Nos propres intérêts ou ceux de Jésus Christ?

Raymond Lacombe (1997)

À plusieurs reprises, dans l'histoire du peuple d'Israël, on assiste à des scènes champêtres brusquement interrompues. Une situation nouvelle conduit ceux qui y étaient occupés à changer d'activité de façon plus ou moins définitive. C'était le plus souvent les intérêts du peuple qui étaient en cause.

Quant à nous, si nous n'avons pas tous reçu un appel à abandonner nos affaires personnelles pour nous consacrer à temps plein à l'évangile ou aux soins de l'Assemblée, nous devons veiller à ne pas laisser notre carrière professionnelle prendre le pas sur le service que nous recevons tous du Seigneur en tant que membres de son corps.

Il nous est demandé de travailler paisiblement (2 Thessaloniciens 3:12). Donc ne nous laissons pas complètement accaparer par les affaires de la vie. Nos cœurs, trop absorbés par elles, ne manqueraient pas de s'attiédir. Il y aurait, plus ou moins rapidement, un relâchement de notre exercice personnel à la piété et, finalement, un désengagement dans la vie de l'Assemblée.

Nous ne suivrons pas l'ordre chronologique des scènes que nous désirons rappeler, mais un ordre moral: il sera question de combat, de service pastoral, de restauration, et enfin d'édification.

Appel pour le combat

Gédéon — Juges 6:11-21

Gédéon battait du froment dans un pressoir, lorsqu'il reçut la visite de l'Ange de l'Éternel. Il travaillait avec tristesse et inquiétude. L'apparition de l'Ange ne l'effraye pas, mais lui donne l'occasion de vider son cœur. En réponse à la parole d'encouragement qu'il entend, il exprime sa déception. Il n'a confiance ni en lui ni en personne et, ce qui est plus grave, il n'a pas non plus confiance en Dieu. «L'Éternel nous a abandonnés», s'exclame-t-il. C'est le perpétuel «pourquoi» accusateur que l'on entend aussi de nos jours, en considérant les vicissitudes du temps présent. Puis, malgré le regard de l'Éternel et l'annonce d'une force en lui dont il n'a pas conscience, il reste bien circonspect. Dans sa grâce, Dieu acceptera de soutenir sa foi par les trois signes demandés (versets 17-21; 36-40). Gédéon finira par obéir à son appel. Il ne s'agira plus pour lui de battre du froment dans des conditions précaires mais de se laisser porter à la victoire «par la force que Dieu fournit, afin qu'en toutes choses Dieu soit glorifié» (1 Pierre 4:11).

Le tort de Gédéon avait été de regarder d'abord à lui-même, puis avec nostalgie à un passé révolu. Il avait raison d'être conscient de sa faiblesse. Mais il dut apprendre, comme Moïse avant lui et comme l'apôtre Paul plus tard, que dans cette faiblesse, Dieu accomplit sa puissance. Que notre peu de force et le souci de nos affaires personnelles, même légitimes, ne nous servent pas de prétexte pour nous dérober au service du Maître et de son Assemblée!

Saül — 1 Samuel 11:1-8

Saül aussi avait une activité agricole. Il n'avait pas, lui, été interrompu, mais finissait sa journée de travail. Curieusement, les hommes de Jabès s'étaient adressés aux habitants de Guibha, la ville de Saül, et non au roi lui-même, pourtant déjà établi. Mais Saül, mis au courant de la provocation de l'ennemi, fut saisi par l'Esprit, assuma pleinement sa charge et délivra le peuple. Dans cet heureux, mais hélas trop court début de règne, Saül consacra son temps et son énergie à la cause de ceux qui souffraient, avant de continuer à s'occuper de ses biens propres.

David — 1 Samuel 17

À trois reprises David fut interrompu dans son humble tâche de berger. D'abord afin d'être oint par Samuel en présence de ses frères. Isaï avait dit: «Il reste encore le plus jeune, et voici, il fait paître le menu bétail» (16:11). La deuxième fois, lorsqu'on cherchait un joueur de harpe pour Saül (16:19). Et la troisième fois, lorsqu'il s'agissait de porter des vivres à ses frères (17:17-20). Mais le jeune berger était aussi «un homme fort et vaillant, et un homme de guerre» (16:18). On sait comment cela fut brillamment démontré devant tout le peuple. Sans être négligent dans les petites choses, comme le montrent les versets 20 et 28 du chapitre 17, il savait faire passer ses affaires et celles de sa famille après les intérêts du peuple et la gloire de Dieu.

Que les «affaires de la vie» ne nous embarrassent pas quand c'est le moment du combat (2 Timothée 2:4)! Quel honneur pour nous d'être enrôlés comme de bons soldats de Jésus Christ! David combattait les combats de l'Éternel. Et un jour, il serait établi prince sur Israël. Cela ne valait-il pas la peine de laisser les troupeaux familiaux? Quelle promotion finalement et quelle destinée! L'Éternel «choisit David, son serviteur, et le prit des parcs des brebis; il le fit venir d'auprès des brebis qui allaitent, pour paître Jacob, son peuple, et Israël, son héritage» (Psaumes 78:70, 71).

Appel à la compassion

David — 1 Samuel 16:14-23

David, homme vaillant, était aussi «le doux psalmiste d'Israël», le poète et le musicien par excellence, un homme «qui sait jouer» (1 Samuel 16:18). On peut assimiler son art à cette expression d'Ésaïe 50:4: la langue des savants pour savoir soutenir par une parole celui qui est las. C'est ainsi qu'il fut rappelé d'auprès du menu bétail pour soulager Saül par le son de la harpe.

Combien il est beau et humain ce rôle du fils d'Isaï! N'était-il pas plus noble que celui de gardien de menu bétail, qui pourtant préparait le jeune homme aux tâches qui lui seraient confiées plus tard? Ayons, nous aussi, cette énergie du cœur pour «redresser les mains lassées et les genoux défaillants». Que cela soit fait joyeusement, en estimant toujours comme un honneur et un privilège d'être de quelque utilité à nos frères, en servant ainsi le Seigneur! «En tant que vous l'avez fait à l'un des plus petits», dira le Seigneur Jésus, «vous me l'avez fait à moi» (Matthieu 25:40).

Appel pour la restauration

Les Beth-Shémites — 1 Samuel 6:10-16

Les hommes de Beth-Shémesh, eux aussi, étaient en plein travail. C'était le temps de la moisson des froments. La joie de la récolte fit place à une autre, bien plus grande: celle du retour de l'arche de chez les Philistins. Ainsi était annulée la tristesse qui avait coûté la vie d'Eli le sacrificateur, et surtout la perte de l'arche. Pouvait-il y avoir un plus heureux motif de se réjouir: la présence divine, symbolisée par cette arche? Et ce fut un jour d'holocaustes et de sacrifices à l'Éternel.

Rien dans nos occupations ne doit nous distraire de la recherche de la communion avec notre Seigneur, et cela d'autant plus si nous l'avions perdue un certain temps. Sachons nous réjouir tout de suite pour toute bonne nouvelle qui concerne le peuple de Dieu. Gardons-nous de ressembler, même de loin, à cet homme qui lui aussi revenait des champs, et qui n'a pas su entrer dans la joie de son père ni s'intéresser au bien de son frère, parce qu'il était préoccupé avant tout de son propre intérêt (Luc 15:25-32).

Ornan et ses fils — 1 Chroniques 21:20-26

Ornan et ses quatre fils foulaient du froment. Quelle frayeur pour cette famille de Jébusiens quand ils virent l'ange destructeur s'approcher de leur aire! Mais le propos de la grâce divine était d'épargner Jérusalem. Dieu avait dit: «Assez». Et voilà le roi David qui arrive! Ornan se prosterne, disposé, lui pourtant un étranger, à sacrifier tout son matériel de travail. Il estime au-dessus de tout la faveur du Dieu d'Israël et le rétablissement du lien entre l'Éternel et le peuple. Ce rétablissement est confirmé par le feu du ciel sur l'holocauste et la remise dans le fourreau de l'épée de l'ange.

Appel à la conduite et à l'enseignement du peuple

Élisée — 1 Rois 19:19-21

Élisée était en grand travail de labour avec un attelage très important dont la conduite nécessitait sans doute beaucoup d'attention et de compétence. Mais c'est à une autre mission, moins rentable matériellement, que cet homme de Dieu était destiné. Pour cette nouvelle tâche, le soin et la compétence seront encore plus nécessaires. Et les quelques années qu'il va passer dans la compagnie de son maître ne seront pas de trop pour cette formation. Mais remarquons en premier lieu la perspicacité et la disponibilité de ce jeune prophète. Le simple fait du manteau d'Elie lancé sur ses épaules suffit à lui faire comprendre son appel. Cet homme était préparé dans son cœur à se consacrer aux intérêts du peuple. Son désir de prendre congé de ses parents ne doit pas être interprété comme une hésitation. En tout cas la Parole ne le blâme pas, comme elle le fait pour l'homme de Luc 9:61.

On a toujours de la difficulté à comprendre la volonté du Seigneur quand on n'est pas disposé à obéir. C'était tout le contraire pour Élisée. Admirons l'empressement avec lequel il répond à cet appel, pourtant voilé. La parole dissuasive d'Elie ne l'arrête pas. Sa décision était immédiate et définitive, comme le montre le sacrifice de son instrument de travail: la douzième paire de bœufs et leur harnachement. Il s'engageait joyeusement et définitivement dans le service et, après un repas d'adieu, signe de communion, il suivit et servit le prophète. Il dut commencer par d'humbles tâches, comme autrefois le petit Samuel (comparez 2 Rois 3:11 et 1 Samuel 3:15). Mais en servant, il acquerra un bon degré et une grande hardiesse dans la foi (1 Timothée 3:13). Il deviendra, comme Samuel, une personnalité de premier plan devant le peuple et un grand prophète de l'Éternel.

Et d'autres

D'autres exemples d'appel et de consécration pourraient être cités. Le prophète Amos, berger de Thekoa, n'avait peut-être pas prévu qu'il aurait à assumer une responsabilité d'une autre nature: celle de parler à plusieurs reprises au peuple de la part de l'Éternel. Pierre put dire avec justesse, pour ses condisciples et pour lui-même: «nous avons tout quitté et nous t'avons suivi» (Matthieu 19:27). Paul renonça sans regrets à ses avantages innés et acquis, à cause du Christ et de l'excellence de sa connaissance. Les Hébreux avaient accepté avec joie l'enlèvement de leurs biens, ayant en vue des biens meilleurs et permanents. Et que dire du cœur de cette femme de Béthanie, rempli d'une immense vénération et d'un profond amour envers son Seigneur? Pour elle, aucun parfum n'était trop précieux s'il s'agissait d'oindre les pieds du Maître et d'embaumer le lieu de sa présence. La valeur de presque un an de travail était sacrifiée en un instant. Enfin, exemple suprême, le serviteur parfait alla jusqu'à laisser sa vie, ne voulant pas sortir libre, car il aimait «son maître, sa femme et ses enfants» (Exode 21:5). À notre tour, nous sommes invités à présenter nos corps en sacrifice vivant; c'est là notre «service intelligent», le service de ceux qui ont l'intelligence de la volonté de Dieu (Romains 12:1).

Il y a des exemples inverses: celui de ce jeune homme dont les biens étaient trop grands pour être abandonnés et ne pouvaient, selon lui, être compensés par le trésor dans le ciel promis par le Seigneur. Il y avait aussi ce qui affligeait l'apôtre prisonnier à Rome: «tous cherchent leurs propres intérêts, non pas ceux de Jésus Christ» (Philippiens 2:21).

Conclusion

Il ne faut pas que ces lignes attristent, et encore moins culpabilisent, ceux qui sont chargés ou même dépassés par les problèmes matériels. Le Seigneur connaît ceux-ci et les évalue parfaitement. Beaucoup de pères de famille sont nécessairement aux prises avec le monde du travail dans toute sa rigueur et sa dureté. Mais si malgré tout nous avons dans le cœur les intérêts du peuple de Dieu et la sollicitude pour les assemblées, les ressources nous sont assurées. «Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par-dessus» (Matthieu 6:33).

L'apôtre Paul était serviteur de l'évangile aussi bien que serviteur de l'assemblée, corps de Christ. Comme alors, l'assemblée a besoin de combattants. Elle a besoin de beaucoup de pasteurs, de beaucoup de gens pour compatir avec ceux qui sont éprouvés. Il y a aussi du travail en abondance pour les réparateurs de brèches. Enfin, il faut pour l'Église du Seigneur des conducteurs doués pour l'enseignement. Soyons au moins prêts à reconnaître ceux qui travaillent parmi nous, et qui sont à la tête parmi nous dans le Seigneur, et qui nous avertissent, et estimons-les très haut en amour à cause de leur œuvre (1 Thessaloniciens 5:12, 13).

Nous devons désirer avec ardeur des dons spirituels pour l'édification du corps de Christ. Mais même si nous pensons en être dépourvus, il est cependant donné à chacun la manifestation de l'Esprit en vue de l'utilité (1 Corinthiens 12:7). Il ne s'agit pas seulement d'une capacité particulière, qui de toute façon nous vient de Christ, mais de la disposition de notre cœur à sacrifier nos intérêts personnels. Cette disposition sera à la mesure de notre amour pour le Seigneur.

Seigneur, toi qui pour nous t'offris en sacrifice,

Remplis-nous de ferveur pour mettre à ton service

Nos jours, nos biens, nos corps, nos cœurs.