Lamentations

Chapitre 3

Ce chapitre est le chapitre central des Lamentations. Un homme, Jérémie, y représente le peuple. C’est lui que nous avons entendu parler dans les premiers chapitres, mais il se présente ici comme portant tout seul dans son âme le jugement de Dieu à la place de Jérusalem. Cela est d’autant plus frappant que les versets 1 à 18 de notre chapitre sont comme le pendant des versets 1 à 10 du chapitre 2 où Jérémie annonçait ce que l’Éternel, dans sa colère, avait fait contre la ville; tandis qu’il montre ici que toute cette colère est tombée sur lui, comme chargé de l’iniquité de Jérusalem. En lisant ce chapitre, les pensées se portent nécessairement sur Christ dont Jérémie est le type, car ici le prophète s’identifie avec son peuple et subit, quoiqu’innocent, le jugement de Dieu qui était dû à ce dernier. Il reconnaît avoir l’Éternel pour adversaire. Il ne parle pas de l’injustice de l’ennemi, lui qui toute sa vie avait eu à subir l’injustice de son peuple et de ses conducteurs. La demande de vengeance ne vient que tout à la fin du chapitre quand la question de la substitution a été complètement résolue.

La division de ce chapitre est assez frappante, quoique peut-être un peu moins manifeste que dans les chapitres précédents. Chaque section répond au mot initial. 1° «Je suis l’homme» (v. 1-18). 2° «Souviens-toi» (v. 19-39). 3° «Recherchons nos voies» (v. 40-54). 4° «J’ai invoqué ton nom» (v. 55-63) et 5° «Rends-leur» (v. 64-66); demande de vengeance qui n’a lieu que lorsque tout est réglé avec Dieu (voyez Ps. 69:22-28).

 

Première division — versets 1-18

La parole: «Je suis l’homme» domine cette section et de fait le chapitre tout entier. Jérémie est là portant dans son cœur tout le poids de la colère de Dieu contre Jérusalem. Ici comme au chapitre 2:1-10, c’est Dieu qui a tout fait; aussi, voyons-nous dans ces deux passages le mot Il revenir constamment, mais avec cette différence que dans le second Dieu fait peser tout le poids de sa colère sur le juste et non sur les coupables. Aussi Jérémie devient-il ici le type frappant de Christ. N’est-ce pas de Jésus que Pilate dit, en le présentant aux foules: «Voici l’homme» (Jean 19:5)? N’est-ce pas Jésus qui est «la risée de tout son peuple, leur chanson tout le jour» (v. 14)? N’a-t-il pas dit: «Tous ceux qui me voient se moquent de moi» et: «Je sers de chanson aux buveurs» (Ps. 22:7; 69:12)? N’a-t-il pas dit encore: «À cause de ton indignation et de ta colère, car tu m’as élevé haut, et tu m’as jeté en bas» (Ps. 102:10)? Cette pensée: «Même quand je crie et que j’élève ma voix, il ferme l’accès à ma prière» (v. 8) n’est-elle pas la parole même de Christ sur la croix: «Mon Dieu, je crie de jour, mais tu ne réponds point» (Ps. 22:2); n’est-elle pas ce «Réponds-moi» angoissé du Ps. 69 auquel il n’y a pas de réponse (v. 13, 16, 17)? Ainsi, de verset en verset, on suit ici la voie de l’homme de douleurs. Oui, un homme a pris cette place, rempli d’un profond amour pour Jérusalem coupable. Après avoir été introduit dans ce monde comme objet spécial de toute la faveur de Dieu, il a consenti à être traité comme le peuple infidèle, lui qui méritait la première place, et qui l’avait dans les conseils de Dieu, lui, devant qui les êtres les plus purs s’inclinaient dans une ineffable adoration!

Il va sans dire que Jérémie n’est ici qu’un type imparfait de Christ; comme créature, il est obligé de faire des expériences pour lui-même; il s’effraie, il craint, il doute; il va jusqu’à dire: «Ma confiance est périe et mon espérance en l’Éternel» (v. 18). Il n’a aucun droit de penser que Dieu changera, à cause de lui, ses voies envers Jérusalem, quoiqu’il ait conscience de son intégrité personnelle, mais prenant la place de cette cité, il proclame subir, lui juste, un jugement mérité.

D’autre part, si ces versets nous présentent le prophète, soit comme homme, soit comme type de Christ, ils nous parlent aussi des sentiments du Résidu juif intègre de la fin, traversant la «détresse de Jacob» et dont le sort de Jérusalem sous Nebucadnetsar, quelque terrible qu’il soit, n’est qu’une faible image. Ce Résidu sera exposé, comme ici le prophète, à toute la colère gouvernementale de son Dieu, jusqu’à voir périr son espérance en l’Éternel, mais il reconnaîtra, comme Jérémie, que toute cette affliction vient de Lui, sans en comprendre tout d’abord le pourquoi et il trouvera dans la suite de ses expériences que le Messie a traversé les mêmes afflictions pour le délivrer, rôle que Jérémie ne pouvait remplir à l’égard de Jérusalem. Aussi retrouve-t-on dans ce passage beaucoup des expériences de Job (voyez, par exemple, Job 19:6-12; 30:21, 30) et souvent avec les mêmes termes que dans notre chap. 2:1-10; seulement Job, n’ayant jamais fait l’expérience de lui-même, exprime ces choses avec le sentiment de sa justice, qu’il devra abandonner et juger à la fin. Jérémie ne cherche pas à réagir contre le jugement, car il ne se pose pas en juste ses sympathies pour son peuple l’y font entrer il épuise la coupe d’amertume sans mettre même en question si le jugement qu’il porte est immérité.

 

Seconde division — versets 19-39

Le pourquoi de l’affliction, à l’état jusqu’ici d’énigme pour l’âme, va lui être révélé dans cette division de notre chapitre.

«Souviens-toi de mon affliction, et de mon bannissement, de l’absinthe et du fiel» (v. 19).

Devant toute la misère exprimée dans les versets 1 à 18, le prophète s’adresse à Celui qui le frappe et dans lequel il n’a plus le droit d’espérer. Un tel appel est une parole de foi. «Souviens-toi» disait le brigand converti au moment d’expirer sur la croix. «Souviens-toi», dit ici le prophète. «Souviens-toi», diront les justes au milieu des détresses de la fin. «Souviens-toi de David», s’écrieront-ils, trouvant que toute leur bénédiction ils la doivent au vrai David à cause de l’affliction qu’il a endurée pour eux (Ps. 132:1).

«Mon âme s’en souvient sans cesse, et elle est abattue au-dedans de moi» (v. 20). Si l’âme demande à Dieu de se souvenir de son affliction, il n’y a pas un moment où, plongée dans l’abîme de la douleur, elle ne s’en souvienne elle-même.

Mais voici qu’au verset 21 tout change. L’espérance perdue (v. 18) renaît. «Je rappelle ceci à mon cœur, c’est pourquoi j’ai espérance»; et la première raison pour espérer, il la trouve au verset 22: «Ce sont les bontés de l’Éternel que nous ne sommes pas consumés». Si Dieu n’était pas bon, il y a longtemps qu’Israël n’existerait plus. Chaque croyant dans chaque nation éprouvée ne devrait-il pas dire aujourd’hui ces mêmes paroles? Dieu avait fait connaître cette vérité à Moïse dans l’aventure miraculeuse du buisson que le feu ne consumait pas (Ex. 3:2). Ce fait se renouvelle chaque jour: «Car ses compassions ne cessent pas; elles sont nouvelles chaque matin». Cependant l’Éternel ne pouvait plus se révéler à Moïse comme le feu qui ne consume pas, après qu’Israël, ayant fait le veau d’or, avait mérité que la colère de Dieu s’embrasât contre lui et le consumât (Ex. 32:10); mais ensuite, après l’intercession du Médiateur, Dieu se révéla de nouveau comme ‘le Dieu «miséricordieux et faisant grâce, lent à la colère et grand en bonté et en vérité, gardant la bonté envers des milliers de générations, pardonnant l’iniquité, la transgression et le péché» (Ex. 34:6, 7). Quelque grands que soient ses jugements, ne l’oublions pas, «grande est sa fidélité» et jamais il ne révoque ses promesses. Aussi l’âme du croyant s’écrie: «L’Éternel est ma portion... c’est pourquoi j’espérerai en Lui» (v. 24). «Son espérance était périe», quand il se trouvait en présence des conséquences terribles de son péché, de la colère de Dieu; et il était bon pour lui de descendre dans ce gouffre; mais cette espérance renaît quand la bonté de l’Éternel, essence même de son Être, lui est révélée. Ayant désormais l’Éternel pour sa part, son espérance continuera à s’attacher à lui.

Versets 25-27: «L’Éternel est bon pour ceux qui s’attendent à lui, pour l’âme qui le cherche. C’est une chose bonne qu’on attende, et dans le silence, le salut de l’Éternel. Il est bon à l’homme de porter le joug dans sa jeunesse». L’âme, placée devant la bonté de Dieu, reconnaît que cette bonté se manifeste envers tous ceux qui s’attendent à Lui et le cherchent. Coupable, elle n’a plus, souvenons-nous-en, l’orgueilleuse prétention d’être à l’exclusion des autres, un objet spécial de la faveur de Dieu. Quelle actualité dans cette pensée!

Elle reconnaît en outre que deux choses sont bonnes pour l’âme du croyant: 1° attendre dans le silence le salut de l’Éternel. C’est la soumission sans murmure à la volonté de Dieu, la certitude qu’au moment voulu l’Éternel donnera la délivrance, non selon nos pensées ou conformément à nos désirs, mais selon Sa volonté qui est bonne, agréable et parfaite. Combien de progrès nous pouvons constater ici! Dans les dix-huit premiers versets le prophète criait, répandait en plaintes ses angoisses, parlait de Dieu comme de son ennemi dont il était séparé à toujours, avait enfin perdu tout espoir. Ici, reconnaissant la bonté de Dieu, il estime qu’il y a une chose bonne dans l’épreuve, c’est qu’elle exerce la patience, la soumission, l’humble confiance en Lui, et nourrit l’espérance dans le cœur.

2° Une autre chose encore est bonne. Qui le croirait? C’est «de porter le joug dans sa jeunesse». La dépendance est bonne. C’était pour la dépendance que l’homme avait été créé, par la dépendance que son bonheur était assuré. Le premier matin de sa vie devait être caractérisé par elle. Il n’était pas né libre, comme son orgueil l’a toujours prétendu et le prétend encore aujourd’hui; il était né dépendant. Ce joug de la soumission à la volonté d’un Dieu bon était aisé. Sous l’instigation de Satan, l’homme a voulu être indépendant et est tombé dans un malheur sans nom. Ce principe est illustré dans nos enfants. Dieu leur impose, dans la jeunesse, l’autorité paternelle. C’est une chose bonne pour eux; c’est une autorité qui ne cherche que leur bien, qui, par la soumission et l’obéissance, donne une direction à leur vie; et quand l’autorité du père a terminé son rôle passager envers notre enfant, il reste encore, comme homme, sous l’autorité du Père céleste, souverainement bon, souverainement juste. Cette bonté use de discipline envers nous afin que nous participions à la sainteté de Dieu dans notre marche. Le Seigneur, lui, n’avait pas besoin de discipline, parce qu’il n’avait d’autre volonté que celle de son Père. Et cependant, dès le début de sa carrière, il avait été opprimé par les hommes qui avaient «tracé leurs longs sillons sur son dos», et lui n’avait pas ouvert sa bouche. Il pouvait dire: «L’homme m’a acquis comme esclave dès ma jeunesse». Ce joug, son amour l’a porté, le porte et le portera éternellement, car c’est le joug de l’amour, joug dont il est venu se charger, lui, le Créateur. Il a refait l’histoire de l’homme, de son plein gré, pour nous sauver. Nous avons à réapprendre cette dépendance en le suivant.

Versets 28-30: «Il est assis solitaire, et se tait, parce qu’il l’a pris sur lui; il met sa bouche dans la poussière: peut-être y aura-t-il quelque espoir. Il présente la joue à celui qui le frappe, il est rassasié d’opprobres».

Description merveilleuse de ce que Christ fut et de ce qu’il a fait! Portrait de l’homme parfait dans son abaissement! Comme Israël dont il est dit: «Il habitera seul» (Nomb. 23:9), ainsi était le Christ, le vrai -Israël. Il était entièrement séparé du monde pour Dieu; il fut appelé hors d’Égypte pour être seul avec l’Éternel. Il était le vrai Lévite, le vrai Nazaréen, entièrement sanctifié. Mais de plus, le monde le laissait seul dans son œuvre de grâce (Jean 8:9). Il n’avait que Dieu; il disait: Je veille et je suis comme un passereau solitaire dans le lieu de la prière (Ps. 102:7). Il est encore représenté comme «assis solitaire», étranger à leur joie parce qu’il ne connaissait que l’allégresse et la joie de la communion avec son Père, mais solitaire aussi dans son indignation et le juste jugement du mal qui outrageait son Dieu (Jér. 15:17). Puis arriva le moment où, pour accomplir son œuvre de grâce, Dieu lui-même le laissa seul et le rejeta loin de Lui. Lui, le Saint et le Juste, fut atteint du sort du lépreux qui «habite seul et dont l’habitation est hors du camp» (Lév. 13:46); non pas, comme ont osé le dire des hommes profanes, qu’il fût tenu comme lépreux pendant sa vie, mais il le fut dans la mort. C’est là qu’il fut seul, absolument seul, personne ne pouvant l’y suivre, chargé de toute la lèpre de son peuple, fait péché, afin de nous sauver!

«Il se tait», dit notre passage; il prend la place des anciens d’Israël sous le jugement (2:10). Il garde le silence à cause du péché du peuple (Jér. 8:14). Il se tait «parce qu’il l’a pris sur lui»: qu’il s’en est chargé (És. 53:4). De même Ésaïe 63:9 nous dit qu’il s’est «chargé d’eux». Il s’agit ici du salut, du rachat sur la croix.

«Il met sa bouche dans la poussière: peut-être y aura-t-il quelque espoir.» Le voici représentant le peuple, prenant l’attitude de la plus profonde humiliation, sans prononcer une parole. Le seul espoir peut lui venir du Dieu dont il porte le jugement.

«Il présente sa joue à celui qui le frappe, il est rassasié d’opprobres.» C’est aussi ce qu’Ésaïe dit du Christ: «J’ai donné mon dos à ceux qui frappaient et mes joues à ceux qui arrachaient le poil; je n’ai pas caché ma face à l’opprobre et aux crachats» (És. 50:6).

Ces versets nous parlent de Christ dont Jérémie est une faible image, tandis que les dix-huit premiers versets ne nous parlaient que de Dieu dans sa justice. Ils nous montrent comment en Christ le Dieu juste peut avoir compassion. Du moment que le prophète a parlé de porter le joug dès sa jeunesse, ses pensées s’attachent à Celui qui a pris cette place pour l’homme, afin de lui acquérir le salut de l’Éternel.

Toute cette suite de pensées est très belle. Nous voyons d’abord la colère de Dieu (v. 1-18); ensuite le jugement de soi et l’espérance en Sa bonté; enfin le moyen par lequel cette bonté a pu s’exercer en notre faveur. La manière abrupte dont le Seigneur est présenté ici rappelle Zacharie 13:1-6: «Il dira: je ne suis pas prophète», seul remède à l’état désespéré du peuple quand tous ses prophètes ont failli.

Versets 31-33: «Car le Seigneur ne rejette pas pour toujours; mais s’il afflige, il a aussi compassion, selon la grandeur de ses bontés; car ce n’est pas volontiers qu’il afflige et contriste les fils des hommes».

La personne de Christ ayant été présentée dans la solitude de ses souffrances, dans l’opprobre de la part des hommes, dans l’abandon de la part de Dieu, les versets que nous venons de lire nous montrent que c’est par ce chemin-là que le Seigneur ouvre aux pécheurs la porte de sa miséricorde et de ses compassions. La grandeur de ses bontés dépasse la grandeur de ses jugements et s’il afflige cela ne fait que prouver son amour envers les hommes.

D’autre part, versets 34-36: «Qu’on écrase sous les pieds tous les prisonniers de la terre, qu’on fasse fléchir le droit d’un homme devant la face du Très haut, qu’on fasse tort à un homme dans sa cause, le Seigneur ne le voit-il point?» S’il fait grâce, Sa justice n’en est nullement amoindrie. Il voit tout. Combien cela est réconfortant pour le fidèle en des jours tels que les nôtres! Quand notre cœur s’indigne de voir écraser sous les pieds de pauvres prisonniers, de voir ceux qui se servent du nom du Très haut et prétendent agir pour Lui, commettre l’injustice, ne fût-ce qu’envers un seul homme (peut-être envers tout un peuple), condamner, ne fût-ce qu’un seul homme injustement, ne tenant nul compte de ses droits... Dieu voit tout cela. Le croyant n’a qu’à s’en remettre à Lui.

Versets 37-39. «Qui est-ce qui dit une chose, et elle arrive, quand le Seigneur ne l’a point commandée? N’est-ce pas de la bouche du Très haut que viennent les maux et les biens? Pourquoi Lin homme vivant se plaindrait-il, un homme, à cause de la peine de ses péchés?»

Aucune chose n’arrive, et combien il est important de s’en souvenir sans cesse, aucun dessein de l’homme ne réussit, si le Seigneur ne l’a ordonné. Il parle, et lui seul peut faire arriver les maux ou les biens avec une seule parole. Si le mal atteint l’homme pécheur, a-t-il le droit de se plaindre? N’y a-t-il pas une rétribution, même ici-bas, selon le gouvernement de Dieu, pour les péchés des hommes?

Toutes ces réflexions découlent ici du fait que l’âme, autrefois ignorante du vrai caractère de Dieu, parce qu’elle ne voyait en Lui qu’un juge, a appris à le connaître comme ayant révélé, en Christ, l’harmonie absolue entre sa haine contre le péché et son amour pour le pécheur.

 

Troisième division — versets 40-54

Ce passage présente le travail de repentance dans les cœurs qui ont vu Christ prenant la place du pécheur pour le sauver, aussi peut-il être assimilé aux paroles du brigand sur la croix: «Nous y sommes justement, parce que nous recevons ce que méritent les choses que nous avons commises».

Versets 40-42. «Recherchons nos voies, et scrutons-les, et retournons jusqu’à l’Éternel. Élevons nos cœurs avec nos mains vers Dieu dans les cieux. Nous avons désobéi et nous avons été rebelles; tu n’as pas pardonné».

«Recherchons nos voies»: C’est une résolution prise en commun de se juger, non pas superficiellement, mais avec tout le sérieux que comporte une vraie repentance, avec une conscience scrutée jusque dans ses replis les plus cachés. C’est le prélude du retour à l’Éternel, d’une conversion réelle. Dès lors le cœur est libre de s’adresser à Dieu et de le supplier. Élihu présente à Job la même vérité «Il suppliera Dieu, et Dieu l’aura pour agréable et il verra sa face avec des chants de triomphe... et dira: J’ai péché et j’ai perverti la droiture, et il ne me l’a pas rendu» (Job 33:26, 27); seulement ici, le «Tu ne me l’as pas rendu» d’Élihu manque encore; les croyants humiliés disent an contraire: «Tu n’as pas pardonné»; ils reconnaissent que Dieu est juste et ne pardonnant pas.

Remarquez ici le «tu». Quelle différence entre les tu de ces versets et les il du commencement du chapitre, prononcés par le prophète seul et ne contenant, au verset 17, qu’un seul «tu» («Tu as rejeté mon âme»), pour montrer que, malgré le jugement, le seul juste qu’il y eût alors au milieu du peuple restait en rapport avec Dieu. Quelle différence surtout avec les «il» du peuple coupable auquel l’Éternel avait caché sa face (2:1-10).

Au verset 42, comme aux versets 43-45, le «tu» indique donc la confiance retrouvée au milieu même des jugements:

«Tu t’es enveloppé de colère et tu nous as poursuivis; tu as tué, tu n’as point épargné. Tu t’es enveloppé d’un nuage, de manière à ce que la prière ne passât point. Tu nous as fait la balayure et le rebut au milieu des peuples.»

Tout en parlant à Dieu de ses voies passées, ils ne connaissent pas encore la délivrance. Ils disent: «Tu t’es enveloppé d’un nuage, de manière à ce que la prière ne passât point», au moment même où leur prière passe et où leurs cœurs s’élèvent à Dieu dans les cieux. Nous avons remarqué plus haut ce double nuage, conséquence du jugement de Dieu, d’abord étendu sur le peuple pour qu’il fût aveuglé sous le jugement (2:1), puis Dieu lui-même s’en enveloppant pour que la prière n’arrivât point jusqu’à lui. Les nations chrétiennes ne sont-elles pas aujourd’hui sous un jugement semblable? Ici (versets 42-47), le peuple a reconnu devant Dieu sa désobéissance, la colère qui en est la suite, toutes les afflictions qui en sont la conséquence.

Aux versets 48-51, Jérémie reprend la parole:

«Des ruisseaux d’eau coulent de mes yeux à cause de la ruine de la fille de mon peuple. Mon œil se fond en eau; il ne cesse pas et n’a point de relâche, jusqu’à ce que l’Éternel regarde et voie des cieux. Mon œil afflige mon âme à cause de toutes les filles de ma ville». Le prophète qui seul avait sondé jusqu’au fond le péché de Jérusalem et la colère de Dieu contre cette ville rebelle, est capable aussi de sonder la profondeur de son affliction. Ses larmes coulent sans répit comme elles le faisaient déjà en 2:11; mais ainsi qu’il l’a dit plus haut (v. 21) il a espérance, et il n’aura pas de relâche dans sa douleur jusqu’à ce que l’Éternel, vers lequel le peuple élève maintenant son cœur et ses mains, ait jeté des cieux un regard de compassion sur les affligés. Cette espérance est fondée sur ce que le prophète, l’homme saint et intègre, qui intercède en faveur du peuple a subi les mêmes angoisses que les coupables.

Il fait, aux versets 52-54, la description de ce qu’il a enduré et là encore nous rencontrons Celui dont Jérémie n’est que le représentant imparfait et qui a subi la colère de Dieu sans autre motif que l’amour divin qui le faisait prendre la place des coupables pour les délivrer:

«Ceux qui sont mes ennemis sans cause m’ont donné la chasse comme à l’oiseau. Ils m’ont ôté la vie dans une fosse, et ont jeté des pierres sur moi. Les eaux ont coulé par-dessus ma tête; j’ai dit: Je suis retranché». Nous retrouvons ici toutes les douleurs de Christ exposées si souvent dans les Psaumes: «Ceux qui me haïssent sans cause sont plus nombreux que les cheveux de ma tête» (Ps. 69:4). «Ils ont préparé un filet pour mes pas, mon âme se courbait; ils ont creusé devant moi une fosse» (Ps. 57:6). «Toutes tes vagues et tes flots ont passé sur moi» (Ps. 42:7). «Tu m’as jeté dans l’abîme, dans le cœur des mers, et le courant m’a entouré... les eaux m’ont environné jusqu’à l’âme» (Jon. 2:4, 6). «Je disais dans mon agitation: Je suis retranché de devant tes yeux» (Ps. 31:22) et enfin, dernière parole: «À cause de la transgression de mon peuple, Lui a été frappé» (És. 53:8).

 

Quatrième division — versets 55-63

Ici nous trouvons de nouveau Jérémie, type de Christ qui s’adresse à Dieu dont, à l’exception des heures de ténèbres, il a toujours goûté la communion. Aussi peut-il lui dire tu bien mieux et bien plus complètement que le Résidu, convaincu de péché, mais voyant se déchirer le voile, ne pouvait le faire aux versets 42-45. Il passe de la terrible constatation: «Je suis retranché» à l’heureux cantique de la délivrance. Dieu a répondu à la supplication des coupables: Lui qui n’avait pas pardonné, pardonne maintenant à cause de Christ. L’enchaînement des pensées dans ce chapitre est merveilleux: on y voit d’abord le prophète réalisant dans son âme le jugement du peuple et reconnaissant que ce jugement est juste, puis remplacé par un plus juste que lui, car Jérémie, quelque intègre qu’il fût, ne pouvait obtenir la délivrance pour d’autres. Ensuite on y entend la confession des péchés, fruit de l’œuvre produite dans le cœur et la conscience du Résidu; celui-ci crie à Dieu, mais sans avoir encore reçu le pardon. Enfin on trouve Christ, subissant le jugement afin d’être exaucé et de pouvoir dire pour les coupables, comme il le fait au Psaume 22: «Tu m’as répondu d’entre les cornes des buffles».

Versets 55-58. «J’ai invoqué ton nom, ô Éternel! de la fosse des abîmes. Tu as entendu ma voix; ne cache point ton oreille à mon soupir, à mon cri. Tu t’es approché au jour que je t’ai invoqué; tu as dit: Ne crains pas. Seigneur, tu as pris en main la cause de mon âme, tu as racheté ma vie»,

Quelle concordance frappante avec la prière de Jonas! Celui dans lequel s’opère le travail de repentance et de restauration voit ici la manière dont son Substitut a été exaucé. «Je t’ai invoqué des lieux profonds» (Ps. 130:1), disait le Résidu affligé, mais il entend Christ qui a pris sa place sous le jugement de Dieu, dire les mêmes paroles afin de le délivrer: «J’ai invoqué ton nom, ô Éternel! de la fosse des abîmes» (v. 55). «J’ai crié à l’Éternel, dit Jonas, du fond de ma détresse, et il m’a répondu. Du sein du shéol j’ai crié; tu as entendu ma voix» (Jonas 2:3). Christ a été entendu, son Dieu s’est approché de Lui, a ôté toute crainte de son cœur, a pris en main sa cause, a racheté sa vie hors du pouvoir de la mort! Quelle assurance cela donne à la cité plongée dans la détresse, et au cœur du prophète lui-même qui en avait partagé les douleurs! Un homme a invoqué l’Éternel et celui-ci a entendu ses supplications!

Maintenant, jugé et restauré, le Résidu peut remettre sa juste cause entre les mains de l’Éternel: «Tu as vu toute leur vengeance, toutes leurs machinations contre moi. Tu as entendu leurs outrages, ô Éternel! toutes leurs machinations contre moi, les lèvres de ceux qui s’élèvent contre moi, et ce qu’ils se proposent contre moi tout le jour» (v. 59-62). Si Dieu a effacé par l’œuvre de Christ toutes les iniquités de Jérusalem, il n’oublie pas la haine des ennemis contre elle. «C’est une chose juste devant Dieu», qu’il rende la tribulation à ceux qui ont fait subir la tribulation à son peuple (2 Thess. 1:6), et, comme le dit notre prophète: «L’Éternel, le Dieu des rétributions, rend certainement ce qui est dû» (Jér. 51:56). Aussi le croyant, certain déjà que l’Éternel regarde des cieux (v. 50), peut lui dire maintenant une dernière fois: «Regarde quand ils s’asseyent et quand ils se lèvent: je suis leur chanson» (v. 63). Jusqu’ici il répétait en vain: «Regarde mon affliction», «Regarde ma détresse», «Regarde à qui tu as fait ainsi» (à ton peuple, aux femmes, aux enfants, aux vieillards); sans obtenir de réponse. Maintenant la réponse a été donnée à Celui qui est entré dans la mort par amour pour son peuple. Elle est devenue la part de tous ceux qui ont cru, mais cette réponse s’étend aussi au jugement des méchants.

 

Cinquième division — versets 64-66

Au chapitre premier, verset 22, Jérusalem criait à Dieu: «Fais-leur comme tu m’as fait», mais le ciel était sourd à sa plainte; maintenant elle sait que la rétribution est proche: «Rends-leur une récompense, ô Éternel! selon l’ouvrage de leurs mains. Donne-leur un cœur cuirassé; ta malédiction soit sur eux! Poursuis-les dans ta colère et détruis-les de dessous les cieux de l’Éternel» (v. 64-66). — Cela est juste. Aussi voyons-nous le Messie souffrant prononcer de telles paroles (Ps. 40:14, 15; Ps. 69:22-28). C’est la question de la Rétribution, si familière au prophète Jérémie et si importante dans les voies gouvernementales de Dieu, mais qui ne modifie nullement les conseils éternels de Sa grâce.