Le retour de Naomi (Ruth 1 à 4)

Jacques Duron

Le livre de Ruth nous montre comment Dieu use de grâce envers ceux qui, repentants, reviennent à lui. C'est ce que nous voyons particulièrement en Naomi.

Pour nous instruire, nous avertir et nous consoler, Dieu se plaît à montrer son amour envers des individus ou des foyers. Celui d'Élimélec et de Naomi met en évidence la position privilégiée dans laquelle Dieu nous a placés et la responsabilité qui en découle, mais aussi les conséquences qu'entraîne l'abandon de cette faveur.

Nous sommes ici au temps des Juges. Ce qui caractérise cette période, c'est qu'on oubliait l'Éternel (Juges 2:19). «Il n'y avait pas de roi en Israël; chacun faisait ce qui était bon à ses yeux» (17:6; 21:25). Les quatre derniers chapitres de ce livre nous montrent dans quelle déchéance morale se trouve le peuple.

Au début du livre de Ruth, à cette situation catastrophique vient s'ajouter la famine. Et pourtant l'Éternel avait promis de faire entrer son peuple dans «un pays ruisselant de lait et de miel» (Deutéronome 6:3), «un pays où tu ne mangeras pas ton pain dans la pauvreté, où tu ne manqueras de rien» (8:9), où «tu mangeras, et tu seras rassasié (verset 10). «Il boit l'eau de la pluie des cieux, — un pays dont l'Éternel, ton Dieu, a soin, sur lequel l'Éternel, ton Dieu, a continuellement les yeux, depuis le commencement de l'année jusqu'à la fin de l'année» (11:11, 12).

Mais Dieu avait dit aussi: «Prenez garde à vous, de peur que votre cœur ne soit séduit, et que vous ne vous détourniez, et ne serviez d'autres dieux et ne vous prosterniez devant eux, et que la colère de l'Éternel ne s'embrase contre vous, et qu'il ne ferme les cieux, en sorte qu'il n'y ait pas de pluie, et que la terre ne donne pas son rapport, et que vous périssiez rapidement de dessus ce bon pays que l'Éternel vous donne» (11:16, 17).

Quelle va être l'attitude de ce chef de famille, Élimélec, dans cette situation?

Le départ

«Il y a telle voie qui semble droite à un homme, mais des voies de mort en sont la fin» (Proverbes 14:12; 16:25).

Bien des raisons peuvent motiver un départ. Dans un temps de famine, même les patriarches étaient descendus en Égypte: Abram, Jacob. L'homme de Bethléem pouvait-il attendre plus longtemps? Ici, la famine et la corruption; en Moab, cela irait probablement mieux. Et puis ce n'était que pour séjourner un temps. Élimélec et sa famille partent donc vers cette destination. Dieu n'est pas consulté.

L'état du cœur

Les noms des membres de cette famille évoquent la position dans laquelle Dieu les avait placés: Élimélec, pour justifier son nom — «Dieu est roi» — aurait dû être, en tant que chef du foyer, soumis à l'autorité de Dieu. Naomi — «délice, joie» — suggère la sphère de bénédiction dans laquelle ils auraient pu, malgré la famine, trouver en Dieu toutes les ressources nécessaires. «Béni l'homme qui se confie en l'Éternel, et de qui l'Éternel est la confiance!… il ne s'apercevra pas quand la chaleur viendra, et sa feuille sera toujours verte; et dans l'année de la sécheresse il ne craindra pas, et il ne cessera de porter du fruit» (Jérémie 17:7, 8). «L'Éternel connaît les jours de ceux qui sont intègres,… ils seront rassasiés au jour de la famine» (Psaumes 37:18, 19). De multiples exemples confirment que Dieu tient ses promesses. Il pourra se servir des corbeaux pour apporter du pain à son serviteur Elie: «Il arrivera que tu boiras du torrent, et j'ai commandé aux corbeaux de te nourrir là» (1 Rois 17:4), ou bien du roi Sédécias pour nourrir Jérémie dans la cour de la prison: «On lui donna par jour un pain, de la rue des boulangers» (Jérémie 37:21).

Dieu avait béni Élimélec et Naomi en leur donnant deux fils: «Voici, les fils sont un héritage de l'Éternel» (Psaumes 127:3). Or le nom attribué à chacun des enfants évoque l'état de décadence dans laquelle se trouve ce foyer: Makhlon «malade», Kilion «qui languit». Ils ont, comme l'ensemble du peuple, «abandonné l'Éternel». Ils languissent, ils sont à l'étroit, rien ne va plus; ce sera beaucoup mieux ailleurs; ils s'en vont.

Pourtant l'Esprit de Dieu rappelle que les fils sont originaires d'Éphrath: «lieu de la fertilité», de Bethléem: «maison du pain», de Juda: «lieu de la louange».

Le chemin

Pour aller aux champs de Moab, il fallait:

  • quitter Bethléem, lieu de la bénédiction et de la nourriture,
  • descendre ensuite vers Jéricho, ville que Dieu avait maudite après la victoire de Josué (Josué 6),
  •  passer ainsi près des ruines où Dieu avait manifesté sa puissance en combattant pour son peuple,
  • traverser le Jourdain, ce fleuve qu'Israël avait franchi triomphalement dans l'autre sens à la suite de l'arche, pour entrer dans le pays de la promesse,
  • sortir des limites du pays d'Israël, lieu de leur possession.

Quel chemin! Cette famille abandonne le lieu de la bénédiction, passe indifférente près des ruines de la ville qui rappelle la victoire de la foi, oublie la séparation établie par Dieu, et perd ainsi la jouissance de l'héritage qui lui appartient.

Ne sommes-nous pas établis sur le terrain de la résurrection (Éphésiens 2:6; Romains 6:3, 4), approchés de celui qui est le pain de vie (Jean 6:35), «bénis de toute bénédiction spirituelle dans les lieux célestes en Christ» (Éphésiens 1:3)? Dans le lieu où le Seigneur a promis sa présence (Matthieu 18:20), nous pouvons par elle être remplis de joie (Jean 20:20), et avec Lui, faire monter vers Dieu notre louange et notre adoration.

Serions-nous portés nous aussi, comme la famille d'Élimélec, à nous expatrier vers les champs de Moab, ce pays marqué d'opprobre et d'infamie par Dieu lui-même?

Le pays de Moab

Élimélec et sa famille se sont engagés dans un chemin de propre volonté. Dieu intervient, et Élimélec meurt. Naomi reste seule avec ses deux enfants. Les parents sont venus pour séjourner un temps, mais les enfants s'y installent et s'y marient. Hélas! lorsque des parents sont attirés vers le monde, les enfants y attachent leurs cœurs.

Pour une pleine restauration, il va falloir un complet dépouillement. Les fils de Naomi meurent, mais pour le soutien et l'encouragement de celle qui reste seule, Dieu a préparé des cœurs: Orpa «jeunesse», Ruth «amitié ou satisfaction».

Le retour de Naomi

«Et elle se leva, elle et ses belles-filles, et s'en revint des champs de Moab» (1:6).

N'y a-t-il plus rien pour satisfaire le cœur? Ce qui hier attirait n'est-il plus suffisant? «Combien de mercenaires de mon père ont du pain en abondance, et moi je péris ici de faim!» dira le jeune homme de la parabole (Luc 15:17).

Dieu, qui s'est occupé de ce foyer, même pendant son chemin de propre volonté, continue à manifester son amour envers cette veuve si éprouvée. N'est-il pas le Dieu des veuves (Psaumes 68:5)?

Dans les champs de Moab, elle entend parler de la bonté de l'Éternel. Dans le lieu de la bénédiction, si Dieu a dû exercer son gouvernement envers son peuple pour le ramener vers lui, il est encore celui qui donne et nourrit en abondance.

Naomi revient; elle a devant elle le pays promis. Mais pour aller jusque-là, il lui faut reprendre en sens inverse le chemin parcouru avec son mari et ses enfants. Si hier, pour aller de Bethléem aux champs de Moab, il fallait descendre, maintenant il faut monter péniblement. Et puis ses belles-filles moabites sont là, rappelant, à elle et aux autres, l'histoire de son égarement. Toutefois Dieu reste ce qu'il est, «miséricordieux et faisant grâce, lent à la colère, et grand en bonté et en vérité» (Exode 34:6, 7).

Naomi est seule, démunie de tout, mais Dieu a en réserve plusieurs consolations pour lui rappeler que lui n'a pas changé. Jésus Christ n'est-il pas le même, hier, et aujourd'hui, et éternellement (Hébreux 13:8)?

Les propos tenus par Naomi à ses deux belles-filles trahissent son état intérieur. L'amertume remplit son cœur, elle n'a pas encore goûté l'abondance de la grâce qui lui est réservée à Bethléem. Elle veut renvoyer les jeunes femmes, mais l'attachement de Ruth est tel que Naomi ne peut empêcher la puissance de la grâce de déployer ses effets. Est-il possible qu'une Moabite puisse entrer dans le pays promis?… Mais la grâce coule, comme un fleuve immense qui trouve sa source dans le cœur de Dieu et qui déborde: «C'était une rivière que je ne pouvais traverser — dira le prophète —, car les eaux avaient crû, des eaux où il fallait nager, une rivière qu'on ne pouvait traverser» (Ézéchiel 47:5).

Pour que le cœur soit rempli de cette grâce, il faut qu'il se vide de toute volonté propre, et qu'il reconnaisse avoir abandonné le lieu de la bénédiction. «Celui qui cache ses transgressions ne prospérera point, mais celui qui les confesse et les abandonne obtiendra miséricorde» (Proverbes 28:13).

Naomi est partie de la «Maison du pain», elle revient à la «Maison du pain». Un grand parcours a été fait, où elle a perdu son temps, son énergie, ses fils, son mari. Pourtant l'Éternel, le Tout Puissant, qui l'a suivie durant tout ce cheminement, l'attendait.

«Et comme il était encore loin, son père le vit et fut ému de compassion, et, courant à lui, se jeta à son cou et le couvrit de baisers» (Luc 15:20).

Les bénédictions

Ruth la Moabite s'attache à Naomi et déclare avec force: «J'irai… Je demeurerai… Mon peuple… Mon Dieu… Là je mourrai…» (1:16). Tout ce qui appartient à Naomi, et qu'elle a abandonné, devient la part et la joie de celle qui n'avait aucun droit en Israël. Quel encouragement!

Pourtant l'amertume continue à remplir le cœur de Naomi, et les gens de la ville ne la reconnaissent pas. Elle confesse devant tous la perte qu'elle a faite en abandonnant le lieu de la bénédiction: «Je m'en allai comblée, et l'Éternel me ramène à vide» (1:21).

Naomi arrive avec Ruth à Bethléem «au commencement de la moisson des orges». C'est le moment où, selon Lévitique 23, allait être présentée la gerbe des prémices. Cette gerbe, qui préfigurait Christ ressuscité d'entre les morts (1 Corinthiens 15:20), rappelle que c'est en vertu de l'œuvre de Christ, mort et ressuscité, que le peuple d'Israël entrera à nouveau dans les bénédictions, non plus sur le terrain de la responsabilité, mais sur celui de la grâce.

À Bethléem, non seulement il y avait de la nourriture, mais avant tout il y avait Boaz, le proche parent, dont le nom signifie: «en lui est la force». Homme puissant et riche, il possède des champs dans lesquels peuvent glaner ceux qui sont les objets de sa miséricorde. Il n'a jamais cessé d'être à Bethléem. Il a la puissance dans son bras et l'amour dans son cœur.

Naomi va recevoir la nourriture par le moyen de Ruth, sa belle-fille, qui a trouvé grâce auprès de Boaz. Celui-ci possède, par-dessus tout, le droit et le pouvoir de rachat. Et il l'exercera en toute justice. Il y a celui «qui est plus proche» que lui (3:12), type de la loi, à qui doit être offerte la possibilité de «relever le nom du défunt», selon la loi du lévirat (Deutéronome 25:5-10). Mais il est impossible que la loi use de grâce. Naomi a abandonné l'Éternel, et sur le principe de la loi, il n'y a aucune espérance. Ruth la Moabite n'a aucun droit en Israël. Alors Boaz, l'homme riche, rachète et Naomi et Ruth.

Christ, celui dont Boaz est le type, a accompli la loi, se soumettant à toute justice (Matthieu 3:15; 5:17). Il a le droit, sur le principe de la grâce, de racheter et son peuple céleste et son peuple terrestre. Par sa mort et sa résurrection, non seulement il s'acquiert une Épouse bien-aimée (Éphésiens 5:25), mais aussi il rétablira son peuple terrestre. «S'il livre son âme en sacrifice pour le péché, il verra une semence» (Ésaïe 53:10), «une semence le servira» (Psaumes 22:30).

De l'union de Boaz et de Ruth naît un fils, Obed, dont le nom signifie: «qui sert». Celui-ci entre dans la généalogie du Messie (Matthieu 1:5), et du Fils de l'homme (Luc 3:21). Les femmes de Bethléem déclarent: «Un fils est né à Naomi» (4:17). S'il est le fils de Ruth, il est aussi celui de Naomi. Il est le témoin de la grâce de Dieu.

Dans ce livre de Ruth, nous avons devant nous à la fois la misère de l'homme et l'immensité de la grâce divine. Lorsque l'homme a perdu tout droit par sa désobéissance et qu'il est démontré sans force, Dieu intervient et manifeste «les immenses richesses de sa grâce».

Certes, «ce qu'un homme sème, cela aussi il le moissonnera» (Galates 6:7). Parce qu'il est saint, Dieu ne passe pas sur les manquements, mais lorsque «nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous pardonner» (1 Jean 1:9). Et dans son immense grâce, il fait travailler toutes choses pour le bien des siens ainsi que pour sa gloire.

«Bienheureux celui dont la transgression est pardonnée, et dont le péché est couvert!» (Psaumes 32:1).

Tu nous combles de tes grâces,

Tu nous connais nom par nom;

Tu nous conduis sur tes traces

Vers la céleste maison.

Tu veux de notre faiblesse,

De tous nos maux t'enquérir;

Quel amour! Tu veux sans cesse

Nous pardonner, nous guérir.