Lamentations

Henri Rossier

Introduction

Les Lamentations sont d’une telle actualité pour les jours douloureux que nous traversons1, qu’il nous a semblé bon de les donner comme appendice à nos études sur les petits prophètes. Une des choses qui nous paraît constituer l’importance spéciale et la portée morale de ce livre, c’est qu’il a autant de valeur pour les croyants que pour les non-croyants. Les croyants qui traversent aujourd’hui des épreuves sans exemple dans l’histoire du monde sont appelés, par les douleurs qui fondent sur eux, à considérer leurs voies, à se repentir et à attendre la délivrance du Dieu seul qu’ils ont si souvent déshonoré par leur conduite; les non-croyants, rencontrant «les jugements de Dieu qui sont sur la terre», peuvent y apprendre la justice et reconnaître que ces jugements sont mérités (És. 26:9). Ils sont ainsi appelés à venir, par le chemin de la repentance, confesser leurs péchés à Celui qu’ils ont offensé, mais qui, bien loin de les rejeter pour toujours, se fait connaître à eux comme le Dieu Sauveur.

1 Première édition: 1918.

Que nous soyons croyants ou non-croyants, le jugement de nous-mêmes est souvent graduel, comme nous le verrons dans la suite de ce livre, et ce n’est qu’après une longue préparation que l’âme peut dire: «Je t’ai fait connaître mon péché» et: «Contre toi, contre toi seul, j’ai péché» (Ps. 32 et 51).

Sans vouloir anticiper sur ce qui se déroulera devant nous, à mesure que nous avancerons dans l’étude de ces chapitres, qu’il nous soit permis de dire quelques mots sur la portée historique et prophétique, ainsi que sur la structure de ce livre.

Les Lamentations ont été prononcées au sujet d’un événement historique: la prise et la destruction de Jérusalem par les armées de Nebucadnetsar. Dans ce sens, leur sujet n’est nullement prophétique; elles nous font assister au travail de cœur et de conscience par lequel Jérusalem humiliée doit passer pour arriver, à travers une terrible détresse, à son relèvement. Mais ce but fut-il atteint? L’histoire ne nous montre rien de pareil, malgré la restauration partielle de Juda dont parlent Esdras et Néhémie, restauration qui eut pour épilogue le rejet final du Messie. C’est alors que l’Esprit prophétique intervient pour nous montrer comment, malgré tout, Dieu atteindra son but de grâce. Ce peuple que l’Éternel a rejeté traversera une détresse pire même que celle des Lamentations jusqu’à ce qu’il atteigne sa restauration finale. Un homme, Jérémie, a sondé prophétiquement cette détresse, a porté seul dans son âme tout le poids du jugement de Dieu, quand Jérusalem ne le sentait qu’imparfaitement. Il devient ainsi, comme il l’est du reste dans tout le grand livre de sa prophétie, le type de Christ, traversant en sympathie les souffrances du Résidu juif de la fin, souffrances qui ont fondu sur lui, le Messie, lors des angoisses de Gethsémané.

Jérusalem est le sujet exclusif des Lamentations. La calamité, ordonnée de Dieu, atteint cette ville, dont Il avait déclaré qu’il aimait ses portes plus que toutes les demeures de Jacob. N’était-elle pas le centre des bénédictions que Dieu, dans sa faveur, avait accordées à son peuple? On comprend ainsi la cause des larmes intarissables qui sont versées dans ce livre. Jusqu’alors les jugements de Dieu avaient atteint d’abord les dix tribus, puis Juda et la royauté; mais maintenant ils atteignaient le centre même de l’existence, de toute la raison d’être d’Israël, centre établi de Dieu, sa cité, son trône, son temple et son autel. L’Éternel détruisait lui-même ce qu’Il avait établi, le lien formé entre Lui et son peuple, les témoignages de sa présence, les signes de sa faveur et de son choix, le siège de son gouvernement temporel et spirituel, le lieu même des bénédictions d’Israël! Cela étant, tout semblait fini. Dieu renversait ce qu’Il avait édifié et donnait ainsi la Preuve qu’il fallait désormais abandonner toute espérance de maintien ou de restauration.

Tel est le sujet des Lamentations. Mais, tout à la fin, Dieu fait luire un rayon d’espoir. Cette désolation amène le prophète, représentant du peuple, à reconnaître le juste jugement de Dieu, et combien il est mérité. C’est le point de départ d’une repentance pareille à celle de Jérusalem en Zacharie 12. À cette repentance, partielle si elle fut exprimée historiquement dans les Lamentations, Dieu donna une réponse, partielle aussi, par la restauration sous Esdras et Néhémie, mais la repentance générale des derniers jours est encore à venir, car, nous l’avons dit, malgré leur caractère historique tout spécial, les circonstances mentionnées ici se renouvelleront au temps de la fin.

S’il est d’une part un type de Christ, Jérémie lui-même, en personne, représente tout du long le Résidu juif souffrant, qui traverse la tribulation, confesse son péché pour s’en repentir, et peut dire, précisément parce qu’il est un intègre témoin de Dieu au milieu de l’apostasie générale: «Je suis l’homme», et porter le poids des péchés du peuple; parce qu’il en fait partie. Sous l’accablement de sa ruine, Jérusalem pouvait trouver quelque réconfort dans le fait que son prophète s’était mis à la brèche pour elle; mais les fidèles de la cité éprouvée trouveront à bien plus forte raison ce soulagement au temps de la fin quand ils reconnaîtront que leur Messie avait pris cette place. Ils puiseront dans cette pensée l’espérance de leur délivrance.

Tout cela est développé progressivement dans les Lamentations, depuis le sentiment de la désolation amenée sur Jérusalem par sa propre faute, jusqu’à la pleine repentance et à la promesse du retour de la faveur de Dieu1.

1 Le contenu prophétique des Lamentations peut être résumé par cette parole du même prophète: «C’est le temps de la détresse pour Jacob, mais il en sera sauvé» (Jér. 30:7). Quant à Jérémie personnellement, on voit se réaliser à son égard la promesse qui lui avait été faite: «Je suis avec toi pour te sauver et pour te délivrer, dit l’Éternel; et je te délivrerai de la main des iniques et te rachèterai de la main des violents» (Jér. 15:20, 21). Vrai type de Christ, ayant tout traversé dans son amour pour sa nation, il a été «sauvé à cause de sa piété»!

Ces remarques préliminaires ne seraient pas complètes si elles ne nous amenaient pas à considérer la forme extérieure des Lamentations et à rechercher le but de cette construction.

Cette forme est bien connue. Les Lamentations se composent de cinq complaintes formant autant de chapitres. Les chapitres 1, 2 et 4 ont chacun vingt-deux versets, dont le premier mot commence par une lettre suivant l’ordre des vingt-deux lettres de l’alphabet hébraïque. Le chapitre 5 a le même nombre de versets, mais sans la lettre hébraïque initiale. Il nous sera facile de découvrir à l’occasion la raison de cette anomalie. Enfin le chapitre 3, qui forme le centre de la composition, contient non pas vingt-deux, mais soixante-six versets. Chaque verset d’un groupe de trois commence par la même lettre initiale, en sorte que l’ordre alphabétique des chapitres 1, 2 et 4 y est maintenu trois fois vingt-deux fois. On rencontre au Psaume 119 une construction analogue, à part le fait que la lettre initiale, au lieu de se répéter trois fois, se répète huit fois de suite.

L’ordre que nous rencontrons aux chapitres 1, 2 et 4 se retrouve, d’abord irrégulier, aux Psaumes 9 et 10, puis régulier aux Psaumes 25, 34, 37, aux Psaumes 111 et 112, et enfin au Psaume 145.

Cette construction peut avoir, nous n’en doutons pas, un caractère mnémonique et être donnée en vue de la récitation; mais l’examen de l’ensemble des passages que nous venons de citer nous fait découvrir une cause plus intéressante et plus profonde de cet arrangement spécial. Placés bout à bout, les Psaumes en question conduisent, par une progression graduelle, l’âme souffrant sous la discipline de Dieu à cause de son infidélité, jusqu’au point final où elle atteint la joie de la pleine délivrance. La discipline a porté tous ses fruits: l’humiliation est complète, la jouissance de la faveur divine est retrouvée, les louanges qui en sont l’expression se donnent un libre cours.

Les Lamentations sont comme la base et le premier échelon de cette marche ascendante. Sans elles on ne pourrait atteindre le sommet, car c’est dans les Lamentations que nous voyons l’âme dans les ténèbres sous la colère gouvernementale de Dieu, sans aucun espoir de délivrance. Elle crie à Dieu qui ne lui répond pas. Ce silence angoissant au suprême degré se prolonge, mais, toutes les expériences terminées, quand l’humiliation est complète, Dieu ouvre enfin la bouche pour prononcer le jugement sur l’oppresseur et consoler Jérusalem en lui disant que sa désolation a pris fin. Cette assurance la soutient; elle s’y cramponne et saisit cette promesse par la foi, avant que l’heure de la délivrance ait sonné, aussi le livre se termine par la question: «Ou bien, nous aurais-tu entièrement rejetés? Serais-tu extrêmement courroucé contre nous?» (Lam. 5:22). Tous les Psaumes dont nous allons parler sont comme la réponse à cette question.

Nous ne dirons qu’un mot des Psaumes 9 et 10. Selon leur structure alphabétique, assez défectueuse du reste, ils forment un seul Psaume, nous présentant, comme en un tableau historique, le côté extérieur des souffrances du pauvre Résidu juif de la fin, la méchanceté de l’oppresseur et le jugement sans miséricorde qui attend ce dernier. Cette condition est à la base de tous les Psaumes alphabétiques suivants, mais le sujet des Lamentations, l’œuvre de repentance dans le cœur des fidèles n’est pas abordé dans ces deux premiers Psaumes.

Au Psaume 25 nous trouvons, au contraire, comme dans les Lamentations, l’âme sous le poids du sentiment profond de son péché, de son iniquité et de la détresse qu’ils lui ont attirée, mais ce sentiment est accompagné dès le début de la confiance en Dieu qui ne permettra pas que celui qui regarde à Lui soit confus, et qui l’enseignera.

Au Psaume 34 l’âme fait un pas de plus. Ce Psaume est caractérisé par la crainte de l’Éternel au milieu des frayeurs et des détresses. Les justes crient et Dieu entend. Les méchants seront jugés et ceux qui se confient en l’Éternel ne seront pas tenus pour coupables.

Ainsi ces deux Psaumes, tout en se mouvant sur le même terrain que les Lamentations, leur font suite en les complétant. Tous deux sont caractérisés par une grande détresse et par un profond sentiment du péché. Dans le premier nous trouvons la confession de la faute, comme dans les Lamentations, dans le second l’intégrité avec un cœur brisé, mais assuré de n’être pas tenu pour coupable; dans les deux, la confiance que l’épreuve prendra fin.

Au Psaume 37, l’âme a déjà fait ses expériences personnelles, aussi est-elle placée davantage en présence de la méchanceté des hommes et du sentiment profond de leur perversité. Ce n’est là qu’une partie, et non pas la plus importante, des sentiments que nous trouverons exprimés dans les Lamentations, seulement le juste est exhorté à ne pas s’irriter devant le mal; il se confie en l’Éternel. La fin est la paix et le salut.

Les Psaumes 111 et 112 se lient l’un à l’autre et ont la même structure alphabétique. Nous y trouvons, non plus la confession des péchés, comme au Psaume 25, ni le jugement des méchants comme au Psaume 37, mais la louange qui suit la délivrance. Quelle différence d’avec les Lamentations! Ce qui caractérise le premier de ces Psaumes c’est que la justice de l’Éternel, ses préceptes et sa louange demeurent à perpétuité, tandis qu’au Psaume 112 c’est la justice de celui qui craint l’Éternel, qui demeure à perpétuité. Le croyant éprouvé est estimé bienheureux et ne craint pas l’ennemi. De tels résultats de l’épreuve ne sont pas consignés dans les Lamentations, aussi ces deux Psaumes pourraient être l’épilogue ou la conclusion finale des Lamentations, si le Psaume 145 ne les dépassait encore.

Le Psaume 119 nous ramène, aux versets 81 à 88, dans l’atmosphère des Lamentations. Nous y entendons le cri sous l’oppression de l’ennemi, et pas de consolations, et de plus, au verset 176, la confession: le croyant reconnaît qu’il a «erré comme une brebis qui périt». Mais au milieu des mêmes circonstances extérieures que dans les Lamentations, nous avons ici, non pas les exercices de conscience qui conduisent à une pleine repentance et à la restauration finale, mais la loi écrite dans le cœur, l’état d’une âme intègre que toutes ses expériences ont amenée à trouver son plaisir dans la loi de l’Éternel. Ce Psaume décrit le bon état intérieur du fidèle qui a dépassé l’humiliation et l’aveu du péché des Lamentations, mais n’a pas encore atteint ni la louange des Psaumes 111 et 112, ni la communion du Psaume 145.

En effet, le Psaume 145, couronnement de toute la série des Psaumes alphabétiques qui font suite aux Lamentations, est un Psaume de Communion. L’âme est pleinement relevée de sa chute. En communion avec Christ, elle célèbre, à toujours et à perpétuité, tout ce que Dieu est: sa grandeur, sa majesté, ses actes, sa bonté et sa justice, sa grâce infinie et sa miséricorde, ses compassions, la gloire et la magnificence de son royaume au siècle des siècles. C’est le salut final où toute chair le célèbre. Quel chemin parcouru depuis les angoisses des Lamentations! Quel digne couronnement de toutes les voies de Dieu envers une âme!

Nous apprenons donc ici, me semble-t-il, quel est le motif secret de cette forme poétique si particulière. Elle n’est que le développement d’une pensée continue qui élève l’âme, depuis les profondeurs de la tribulation, à travers la repentance et la confession des péchés, jusqu’à la pleine liberté de la présence de Dieu, où elle trouve la communion avec Lui, l’adoration et la louange éternelle!

Remarquons, en terminant cet avant-propos, que les Lamentations de Jérémie ne doivent pas être confondues avec les Lamentations du même prophète sur la mort de Josias (2 Chron. 35:25). Ces dernières sont des Lamentations sur la royauté fidèle arrivée au terme de son histoire, car ce qui suivit Josias n’est plus que l’agonie de la royauté infidèle. Jérémie se lamente parce que le dernier espoir d’une restauration de Juda sous la maison de David a disparu et qu’il prévoit le sujet de Lamentations nouvelles. Celles-ci dépassent infiniment les premières: le siège de la royauté est renversé, le culte de Dieu en Israël est détruit par la main du Dieu qui l’avait institué. Cependant, quant à leur portée prophétique, nous voyons en Zacharie 12:11, que les Lamentations de Jérémie, image des Lamentations de la fin, ont une similitude avec celles que le prophète prononça sur Josias à Hadadrimmon «dans la vallée de Meguiddo» (2 Chron. 35:22).