Osée

Chapitre 1er

Première partie: Chapitres 1 à 3 — État moral d’Israël et conseils de Dieu à son égard.

Chapitre 1er — Dieu rejette Israël et reçoit les nations.

(v. 1.) — «La parole de l’Éternel qui vint à Osée, fils de Beéri, aux jours d’Ozias, de Jotham, d’Achaz et d’Ézéchias, rois de Juda, et aux jours de Jéroboam, fils de Joas, roi d’Israël».

Dès le premier verset nous nous heurtons à une difficulté. Comment se fait-il qu’Osée, prophète d’Éphraïm, au lieu d’énumérer la série des rois d’Israël sous lesquels il a prophétisé, ne mentionne que Jéroboam, le premier de ces rois, passe sous silence ses six successeurs et marque la durée de sa prophétie par les rois de Juda? À cette énigme l’histoire des rois d’Israël fournit une solution, confirmée par le contenu de notre premier chapitre.

Jéhu, exécuteur des jugements de Dieu contre les dix tribus, avait exterminé Joram, roi d’Israël, et les 70 fils de l’impie Achab, mais, plein d’un zèle charnel, il avait outrepassé les ordres de Dieu en exerçant la vengeance sur Achazia, roi de Juda, et ses quarante-deux frères. L’Éternel reconnut l’obéissance de Jéhu, dans la mesure où elle s’était exercée à son service, et lui dit: «Parce que tu as bien exécuté ce qui était droit à mes yeux, et que tu as fait à la maison d’Achab selon tout ce qui était dans mon cœur, tes fils, jusqu’à la quatrième génération, seront assis sur le trône d’Israël» (2 Rois 10:30; 15:12). Ce fut, en effet, ce qui arriva. Sur les instances de Joakhaz, son père, première génération de Jéhu, Joas, la seconde génération, avait été suscité comme «Sauveur à Israël» (2 Rois 13:5). Jéroboam II, troisième génération, tout mauvais roi qu’il fût, avait été également honoré du titre de Sauveur du peuple (2 Rois 14:27). Dès lors cependant, Israël était jugé, mais il manquait encore la quatrième génération de Jéhu pour accomplir la promesse, faite à ce dernier par l’Éternel. À la mort de Jéroboam, les dix tribus traversèrent une période d’interrègne dont la prophétie d’Osée porte les traces. Mais ce que l’Éternel avait promis devait nécessairement avoir lieu. Au bout de onze ans d’interrègne, Zacharie, quatrième descendant de Jéhu, s’assit sur le trône d’Israël, mais ne régna que six mois et mourut de mort violente (2 Rois 15:8-12). Ainsi s’accomplissait à la fois la parole de l’Éternel à Jéhu et le jugement définitif sur les dix tribus. Déjà, du temps de Jéroboam II, ce jugement était consommé dans les décrets de Dieu. Les cinq souverains qui se succédèrent sur le trône depuis Zacharie jusqu’à la transportation des dix tribus ne comptent pas pour le prophète, malgré le long règne de deux d’entre eux.

Osée prophétise sur Israël, alors que déjà le sort du peuple est invariablement fixé par l’Éternel. Celui-ci tient sa promesse à Jéhu, mais juge définitivement la maison d’Israël, à commencer par Jéhu (1:4). Pour un temps Juda, sous quelques rois fidèles, «marche encore avec son Dieu et les vrais saints», quoique, de fait, la ruine des deux tribus soit déjà complète (12:1). Aussi, comme nous le verrons, chaque fois que Juda est mentionné, c’est pour montrer que, si son jugement est retardé, il n’est pas éloigné et atteindra sûrement la maison de David.

Voilà donc ce qui nous semble expliquer pourquoi Osée, prophète d’Éphraïm, nous est présenté comme prédisant sous le règne des rois de Juda, et passe sous silence tous les rois d’Israël, sauf Jéroboam. Ce dernier était encore un «Sauveur». Après lui, tout n’est plus que désordre, meurtres et anarchie.

(v. 2-5.) — En un temps où la parole de Dieu n’a plus de puissance sur le cœur du peuple, pour le convaincre et le ramener, l’Éternel l’accompagne de signes visibles, symboliques, propres à atteindre la conscience et au sens desquels personne ne peut se soustraire. «L’Éternel dit à Osée: Va, prends-toi une femme prostituée et des enfants de prostitution; car le pays s’est entièrement prostitué en abandonnant l’Éternel». Il faut que le prophète de l’Éternel, l’homme qui représente Dieu lui-même devant le peuple, contracte une alliance déshonorante. Israël ne comprendra-t-il pas que la prostitution est sa condition actuelle? Il avait abandonné l’Éternel, trahi ses engagements avec son mari; et cependant les relations d’une alliance légitime subsistaient encore. Y avait-il rien de plus honteux pour le prophète? Mais combien plus pour l’Éternel lui-même! En outre, non seulement le prophète (ou Dieu) était déshonoré, mais les enfants issus de cette union ne pouvaient s’appeler que des enfants de prostitution. Jamais la souillure ne peut être améliorée, même alliée avec la pureté la plus parfaite. Si la sainteté du prophète, sous la conduite de l’«Esprit de Dieu, n’en était nullement altérée, l’impureté de son épouse était décuplée par le fait qu’elle n’avait eu aucun égard à cette sainteté; mais il était désormais impossible que Dieu n’en prît pas connaissance, si, le fait une fois constaté, Il ne voulait pas renier Sa sainteté. Le jugement devenait donc une nécessité, à moins que Dieu n’abandonnât son caractère.

Cette vérité est de tous les temps. Après Israël, l’Église, en tant qu’Épouse responsable de Christ, a suivi le même chemin, s’est prostituée, et tombera sous le même jugement, bien plus terrible toutefois que celui d’Israël, puisqu’il sera proportionné aux grâces qu’elle a reçues. Israël a manqué sous la loi; l’Église responsable a manqué sous la grâce. Mais Israël, après sa défection sous l’économie de la loi, retrouvera, sous la nouvelle alliance, la grâce qu’il n’avait jamais connue; l’Église ne la retrouvera pas, car, après la grâce, manifestation suprême du caractère de Dieu, il ne lui reste plus de ressource, ni d’autre issue, que le jugement. L’Église est en voie de devenir «la grande prostituée», la mère de toutes les abominations de la terre qui aura pour fin cette sentence: «Elle est tombée, elle est tombée, Babylone la grande!» (Apoc. 17:1, 5; 18:2.)

Osée prend donc pour femme Gomer, dont la conduite est l’image de celle du peuple. Elle est fille de Diblaïm, qui signifie «double embrassement». Ce nom semble être une allusion. Dès son origine, Israël avait été soumis à deux influences contraires, celle de la chair et celle de la sainteté de Dieu. Un mélange — une chose ni tout à fait bonne, ni tout à fait mauvaise — pouvait-il en être le résultat? Impossible! «La corruption n’hérite pas de l’incorruptibilité».

Le premier fils de Gomer est Jizreël. «Appelle», dit l’Éternel, «son nom Jizreël, car encore un peu de temps et je visiterai le sang de Jizreël sur la maison de Jéhu, et je ferai cesser le royaume de la maison d’Israël; et il arrivera, en ce jour-là, que je briserai l’arc d’Israël dans la vallée de Jizreël» (v. 4). Ce nom rappelle le meurtre, commis par Jéhu, sur Achazia, roi de Juda et ses quarante-deux frères (2 Rois 9-10). Dieu avait approuvé Jéhu en ce qu’il avait fait à la maison d’Achab et lui en avait même accordé la récompense. Ce n’est qu’environ quatre-vingts ans après que nous apprenons ce que Dieu pensait du meurtre des fils de Juda.

Ce principe est très instructif quant aux voies de Dieu. En tant qu’il sert à l’accomplissement des conseils de Dieu, l’homme peut être approuvé de Lui, quels que soient les motifs secrets de son cœur, si toutefois il ne s’oppose pas à cet accomplissement. Mais les motifs secrets qui l’ont fait agir, quand il semblait ne travailler que pour Dieu, seront un jour mis en lumière et la violence ou l’hypocrisie se cachant sous le manteau de l’obéissance n’échapperont pas plus dans le jour du jugement qu’ils n’échappent aujourd’hui à Son regard. Il arrive un temps où la patience de Dieu prend fin. Les motifs du cœur de Jéhu, qu’il savait si bien cacher aux yeux du fidèle Jonadab, en les parant du nom de «zèle pour l’Éternel» (2 Rois 10:15, 16), sont maintenant mis à découvert. Les meilleurs pouvaient s’y tromper, mais on ne trompe pas Dieu. Des années s’écoulent, le jour et l’heure de la rétribution arrivent, lentement peut-être, mais d’un pas certain et inévitable. N’en avait-il pas été de même dans l’affaire de Saül et des Gabaonites; il semblait, après tant d’années, que Dieu eût oublié ce qu’il n’avait pas même enregistré. La famine de trois ans vint détromper Israël (2 Sam. 21).

Le nom de Jizreël est synonyme ici de brisement: l’arc d’Israël (sa puissance) sera brisé dans la vallée de Jizreël. Avec la maison de Jéhu le royaume des dix tribus a cessé virtuellement et Dieu ne tient plus compte de ce qui reste.

Mais la royauté n’était pas seule en question. Dans quel état se trouvait la nation elle-même sous les successeurs de Jéhu? Gomer enfante une fille et Dieu dit: «Appelle son nom Lo-Rukhama (elle n’a pas obtenu miséricorde), car je ne ferai plus miséricorde à la maison d’Israël pour leur pardonner encore» (v. 6). La coupe était comble; à l’égard d’Israël, il n’y avait plus lieu à repentance de la part de l’Éternel; cependant il voulait encore «faire miséricorde à la maison de Juda et les sauver» — ce qu’il avait fait en vain par deux fois, comme nous l’avons vu, à l’égard de la maison d’Israël — car la sentence définitive n’était pas encore prononcée sur la race de David.

Gomer a un second fils. Dieu dit: «Appelle son nom Lo-Ammi (pas mon peuple), car vous n’êtes pas mon peuple et je ne serai pas à vous» (v. 9). Ainsi tout lien avec Dieu est rompu. Israël est rejeté et remarquons que Dieu ne fait plus une exception en faveur de Juda, comme il l’a faite pour Lo-Rukhama. La sentence s’étend ici au delà d’Éphraïm. Dans le moment même où elle est prononcée, les relations vitales de tout le peuple sont déjà rompues. Elles feront bientôt place aux simples voies de la Providence de Dieu, comme nous les voyons au livre d’Esther, jusqu’au jour du rétablissement d’Israël.

Avec cette sentence: «Vous n’êtes pas mon peuple», il semble que tout soit définitivement terminé. Sans doute, si Dieu n’était pas Dieu, et si sa gloire voulait être fondée sur ses jugements au lieu d’être établie sur sa grâce. Dieu est un juge et les pécheurs sont affreusement coupables de n’en pas tenir compte, mais Il est aussi le Dieu des promesses et ces promesses sont sans repentance. On le voit bien ici, au v. 10, à l’égard d’Israël: «Cependant le nombre des fils d’Israël sera comme le sable de la mer, qui ne se peut mesurer ni nombrer». Le prophète, chose remarquable, ne remonte pas aux promesses faites à Jacob (Israël) à Béthel: «Ta semence sera comme la poussière de la terre» (Gen. 28:14) — mais à celles qu’il fit à Abraham à la suite du sacrifice d’Isaac: «Je multiplierai abondamment ta semence... comme le sable qui est sur le bord de la mer» (Gen. 22:17), promesse que Jacob lui-même rappelle à l’Éternel avant de passer le gué de Jabbok: «Tu as dit: Certes, je te ferai du bien et je ferai devenir ta semence comme le sable de la mer, qui ne se peut nombrer à cause de son abondance» (Gen. 32:12). C’est en vertu du sacrifice de Christ que la grâce de Dieu triomphera à la fin, et sur ce sacrifice que l’Éternel établit ses promesses immuables. La loi, venue si longtemps après, ne peut les annuler. Le Dieu des promesses ne peut mentir, ni désavouer Christ, l’Isaac ressuscité, en qui elles sont toutes «Oui et Amen».

Mais le prophète mentionne encore une promesse bien plus merveilleuse que celle du «sable de la mer»: «Et il arrivera que, dans le lieu où il leur a été dit: Vous n’êtes pas mon peuple, il leur sera dit: «Fils du Dieu vivant». Ce passage a trait aux nations et non pas à Israël, comme l’Esprit de Dieu nous l’enseigne en Rom. 9. N’est-il pas remarquable que, sans cet enseignement, nous n’aurions jamais découvert, dans ce verset, la pensée de Dieu au sujet des gentils? En Rom. 9:24-26, l’apôtre cite deux passages d’Osée pour montrer que Dieu a appelé «des vaisseaux de miséricorde... savoir nous, non seulement d’entre les Juifs, mais aussi d’entre les nations». Le premier de ces passages est pris en Osée 2:23: «J’appellerai mon peuple, celui qui n’était pas mon peuple et bien-aimée celle qui n’était point bien-aimée». Ces paroles se rapportent exclusivement à Israël; l’apôtre Pierre, s’adressant à des Juifs convertis, les emploie à leur sujet: «Vous qui autrefois n’étiez pas un peuple, mais qui maintenant êtes le peuple de Dieu; vous qui n’aviez pas obtenu miséricorde, mais qui maintenant avez obtenu miséricorde» (l Pierre 2:10). Pierre montre à ces chrétiens sortis du judaïsme que ce qui était promis pour l’avenir à leur nation, eux le possédaient maintenant; qu’ils avaient le droit de s’appeler le peuple de Dieu, et avaient des relations avec Dieu fondées sur sa grâce gratuite.

Le second passage de Rom. 9 est tiré d’Osée 1:10. C’est celui qui nous occupe: «Il arrivera», dit l’apôtre, «qu’au lieu où il leur a été dit: Vous n’êtes point mon peuple, là ils seront appelés fils du Dieu vivant». Dans l’avenir, les fils d’Israël apprendront que Dieu s’est suscité à leur place un peuple nouveau, ayant un titre nouveau: «Fils du Dieu vivant». Ce nom me semble avoir une portée toute spéciale. Dans l’Ancien Testament le nom du Dieu vivant, du Dieu d’Israël possédant la vie en lui-même, semble être en contraste avec les dieux sans vie, idoles des nations. Dans le Nouveau Testament, Christ est le Fils du Dieu vivant (Matt. 16:16; Rom. 1:4), déclaré tel par la résurrection d’entre les morts. En vertu de cette résurrection et par la descente du Saint Esprit, le chrétien possède la même relation avec Dieu que son Seigneur et Sauveur. Il est fils de Dieu, du Dieu vivant. Telle me semble être la portée de ce passage. Il s’adresse aux nations dont nous faisons partie, et proclame la nouvelle relation dans laquelle elles entreront avec Dieu par un Christ ressuscité. Sans doute le prophète ne va pas jusqu’au mystère de l’Église, inconnu de l’Ancien Testament, mais nous pouvons dire que ce mystère est caché ici dans ces mots: «le Dieu vivant», titre connu de tous les prophètes, mais révélé ici pour le temps futur où, sur lui, le Seigneur bâtira son Assemblée.

«Et les fils de Juda et les fils d’Israël se rassembleront, et s’établiront un chef, et monteront du pays; car la journée de Jizreël est grande» (v. 11). De la bénédiction des nations, le prophète passe au rassemblement futur de tout Israël. Juda, avec lequel Dieu patientait encore, devait être dispersé après les dix tribus, mais il n’en sera pas toujours ainsi. Si le but de la croix, de rassembler en un les enfants de Dieu dispersés, a échoué quant à Israël, le temps viendra où ce dessein s’accomplira. Juda et Israël (ou les dix tribus) s’établiront un seul chef; ils reconnaîtront ensemble la seigneurie du Christ que Juda avait rejeté. Alors ces frères ennemis vivront unis avec leur Chef, souverain sacrificateur et Roi sur son trône, devenu désormais leur Conducteur. Ils «monteront du pays». Le sens de cette parole me paraît être qu’ils monteront de la terre de Canaan comme une moisson abondante, car, ajoute immédiatement le prophète, «la journée de Jizreël est grande». Alors Jizreël, lieu du massacre et de la rétribution (v. 5), recevra sa vraie signification: «Dieu sème» (cf. 2:23). Il sème et la moisson lèvera, mais seulement après que le jugement du peuple aura été consommé. Dès que la journée de Jizreël est introduite par Dieu lui-même, elle ne peut être qu’en bénédiction; où Lui a semé, la moisson ne peut être qu’infiniment grande. Autrefois, sous Jéhu, l’homme avait semé, et récolté la tempête; mais quand Dieu sèmera il récoltera un peuple bien uni, le fruit mûr de son œuvre, rassemblé sous un Chef divin. Alors on pourra dire, en effet: La journée de Jizreël est grande!1

1 C’est du moins l’explication que je propose de ce passage qui a reçu plusieurs interprétations. Voir pour la même signification du mot monter: chap. 10:8. S’établir un chef et monter ne se lient point, selon moi, dans ce passage.

Nous avons donc trouvé dans ce chapitre un résumé important du passé et de l’avenir d’Israël et de Juda. Toute la prophétie de l’Ancien Testament y est condensée en quelques mots. Les promesses de Dieu; le peuple sous la loi abandonnant l’Éternel; le jugement qui en est la conséquence; la rupture de toute relation entre Dieu et le peuple; la cessation de ses voies de miséricorde envers lui; l’alliance légale ayant été rompue par Israël; — l’entrée des nations dans les bénédictions de la nouvelle alliance, comme fruit de la résurrection du Christ qu’Israël avait rejeté, — mais ensuite la reprise des relations de Dieu avec Israël, lorsque le Christ ressuscité devient Chef de son peuple, le réunit en un après sa dispersion, et fait lever une moisson abondante sur la terre renouvelée.