Josué

Chapitre 22

L’autel de Hed

Nous retrouvons ici les deux tribus et demie dont nous avons parlé à la fin du premier chapitre. Elles avaient passé en armes devant leurs frères, pour combattre les ennemis de l’Éternel dans le pays de la promesse. Maintenant, elles reçoivent de Josué la permission de retourner dans leur héritage, de l’autre côté du Jourdain. Elles avaient été fidèles aux ordres de Moïse et de Josué, avaient observé le commandement de l’Éternel, et n’avaient point abandonné leurs frères. L’obéissance à des commandements positifs et l’amour fraternel les avaient caractérisées pendant ce long temps, où elles avaient été séparées de la terre de leur possession. En apparence, il n’y avait rien à reprendre en elles, mais, comme nous le trouvons au chap. 1, leur cœur (je ne dis pas leurs pensées) n’était pas aux choses célestes. Leur point de départ était leur bétail; il était dès lors très naturel de chercher des pâturages pour le nourrir. Immédiatement, dès le début de leur histoire, un premier danger naît de leur position équivoque. Moïse le leur signale (Nomb. 32): le refus de s’établir au delà du Jourdain pouvait influencer le reste du peuple et lui faire perdre courage, de manière à attirer la colère de l’Éternel sur Israël, comme jadis à la montagne des Amoréens. Par la grâce, ils furent préservés du piège, mais le piège n’en existait pas moins. Un autre danger plus réel encore: leurs principes agissaient sur leurs proches, et ceux-ci en étaient moins à l’abri que le reste des tribus. Jaïr, fils de Manassé, et Nobakh, appellent leurs bourgs et leurs villes de leurs noms, principe entièrement mondain que l’on peut faire remonter à l’origine du monde de Caïn (Nomb. 32:41-42. Cf. Gen. 4:17). Ainsi: danger de faire tomber par leur marche des hommes de foi, ou de les rabaisser à leur niveau, au lieu de les élever au niveau céleste; puis influence mondaine positive sur leurs propres familles, voilà ce qui caractérise leur position.

L’exhortation de Josué (22:5), nous montre encore clairement le danger d’un christianisme rabaissé. Le vrai nerf de toute la conduite du croyant leur manquait. L’obéissance à des commandements connus et l’amour fraternel ne suffisent pas pour nous maintenir longtemps. La marche, l’obéissance, le dévouement et le service, doivent découler de l’amour et, sans son action, nous sommes comme ces cerceaux que le premier coup de baguette d’un enfant fait marcher, mais qui bien vite s’arrêtent et tombent, si l’impulsion ne se renouvelle pas.

Mais ce n’est pas tout. Quand le chrétien, au lieu de vivre de foi, accepte en quelque mesure les principes du monde pour sa conduite, sa position devient toujours très compliquée, tandis que rien n’est plus simple que la marche de la foi. Comparez Abraham et Lot. La vie du premier fut simple et unie, celle du second fut remplie d’inextricables complications. Et Jacob? Quelle série d’aventures sans issue dans une existence tourmentée, tandis que son père Isaac vivait simplement avec Dieu. Il en fut ainsi des deux tribus et demie, qui se virent obligées de bâtir des enclos pour leurs troupeaux, d’établir leurs familles en danger dans des villes murées, d’abandonner femmes et enfants pour passer bien des années loin d’eux, sans pouvoir les rendre témoins des merveilles que l’Éternel allait faire en faveur de son peuple. Enfin, voici leurs guerriers qui reçoivent l’autorisation de rentrer dans leurs foyers. Mais ils s’aperçoivent d’une complication nouvelle. Le Jourdain les sépare du reste des tribus. Ils sont inquiets; ils craignent que le lien de communion entre eux et leurs frères ne soit pas tellement serré que le fleuve ne puisse le délier. Leur position les expose à une division. Ils voient avec inquiétude qu’il pourrait venir un moment où leurs frères les traiteraient en étrangers. Ce danger de la situation les oblige, pour ainsi dire, à établir un témoignage par lequel ils proclament hautement qu’ils servent l’Éternel, comme auparavant (chap. 1:16-18) leur position douteuse les avait engagés à faire une bruyante profession. Alors ils élèvent un grand autel au bord du Jourdain, sur la limite de leur territoire. Ce témoignage, ils l’établissent selon leur propre sagesse. J’oserai l’appeler une confession de foi, chose en elle-même peut-être parfaitement correcte, comme le fut l’autel de Hed, et à laquelle, pour le moment, il n’y avait rien à dire, mais qui leur donnait l’apparence d’établir un autre centre de rassemblement. Cet autel, destiné dans leur pensée à relier ensemble les parties séparées d’Israël, pouvait être érigé en opposition à celui du tabernacle de Silo. Leur confession de foi pouvait devenir un centre nouveau, et ainsi remplacer le seul vrai centre d’unité, Christ, en le déshonorant. Cet acte, accompli en toute bonne intention, était un acte humain. Leur invention pour maintenir l’unité, leur donne l’apparence de la nier. Nouvelle complication: ils s’exposent à être mal compris, à soulever les autres tribus contre eux et à être exterminés.

Cher lecteur, la chrétienté, dès le début, n’a pas agi autrement; seulement elle est allée bien plus loin que les deux tribus et demie. Elle s’est réunie autour d’un bon nombre de confessions de foi, plus ou moins correctes, qui ne sont pas Christ, puis, voyant que l’unité lui échappe, elle fait ses confessions de foi de plus en plus élastiques, et ainsi, au lieu de réaliser l’unité, ne réussit qu’à introduire l’incrédulité ouverte au milieu de la profession chrétienne.

Mais cet autel de Hed, nécessité par la mondanité, pourrait être le fruit d’une source cachée plus grave encore; il pourrait, dans le fait de sa construction, recéler des principes d’indépendance. C’est ce qui était à craindre. Nous voyons que les enfants d’Israël prennent cela extrêmement à cœur. L’indépendance est sur le point de s’introduire, l’unité est en danger, et Phinées, l’exemple du zèle pour Christ, est choisi avec les principaux pour aller prendre connaissance de ce qui se passe sur le Jourdain, et parler aux deux tribus et demie.

Il leur présente trois cas, liés d’une manière intime, dans lesquels Israël tout entier est responsable.

Le premier (v. 20), après la traversée du Jourdain, c’est le péché d’Acan. Il convoita les choses du monde, s’empara de ce que Dieu avait maudit, l’introduisit au milieu de l’assemblée d’Israël en ne tenant aucun compte de la sainteté de Dieu, et attira ainsi le jugement de l’Éternel sur tout le peuple. Le péché d’Acan, c’est la convoitise mondaine, introduisant l’interdit dans l’assemblée. Lors de l’iniquité de Péor (v. 17), il s’agissait d’une chose encore pire, quoique, hélas! en matière spirituelle les cœurs des chrétiens la comprennent et la haïssent si peu. C’était l’alliance adultère avec le monde religieux, c’est-à-dire idolâtre d’alors, et l’introduction de cette religion du monde au milieu de la congrégation d’Israël, en ne tenant de nouveau aucun compte de la sainteté de Dieu.

Cher lecteur, l’Église a-t-elle fait autre chose? Acan et Péor ne sont-ils pas les deux principes actuels de son existence? Mais la ruse satanique de Péor est plus terrible encore que l’interdit d’Acan. Lorsque Balaam, après avoir essayé de séparer l’Éternel du peuple, vit qu’il n’y pouvait réussir, il s’y prit autrement: il essaya, et réussit, à éloigner le peuple et à le séparer de l’Éternel. S’agissait-il des affections de Dieu pour son peuple, Balaam dut proclamer que l’Éternel n’avait point aperçu d’iniquité en Israël; s’agissait-il de la fidélité de ce dernier, Satan ne réussit que trop bien à le séparer de Dieu; et ainsi «la colère de l’Éternel s’alluma contre toute l’assemblée d’Israël».

Le second piège des croyants, c’est donc de penser que le culte de Dieu peut s’allier avec la religion du monde. Ce fut à cette occasion que se montra en premier lieu le zèle de Phinées; il prit à cœur le déshonneur fait à l’Éternel et purifia l’assemblée de cette souillure.

Maintenant, dans l’affaire de l’autel de Hed, ce même zèle le pousse à se mettre à la brèche. Les «sens exercés, par l’habitude, à discerner le bien et le mal», lui font découvrir le danger. Il sent que ce troisième principe, l’indépendance, serait la ruine du témoignage; que l’établissement d’un nouvel autel, n’est pas autre chose que le péché de rébellion contre l’Éternel et contre l’assemblée d’Israël (v. 19). Le saint zèle de Phinées conjure le danger, qui néanmoins demeure en principe, mais les intentions du cœur étaient droites, et il n’y eut pas de suites.

Dans la chrétienté, le correctif n’a pas été si heureux. Le mal a-t-il progressé, oui ou non? Que voyons-nous aujourd’hui? L’indépendance, principe même du péché, la tendance naturelle de nos cœurs, est affichée hautement comme une qualité et comme un devoir. C’est elle qui, oubliant qu’il n’y a qu’un autel, qu’une table, en établit chaque jour de nouvelles; c’est elle qui, comme le dit Phinées, «se rebelle aujourd’hui contre l’Éternel» et méprise dans son aveuglement, non seulement l’unité du peuple de Dieu, mais le seul centre d’unité, le Seigneur Jésus lui-même.

Que Dieu nous garde, cher lecteur, de ces trois principes qui attirent le jugement de Dieu sur sa maison: la mondanité, une alliance avec le monde religieux, et l’indépendance, le plus subtil et le plus dangereux de tous, parce que, comme principe du péché, il est à la base de tout le reste.

Rappelons-nous les caractères de Christ exprimés dans l’épître à Philadelphie. Il est «le Saint et le Véritable», et cette église est louée pour le maintien de ce saint nom, et pour la dépendance de la Parole. Ne gardons rien, ni individuellement, ni collectivement, dans nos cœurs ou dans nos pensées, dans notre conduite ou dans notre marche, qui ne soit en rapport avec ces caractères de Christ. Vivons dans la sainteté et dans la dépendance, sans lesquelles il n’y a pas de communion avec lui1.

1 Voir encore, du même auteur: L’autel de Hed.