Josué

Henri Rossier

Chapitre 1er

Le livre de Josué nous présente, en type, le sujet de l’épître aux Éphésiens. La traversée du désert était arrivée à son terme. Il s’agissait maintenant, pour l’assemblée d’Israël, de passer le Jourdain sous la conduite d’un nouveau guide, et de prendre possession du pays de la promesse en dépossédant les ennemis qui l’habitaient. Il en est de même pour nous. Notre Canaan, ce sont les lieux célestes, où nous entrons dans la puissance de l’Esprit de Dieu qui nous unit avec un Christ mort et ressuscité, et nous fait asseoir en lui dans la gloire, jouissant par anticipation de cette gloire qu’il s’est acquise, dans laquelle il veut nous introduire, et que nous aurons bientôt avec lui. Mais, en attendant, nous avons à livrer le combat de la foi contre les malices spirituelles qui sont dans les lieux célestes, pour nous approprier chaque pouce du terrain que Dieu nous a donné en héritage. La différence entre le type et la réalité, c’est qu’Israël avait terminé la marche du désert avant d’entrer en Canaan, tandis que, pour nous, le désert et Canaan subsistent ensemble. La bénédiction n’en est que plus étendue.

Si le désert nous apprend que nous avons encore besoin d’être «humiliés et éprouvés pour connaître ce qui est en nos cœurs», en réponse à nos infirmités nous y faisons la délicieuse expérience des ressources divines au milieu de cette terre altérée et sans eau: Dieu ouvrant sa main pour nous nourrir de manne, nous désaltérer de l’eau du rocher, et nous faire goûter les ressources inépuisables de sa grâce, car rien n’a manqué à son peuple: «Ton vêtement ne s’est point usé sur toi, et ton pied ne s’est point enflé pendant ces quarante ans» (Deut. 8:4). Mais nous nous trouvons en outre, au même temps, si ce n’est au même moment, dans les pâturages herbeux et les eaux paisibles d’une riche contrée dont nous goûtons les prémices; nous pouvons nous asseoir en paix à la table dressée au delà du Jourdain, et savourer les mets de cette table, en jouissant d’un Christ céleste, assis dans la gloire, à la droite de Dieu. 

 

Le Conducteur

Au moment où commence cette nouvelle étape de l’histoire d’Israël, Josué est appelé à prendre la conduite du peuple. Cet homme remarquable apparaît pour la première fois en Ex. 17, lors du combat contre Amalek, et cette apparition nous donne la clef de son caractère typique. Tandis que Moïse, type en cet endroit de l’autorité divine, intimement associée à la sacrificature céleste et à la justice de Christ, se tenait en haut sur la montagne pendant le combat, il y avait en bas, dans la plaine, un homme, associé au peuple qu’il conduisait, un homme «en qui est l’Esprit», comme dit l’Éternel à Moïse (Nomb. 27:18), et qui dirigeait la bataille de l’Éternel. Ce Josué, c’est Christ; mais Christ en nous, ou parmi nous ici-bas, dans la puissance du Saint Esprit. Désormais, comme Moïse conducteur avait été inséparable d’Israël au désert, il en sera de même pour Josué conducteur du peuple en Canaan. Il est dit de ce dernier: un homme «qui sorte devant eux et entre devant eux, et qui les fasse sortir et les fasse entrer; et que l’assemblée de l’Éternel ne soit pas comme un troupeau qui n’a pas de berger... et tu mettras sur lui de ta gloire, afin que toute l’assemblée des fils d’Israël l’écoute» (Nombres 27:17, 20).

 

Le pays et ses limites.

Au v. 2, il est fait mention du Jourdain, barrière qui séparait le peuple de la terre promise. Pour entrer en Canaan, il fallait le passer sous la conduite de Josué. Leur héritage était un pur don de la grâce de Dieu: «Le pays que je leur donne à eux, les fils d’Israël». Il était à eux de la part de l’Éternel, mais il s’agissait pour le peuple, non seulement de possession, mais d’entrée en possession: «Tout lieu que foulera la plante de votre pied, je vous l’ai donné» (v. 3). Or nous aussi, nous avons spirituellement toutes ces choses. La pure grâce de Dieu nous a donné le ciel, mais nous ne pouvons y entrer qu’en ayant passé à travers la mort et la résurrection avec Christ, et par la puissance de son Esprit. Enfin c’est en nous occupant de ces choses, en y entrant d’une manière diligente et personnelle, que nous saisissons chacune de nos bénédictions, et que nous en éprouvons la réalité céleste. En un mot, le chrétien doit se les approprier par la foi pour en jouir, autrement il serait comme un pauvre roi malade et vivant à l’étranger, qui n’a jamais voyagé dans son royaume.

Au v. 5, nous rencontrons un autre trait important qui caractérise le pays. L’ennemi s’y trouve; il y a des obstacles; partout où nous poserons le pied un adversaire surgira. Nous voyons ici clairement, comme on l’a remarqué si souvent, que Canaan n’est pas le ciel tel que nous le trouvons par la mort corporelle, mais le ciel dans lequel se trouve l’ennemi, le ciel, scène du combat actuel du chrétien. Mais, précieuse promesse: «Personne ne tiendra devant toi», dit l’Éternel à Josué, «tous les jours de ta vie», c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il ait établi le peuple en possession définitive du pays. Et quelle sécurité pour le peuple dans cette promesse! À peine, dit Dieu, tu rencontreras l’ennemi sur ton chemin, qu’il se dispersera. — Victoire! aurait pu s’écrier le peuple; Satan ne peut tenir devant nous! — Pauvre Israël, tu le verras bientôt devant Aï: tu n’es qu’un jouet pour la puissance de Satan, tu n’as point de force pour lui résister. Mais ta puissance est en Christ: «Personne ne tiendra devant toi», dit l’Éternel à Josué, tandis que la promesse était faite au peuple, au v. 3: «Je vous l’ai donné».

Remarquez un autre point; au v. 4, Dieu leur donne la description exacte des limites de Canaan. Quelles sont ces limites? Plus étendues que le peuple ne les atteindra jamais, si ce n’est quand la gloire millénaire les lui donnera. Il en est de même pour nous. Les lieux célestes sont notre conquête actuelle, partout où notre pied se pose; mais mesurerons-nous jamais toute l’étendue de notre héritage? «Nous connaissons en partie» maintenant, mais le jour vient où ce qui est parfait sera venu et où ce qui est en partie aura sa fin. «Alors je connaîtrai à fond comme aussi j’ai été connu».

Les limites du pays étaient un grand désert, une grande montagne, un grand fleuve et une grande mer. Voilà ce que l’on trouvait en dehors de ce pays fertile, ce sur quoi le peuple ne pouvait ni ne devait poser son pied. Ne trouvons nous pas là le monde avec tous ses caractères moraux, son aridité, sa puissance, sa prospérité, son agitation? Quant à son aridité, Israël l’avait traversée, mais pour faire l’expérience qu’il n’y avait là aucune ressource pour lui, et que seul le pain du ciel pouvait le nourrir à travers ces solitudes. Tel est, bien-aimés, le caractère des choses qui ne sont pas à nous. Mais à nous est Canaan, le ciel; Canaan avec ses combats, sans doute, mais avec ses victoires: Canaan avec Josué, et avec «l’Ange de l’Éternel»; Canaan, avec la paisible jouissance des possessions infinies, se résumant et se concentrant autour et dans la personne d’un Christ ressuscité, assis dans la gloire!

 

Qualités morales nécessaires pour entrer en Canaan.

Au v. 6, nous trouvons l’énergie spirituelle, ce que l’apôtre Pierre appelle «la vertu». La foi les faisait poser partout la plante de leur pied, la vertu devait être ajoutée à la foi. Mais remarquez encore que cette énergie ne se trouve pas en nous; elle est en Josué pour le peuple, elle est en Christ pour nous. «Fortifie-toi et sois ferme, car toi, tu feras hériter à ce peuple le pays que j’ai juré à leurs pères de leur donner». «Bienheureux l’homme dont la force est en toi... ils marchent de force en force». Ce principe est de toute importance. Combien de chrétiens cherchent à découvrir la force en eux-mêmes, à se sentir forts pour combattre. Leur recherche, si elle ne conduit pas au découragement, n’aboutit qu’au contentement de soi-même, ce qui ne vaut pas davantage. La puissance n’est pas là, elle est en Christ, mais en Christ pour nous. Et pourquoi nous est-elle donnée? Serait-ce pour nous faire grands à nos propres yeux, ou pour nous glorifier? Loin de là; c’est pour nous introduire dans le chemin de l’obéissance (v. 7). Ce sont les petits enfants qui apprennent à obéir. La force nous rend petits; elle fait un atome de l’homme, afin que la puissance de Christ soit exaltée. Nous trouvons un bel exemple de cette vérité au chap. 6 du livre des Juges. «L’ange de l’Éternel apparut à Gédéon et lui dit: L’Éternel est avec toi, fort et vaillant homme». Ces deux choses se lient intimement. «Va avec cette force que tu as», lui dit l’Éternel en le regardant. Le voilà immédiatement frappé du sentiment de son néant: «Son millier était le plus pauvre en Manassé et lui le plus petit dans la maison de son père». Et l’Éternel lui dit: «Moi je serai avec toi …».

L’obéissance se règle toujours sur la parole de Dieu. Dieu donne la force à Josué, pour prendre garde, dit-il, «à faire selon toute la loi de Moïse». Mais, avec l’énergie spirituelle nécessaire pour obéir, il faut plus. Il ajoute au v. 8: «Que ce livre de la loi ne s’éloigne pas de ta bouche, et médite-le jour et nuit, afin que tu prennes garde à faire selon tout ce qui y est écrit». Il faut donc, outre l’énergie divine, un soin diligent à s’approprier les pensées de Dieu. Il dit: Médite-la afin de lui obéir. Est-ce bien là notre but quand nous étudions la Parole? Souvent nous aimons à la lire pour nous instruire, et l’instruction est bonne; d’autres fois pour enseigner les autres, chose excellente en son lieu; mais, je le répète, la lisons-nous d’habitude dans le but d’y obéir diligemment? S’il en était ainsi, comme cela changerait tout le cours de la vie des chrétiens!

Il ajoute: «Médite-la jour et nuit». Il y a des chrétiens qui lisent un chapitre (hélas! un verset peut-être) chaque matin, comme une sorte d’amulette qui doit les garder pendant la journée. Est-ce méditer la Parole jour et nuit? Et nos occupations? direz-vous. Mais je demande: Est-ce que, tout au travers de vos occupations, la Parole vous nourrit de la part de Dieu, pour la jouissance de vos âmes, et pour vous guider dans le chemin de Christ? Voilà le moyen de «réussir dans nos voies et de prospérer».

Au v. 9, nous trouvons un dernier principe: «Ne t’ai-je pas commandé: Fortifie-toi et sois ferme?» Quelle puissance la certitude de la pensée de Dieu nous donne! Toute indécision dans la marche, toute épouvante, toute crainte devant l’ennemi, se sont enfuies. Satan ne nous peut rien. Dieu ne nous a-t-il pas commandé? Tels sont donc les principes qui doivent gouverner le cœur pour jouir des choses célestes et pour combattre les combats de l’Éternel. Il est précieux de les voir établis tout au commencement de ce livre, avant qu’Israël ait fait un seul pas, de manière à lui mettre en mains les armes bien fourbies avec lesquelles il remportera la victoire.

 

Ceux qui entrent en Canaan.

Après nous avoir présenté le conducteur, le pays, et les qualités morales qu’il faut pour y entrer, la Parole nous parle (v. 10-18) de ceux qui sont appelés à en prendre possession. C’est le peuple, et aussi les Rubénites, les Gadites et la demi-tribu de Manassé. Ces derniers ne refusent pas d’entrer, comme l’avait fait autrefois la génération précédente alors que les espions faisaient fondre leurs cœurs. Ils s’associent au contraire à leurs frères et sont au premier rang pour combattre, mais non pour se mettre en possession du pays. Leur territoire est en deçà du Jourdain. Ce qui le leur avait fait choisir, c’étaient leurs circonstances; ils avaient beaucoup de bétail; le pays était propre à tenir du bétail, s’adaptait à de telles circonstances (Nombres 32:1). Il en est de même d’une foule de chrétiens, et l’on pourrait dire qu’aujourd’hui ce sont plutôt les neuf tribus et demie qui ont élu leur domicile en deçà du Jourdain. Ce qui fait le fond de la vie chrétienne pour la plupart des croyants, ce sont les circonstances de la vie, les besoins de chaque jour, l’abondance ou la disette, les enclos pour leurs troupeaux, ou les villes pour leurs familles. (Nomb. 32:16). Or ces chrétiens ne manquent pas de foi proprement: ils font au contraire l’expérience que le Seigneur peut entrer en grâce dans toutes leurs circonstances, s’y adapter; et qu’il le fait, lui qui est descendu pour apporter la bénédiction divine sur cette terre. Ils n’ont pas un christianisme mondain, mais terrestre. Israël était un type du christianisme mondain, quand il refusait de monter à la «montagne des Amoréens». «Ne serait-il pas bon pour nous de retourner en Égypte? Et ils se dirent l’un à l’autre: Établissons un chef et retournons en Égypte» (Nomb. 14:3, 4), aussi leurs corps tombèrent dans le désert. Les deux tribus et demie sont le type de ceux qui rabaissent le christianisme à une vie de foi pour les circonstances terrestres qu’ils traversent, de ceux qui font leur chose de ces dernières. «Ils avaient beaucoup de bétail». Moïse en est indigné d’abord, mais il les supporte ensuite, voyant que, si leur foi était faible, c’était cependant la foi, et que ces attaches terrestres ne les séparaient pas de leurs frères.

Bien-aimés, cette tendance à rabaisser le christianisme s’étale complaisamment, comme doctrine, de nos jours. Avec beaucoup de prétentions à la puissance, on connaît peu de chose au-delà d’un Christ auquel on se confie pour la conduite des détails grands ou petits de la vie journalière. On connaît Christ comme Berger; on peut dire: «Ton bâton et ta houlette sont ceux qui me consolent»; mais, même sous ce caractère, combien l’étendue de ses ressources est peu appréciée! S’il nous conduit dans ce monde, ce n’est pas là qu’il nous fait reposer. Les «verts pâturages» et les «eaux paisibles» ne sont, ni l’herbe, ni les enclos, ni les villes du pays de Galaad, mais les gras pâturages du pays de la promesse.

Il est bon de se confier en lui pour toutes choses, et que Dieu nous garde de chercher à amoindrir cette confiance chez les saints; mais savourons ici-bas le bonheur d’entrer là où se trouve un Christ glorifié, d’être attirés hors du monde, arrachés à cette scène, pour être introduits, morts et ressuscités avec lui, dans la Canaan céleste. Là, ce n’est plus «beaucoup de bétail» qui est le motif de la marche; il suffit, non d’arranger sa vie plus ou moins fidèlement d’après ce qu’on possède; mais, ayant tout laissé derrière soi — soi-même avec les «affaires de la vie» — au fond du fleuve de la mort, il s’agit de combattre pour prendre possession de tous nos privilèges en Christ, de les réaliser par la foi, et d’en jouir par la puissance de l’Esprit.

Notez bien qu’il faut, bon gré, mal gré, que tous passent le Jourdain. Nos frères combattent avec nous contre l’incrédulité, contre la puissance de Satan qui déploie son efficace dans le monde; mais la mort et la résurrection n’est pour eux qu’un fait (elle l’est pour tous), non une réalisation. Il faut que l’âme la réalise pour prendre possession du pays.