pays de Canaan» (Genèse 23:2). Abraham, auquel le pays a été promis, demande aux fils de Heth que Éphron lui donne «pour sa pleine valeur» la caverne de Macpéla, afin d'y déposer le corps de sa femme. Les fils de Heth reconnaissent le témoignage qu'Abraham a rendu au milieu d'eux: «Tu es un prince de Dieu au milieu de nous». Éphron, négociateur habile, obtient quatre cents sicles d'argent pour prix de son champ, et «Abraham enterra Sara, sa femme, dans la caverne du champ de Macpéla, en face de Mamré, qui est Hébron, dans le pays de Canaan».

Abraham, à cent soixante-quinze ans, meurt à son tour, «âgé et rassasié de jours». «Isaac et Ismaël, ses fils, l'enterrèrent dans la caverne de Macpéla» (Genèse 25:9).

Isaac séjourne lui aussi à Hébron dans sa vieillesse. C'est là que Jacob lui rend visite, et il meurt à cent quatre-vingts ans. «Ésaü et Jacob, ses fils, l'enterrèrent» (Genèse 35:29). Sur son lit de mort, Jacob rappellera: «Dans la caverne qui est dans le champ de Macpéla, qui est en face de Mamré, au pays de Canaan,… là on a enterré Isaac et Rebecca, sa femme» (Genèse 49:30, 31).

À l'appel de son fils, Jacob s'en va en Égypte, non sans avoir reçu l'approbation expresse de Dieu. Une joie intense inonde son cœur: il va revoir Joseph. «C'est assez! Joseph mon fils vit encore; j'irai, et je le verrai avant que je meure» (Genèse 45:28). Il retrouve son fils bien-aimé, mais ne reverra jamais sa terre natale; il meurt en Égypte. Avant d'expirer, il demande à ses fils: «Enterrez-moi auprès de mes pères, dans la caverne qui est dans le champ d'Éphron, le Héthien, dans la caverne qui est dans le champ de Macpéla, qui est en face de Mamré, au pays de Canaan» (49:29). «Et les fils de Jacob firent pour lui comme il leur avait commandé… et l'enterrèrent dans la caverne du champ de Macpéla» (50:13).

Si les patriarches ont désiré être enterrés dans ce pays de Canaan, c'est parce qu'ils connaissaient la résurrection et désiraient témoigner ainsi de leur confiance dans l'accomplissement des promesses de Dieu. Leurs os devaient participer à la résurrection depuis le pays de la promesse.

Hébron, lieu de la communion

Cette communion se manifeste chez Joseph par l'amour pour son père et l'obéissance envers lui. Elle s'exprime chez Abraham par l'intercession et l'adoration.

Pour Joseph, Hébron constitue le point de départ de son service envers Jacob. Celui-ci «l'envoya de la vallée de Hébron; et il vint à Sichem». Nous avons là comme un raccourci de la vie de Joseph: elle commence à Hébron par un service pour lequel son père l'envoie, et se termine, après toute une vie de service, à Sichem où ses os seront enterrés (Josué 24:32).

Pour Abraham, la communion se traduit d'abord par une visite inattendue. Au milieu du jour, il est «assis à l'entrée de la tente» lorsque trois hommes lui apparaissent (Genèse 18:1). Il court vers eux et se prosterne devant celui qui lui semble le plus grand de tous et qu'il appelle «Seigneur». Hospitalier, il veut les réconforter; il demande à Sara d'apprêter des gâteaux et fait préparer «un veau tendre et bon». L'auteur de l'épître aux Hébreux devait se souvenir de cet épisode de la vie du patriarche lorsqu'il recommande: «N'oubliez pas l'hospitalité; car par elle quelques-uns, à leur insu, ont logé des anges» (Hébreux 13:2).

Alors l'Éternel, qui est en fait l'un de ces trois visiteurs, annonce à Abraham la naissance d'un fils, lui rappelant devant le rire de Sara: «Y a-t-il quelque chose qui soit trop difficile pour l'Éternel?» Puis, alors que les hommes se lèvent et qu'Abraham les raccompagne, le Seigneur, se parlant à lui-même, demande: «Cacherai-je à Abraham ce que je vais faire?… car je le connais, et je sais qu'il commandera à ses fils et à sa maison après lui de garder la voie de l'Éternel, pour pratiquer ce qui est juste et droit». Quelle intimité entre Dieu et celui qui, par trois fois, est appelé «l'ami de Dieu»!

Dans la personne de l'ange de l'Éternel, Dieu descend vers Abraham et lui révèle ses plans. Alors, de son côté, Abraham élève son âme à Dieu.

En premier lieu par la prière. Parce qu'il vient d'apprendre le jugement qui va frapper Sodome et Gomorrhe, villes perverses, plongées dans la boue d'un péché qui a envahi le monde actuel tout entier, Abraham se tient devant l'Éternel et intercède pour que cinquante, quarante-cinq, quarante, trente, vingt, dix justes qui se trouveraient là ne périssent pas avec les méchants. L'Éternel promet: «Je ne la détruirai pas, à cause des dix». Sodome a été consumée parce qu'il n'y restait pas dix justes, mais un seul, «le juste Lot» (2 Pierre 2:7), qui fut sauvé «comme à travers le feu» (1 Corinthiens 3:15). Mais quelle admirable conversation entre l'Éternel et Abraham nous offre ce dernier paragraphe de Genèse 18! Quant à nous qui avons par la Bible la révélation des pensées de Dieu à l'égard de ce monde, avons-nous quelquefois ces conversations intimes avec lui pour qu'il arrache à l'ennemi des «tisons sauvés du feu»? Combien d'âmes soupirent encore dans ce monde, s'y trouvant à l'étroit, ne connaissant pas la vraie liberté des enfants de Dieu!

Enfin, près des chênes de Mamré, Abraham a bâti son troisième autel à l'Éternel (Genèse 13:18). Le premier, celui de Sichem, est l'autel de l'obéissance; le second, à Béthel, celui du voyageur; celui de Hébron enfin est l'autel de l'adoration. Témoignage au milieu des fils de Heth, cet autel est le point de rencontre d'Abraham avec Dieu que Melchisédec lui a révélé comme le «Dieu Très-haut, possesseur des cieux et de la terre» (14:19, 22). Le patriarche lui-même le connaît personnellement comme l'Éternel — son nom de relation avec son peuple — en même temps que comme «le juge de toute la terre» (18:25). Si, un moment, Abraham est descendu vers l'Égypte pour y trouver de la nourriture, maintenant sur les hauteurs, près des chênes de Mamré, il pourrait faire sienne cette exclamation d'un de ses descendants: «J'élève mes yeux vers les montagnes d'où vient mon secours; mon secours vient d'auprès de l'Éternel» (Psaumes 121:1, 2).

Comme Abraham, ayons à cœur de nous tenir habituellement dans le lieu de la bénédiction, de la promesse, de l'intercession et de l'adoration!