Balaam (Nombres 22 - 24; 31: 16)

L. Chaudier

Balaam était un homme pervers: «Ton chemin est pervers devant moi» (Nombres 22: 32). Il voulait paraître désintéressé; il avait l'air de refuser honneurs et argent, mais l'un et l'autre gouvernaient son cœur. D'ailleurs Balak connaissait bien son homme, pour l'appeler à son service pour maudire le peuple d'Israël.

Le peuple était dans une position propice à la malédiction de Balaam. Il n'était pas dans un brillant état; il était très fatigué. Ce n'était pas l'état qu'on trouve en Exode 15, où tout le monde chantait et où «grande fut la foule des femmes qui répandirent la bonne nouvelle» (Psaumes 68: 11). Marie la prophétesse, et d'autres, unissaient leur voix pour chanter un cantique à la gloire de Dieu. Tel est le commencement: un départ en triomphe après le passage de la mer Rouge. Mais quarante ans de désert ont fatigué le peuple. Dieu a éliminé tous les hommes de guerre; tous ceux qui étaient forts sont tombés sous le gouvernement de Dieu. Ceux qui, au départ, étaient de petits enfants sont devenus des hommes; ils sont là, au bord des rives du Jourdain; le pays promis est de l'autre côté.

L'histoire de ce peuple a été marquée par les interventions merveilleuses de Dieu, mais aussi par de tristes infidélités. Nous sommes les derniers à pouvoir jeter la pierre à ce peuple; nous aussi, nous terminons la traversée du désert. Depuis vingt siècles l'Église a marqué les étapes de ses défaillances. Combien de manquements individuels, combien de manquements collectifs sont enregistrés dans le livre de Dieu! Nous le sentons: nous sommes fatigués, nous ne pouvons prétendre à aucune force. Le déploiement de la puissance de Dieu est beaucoup moins marqué que du temps des apôtres, où des miracles s'accomplissaient. Le peuple était heureux, glorieux, et au milieu de lui, Dieu se plaisait à démontrer sa présence. Aujourd'hui, ces signes ne sont plus; ceux qui prétendent les retrouver n'ont pas arrêté leurs regards sur ce que l'Église a fait pendant vingt siècles; ils n'ont pas lu, dans l'Écriture, la façon dont Dieu agit, plein de grâce toujours, de support, de patience, mais aussi de fidélité envers lui-même. Dieu ne peut pas, Dieu se doit à lui-même de ne pas se manifester aujourd'hui, comme il l'a fait dans les Actes, à son peuple qui a montré tant d'infidélités envers lui. Nous n'en sommes pas étonnés: c'est la façon de faire de Dieu. Et c'est contre ce peuple d'Israël harassé, à bout de force humainement parlant, quand toutes les conditions sont contre lui, que nous voyons surgir Balak et Balaam.

Le peuple ignorait ce qui se passait à son sujet. Balak représente l'ennemi du peuple, le diable. Il était roi de Moab, et Moab n'était pas un descendant de païen! Nous trouvons plus d'une fois cela dans l'histoire du peuple d'Israël, que ses ennemis les plus ardents ont un lien de parenté avec lui. Balak, son ennemi, saisit le meilleur moment: quand le peuple est fatigué, quand il a montré son infidélité, quand il est sur le point d'arriver; il est sur les rives du Jourdain. L'ennemi surgit et dit: «Le peuple n'entrera pas». L'ennemi se met en travers. On a vu cela à la fin de la vie de vrais chrétiens: l'ennemi s'acharne et dit: «Cet homme n'entrera pas; je suis là pour le condamner, il n'entrera pas!» Mais qui donc en définitive va régler la question? Le peuple n'ouvre pas la bouche; on ne l'entend pas. Des hommes se disputaient peut-être sous leurs tentes à ce moment. Mais l'entrée du peuple, sa malédiction ou sa bénédiction, sont réglées entre Dieu et l'ennemi. Et Dieu ne fait pas parler un ange: il force à bénir celui qui veut maudire.

Ces quatre prophéties ne sont pas adressées directement au peuple. Dieu fait parler Balaam sans que le peuple, au moment même, le sache. Et «Dieu n'est pas un homme, pour mentir» (Nombres 23: 19); quand il a dit: «J'ai aimé ce peuple et je le bénirai», ce n'était pas un mensonge! Il n'est pas «un fils d'homme, pour se repentir» (Nombres 23: 19): s'il a appelé son peuple, il ne change pas. L'Écriture dit plusieurs fois que Dieu s'est repenti, c'est-à-dire qu'il a changé sa façon de faire, dans les détails, quand son peuple se montrait infidèle; mais il ne se repent pas quant à son dessein final. Nul ne fera changer Dieu de pensée, quand bien même, au cours de l'histoire d'Israël, il a souvent été contraint de changer sa manière d'agir en châtiant son peuple au lieu de le bénir. Israël est resté son peuple, le seul qu'il ait choisi d'entre toutes les familles de la terre. On peut s'acharner contre Israël, mais en vain.

Balaam était un homme pervers: il affectait d'être pour Dieu et son cœur était avec le diable. Il ne se tenait pas devant Dieu. Il dit: «Je le verrai, mais pas maintenant; je le regarderai, mais pas de près». Ils ont été légion, les Balaam, les faux prophètes au milieu du peuple de Dieu, soit du peuple d'Israël soit du peuple chrétien. Beaucoup de personnes ont affecté d'être pour Dieu et de servir son peuple; au fond, elles étaient ennemies de Dieu, gouvernées par l'amour des honneurs et de l'argent. L'erreur de Balaam est un des trois maux signalés et dépeints dans le livre de l'apostasie, l'épître de Jude (verset 11), avec le chemin de Caïn et la contradiction de Coré.

«J'ai péché, car je ne savais pas que tu te fusses placé à ma rencontre dans le chemin» (Nombres 22: 34). L'effet de cette confession est nul, sans bénédiction. David a dit: «J'ai péché» et le prophète lui dit: «Aussi l'Éternel a fait passer ton péché» (2 Samuel 12: 13). Le «j'ai péché» de David était l'effet du travail de Dieu dans le cœur et la conscience. L'âme est devant Dieu et confesse: c'est une bénédiction, c'est ce qu'on trouve dans le Psaume 32. Saül représente la chair religieuse établie dans une position de responsabilité, la chair assise sur un trône. Il dit aussi: «J'ai péché» (1 Samuel 15: 24), et il est mort dans son péché. Judas a dit: «J'ai péché en livrant le sang innocent» (Matthieu 27: 4), et il reste le type même de celui qui est maudit pour l'éternité. Le Pharaon a dit aussi: «Priez pour moi» (Exode 8: 29), «j'ai péché» (Exode 9: 27). Ce sont des exemples de confessions charnelles. Il n'est pas vrai que tous ceux qui ont dit: «J'ai péché» ont trouvé le pardon. Il y a le «j'ai péché» de Balaam et celui de David. David a eu une défaillance; mais tout au long des livres des Rois et des Chroniques, Dieu dit: «à cause de David mon serviteur, qui a été fidèle en toutes choses». Et les psaumes de David nous font honte à nous chrétiens. Que Dieu nous garde de la confession des lèvres qui ne révèle que la crainte du châtiment! Et qu'il nous accorde de lui ouvrir notre cœur dans une confession que lui-même produit!

«Que mon âme meure de la mort des hommes droits, et que ma fin soit comme la leur» (Nombres 23: 9, 10). Balaam a beau exprimer ce souhait, son âme ne mourra pas de la mort des hommes droits et sa fin ne sera pas comme la leur. Nous avons en Balaam l'exemple de quelqu'un dont Dieu peut se servir, comme de son ânesse, pour exprimer ses propres paroles, mais la puissance et la vie divine sont deux choses distinctes. Il peut y avoir puissance sans vie, comme chez Balaam et son ânesse. La vraie preuve de la vie, la preuve divine nous est donnée dans l'Écriture: c'est le fruit, et non pas la puissance.

Ces quatre prophéties de Balaam sont d'une remarquable beauté; elles nous présentent quatre caractères du peuple de Dieu et du chrétien en particulier.

«Car du sommet des rochers je le vois, et des hauteurs je le contemple. Voici, c'est un peuple qui habitera seul, et il ne sera pas compté parmi les nations. Qui est-ce qui comptera la poussière de Jacob, et le nombre de la quatrième partie d'Israël?» (23: 9, 10). Le premier caractère que l'Esprit de Dieu développe à propos de son peuple, c'est qu'il habitera seul, et qu'il ne sera pas compté parmi les nations. C'était un peuple tout seul au désert; il y était plus en sécurité que dans le pays de la promesse. Si nous réalisions le désert, nous serions un peuple seul; et Dieu dit cela au moment où il va entrer au pays de la promesse. Dès que l'on veut mêler le peuple de Dieu aux peuples du monde, ce peuple est perdu. Les peuples du monde n'y gagnent rien, le peuple de Dieu y perd tout. Dieu le dit, l'expérience le montre toujours. Il en est de même pour un individu: lorsqu'un chrétien se mêle au monde, c'est le monde qui le corrompt, et lui, il perd son témoignage vis-à-vis du monde; c'est un faux témoin. On dit: «Voilà un homme en qui le monde a été plus fort que Dieu».

Israël demeurera seul; c'est un peuple séparé. La séparation est un des caractères du peuple de Dieu. C'est plus vrai que jamais, pour chacun de nous. Dans notre vie, nous sommes bien obligés d'avoir affaire à des gens du monde, mais notre cœur n'est pas là.

Nous devons être auprès des gens du monde pour les servir, être comme des luminaires pour leur montrer le chemin du salut. Mais nous ne mangeons pas de leurs délices (Psaumes 141: 4). Le peuple de Dieu est toujours un peuple séparé et s'il se mêle au monde, il est perdu, il est corrompu, lui le premier. Mais si ce peuple réalise qu'il est seul, alors le cri jaillira du cœur même des gens du monde: «Que ma fin soit comme la leur!» (Nombres 23: 10). Que la fin des siens dans ce monde fasse envie à ceux qui en sont les témoins! Mais si nous faisons comme les gens du monde, si nous buvons aux mêmes sources qu'eux, si nous mangeons le même pain qu'eux, le témoignage est perdu.

«Il n'a pas aperçu d'iniquité en Jacob, ni n'a vu d'injustice en Israël; l'Éternel, son Dieu, est avec lui, et un chant de triomphe royal est au milieu de lui» (23: 21). Le deuxième caractère du chrétien et du peuple de Dieu, c'est la justice, la justification: c'est un peuple justifié, c'est un peuple racheté. Ainsi, nous sommes un peuple qui est à Dieu et Dieu ne voit aucune iniquité en lui; mais nous, nous en voyons beaucoup en nous-mêmes, beaucoup de manquements dans le peuple, dans l'Assemblée, beaucoup d'infidélités, mais Dieu dit à l'ennemi: «C'est un peuple juste, parce que je l'ai rendu tel». Nous savons que nous sommes justifiés et que l'œil de Dieu se repose avec joie sur les siens et sur son peuple; et notre justice, c'est Christ. Comme Christ est, tels nous sommes; si la Parole ne le disait, nous n'oserions pas le dire.

«Que tes tentes sont belles, ô Jacob! et tes demeures, ô Israël!» (24: 5). Le troisième caractère, c'est la beauté du peuple. Nous chantons quelquefois dans un cantique: «Que l'unité de ton Église est belle!» C'est toujours vrai et pourtant il y a dans l'Église bien des divisions, et plus nous sommes engagés dans les intérêts de l'Église du Seigneur, plus nous le savons. Pourtant le fait est là:

«Que l'unité de ton Église est belle!

Seigneur Jésus, qu'elle plaît à tes yeux!

Dans ton amour tu t'es livré pour elle:

Tu veux l'avoir près de toi dans les cieux».

Et enfin le quatrième caractère: «Je le verrai, mais pas maintenant; je le regarderai, mais pas de près. Une étoile surgira de Jacob, et un sceptre s'élèvera d'Israël» (24: 17). Cette étoile, elle a surgi; elle avait été annoncée; elle est apparue: Jésus est venu et une étoile a changé sa trajectoire habituelle pour tracer, à ceux qui étaient attentifs, le chemin vers Bethléhem. Cette étoile reparaîtra plus tard en puissance; et c'est de puissance qu'il s'agit ici. La quatrième prophétie va jusqu'à la fin, annonçant Dieu au milieu du peuple qui est un peuple séparé (Dieu le voit tel), racheté, justifié, beau aux yeux de Dieu; au milieu de lui la gloire de Dieu resplendira.

Ces quatre caractères sont vrais à plus forte raison pour le peuple céleste de Dieu. Que Dieu nous donne de glorifier son saint Fils pendant que nous l'entourons, pendant qu'il n'a aucun éclat apparent! Que nous réalisions que nous sommes un peuple séparé de toutes les autres nations par la croix du Seigneur Jésus! Que Dieu nous donne de nous réjouir par un chant de triomphe royal à la pensée que, ce soir peut-être, nous entrerons avec le Seigneur dans cette gloire contemplée maintenant par la foi.