Juges

Chapitre 16

La défaite et la restauration

Nous entrons dans une nouvelle période de l’histoire de Samson, caractérisée par la perte de son nazaréat et par sa restauration. Le v. 31 de notre chapitre, comparé au v. 20 du chap. 15, marque extérieurement cette division. Au chap. 15, Dieu avait préservé son serviteur, malgré lui, d’un engagement définitif avec une femme qui servait d’autres dieux. Mais cela ne redresse pas la pente naturelle de son cœur, et le v. 1 de ce chapitre nous montre où cette pente le mène. Il avait recherché le monde idolâtre, il recherche maintenant le monde souillé, et ne craint pas de s’associer momentanément avec lui. Une disposition mondaine non jugée nous conduit nécessairement à des chutes plus graves. C’est ainsi que, dans l’histoire de l’Église, Pergame conduit à Thyatire. Cette liaison n’est que passagère et Samson n’y perd point sa force, car le secret subsiste encore entre lui et Dieu. Guetté toute la nuit, à la porte de la ville, par ses mortels ennemis, il se leva de son sommeil, «saisit les battants de la porte... et les deux poteaux, les arracha avec la barre, les mit sur ses épaules, et les porta au sommet de la montagne qui est en face de Hébron» (v. 3). Plus d’une fois, l’histoire de Samson nous rappelle celle de Christ; telle sa victoire sur le lion de Thimna, tel aussi l’exploit des portes de Gaza. Comme Samson, le Seigneur se réveillant du sommeil de la mort, a réduit à néant les desseins de l’ennemi, en brisant les portes de sa terrible forteresse. Il a emmené en captivité ce qui nous retenait captifs et, monté en haut, il a dressé les trophées de sa victoire. La mort, la citadelle de Satan, n’ayant pas de portes pour nous retenir, est devenue pour nous un passage; aucun verrou n’a pu y emprisonner Christ, aucune puissance ne peut nous y garder. La «montagne qui est vis-à-vis de Hébron», le lieu de l’homme ressuscité qui fait face au lieu de la mort1, nous en est un sûr garant.

1 Nous avons fait remarquer ailleurs que Hébron est sans exception, dans l’Écriture, le lieu de la mort. (Méditations sur Josué de H.R.).

Nous l’avons dit plus d’une fois, il n’est pas un homme de Dieu qui ne soit appelé à reproduire, et ne reproduise, en effet, quelques traits de la personne du Sauveur. Ah! qu’il eût été beau de voir Samson être une digne image de Christ dans sa victoire sur la mort, comme il l’avait été dans sa victoire sur le lion déchirant! D’où sortait cet homme fort avec les portes de Gaza sur ses épaules? Pour qui combattait-il? Qui l’avait donc placé dans cette extrémité? Dans toutes ces choses, son histoire forme le plus absolu contraste avec celle de notre adorable Sauveur.

Écoutons un récit plus humiliant encore (v. 4-21). Samson, qui n’avait contracté qu’une alliance passagère avec le mal, va plus loin. La fille des Philistins avait plu à ses yeux; la femme de Gaza l’avait attiré pour un moment dans ses filets; Delila s’empare de ses affections. «Il aima une femme dans la vallée de Sorek» (v. 4). C’est là qu’aboutit le chemin de l’enfant de Dieu, qui cultive au lieu de les juger les premiers mouvements de son cœur naturel. Malgré tout, Samson avait gardé jusque-là ses relations intimes et secrètes avec Dieu. Il possédait une chose que le monde ne pouvait comprendre et à la source de laquelle il était incapable de remonter. Sa force restait une énigme pour ses ennemis; sans doute, ils en voyaient les effets, mais dirigés contre eux, et cela les rendait d’autant plus avides à lui arracher le secret de cette force pour trouver des armes contre le serviteur de l’Éternel. Sans doute aussi, sa longue chevelure, livrée que tous n’avaient pas, était une profession publique de séparation pour Dieu. Mais, à moins que son secret ne fût trahi, il ne pouvait venir à la pensée du monde que cette figure de dépendance et d’oubli de soi fût pour le Nazaréen une source de force.

Samson aima Delila. Le voilà en communion avec cette femme, et Dieu ne peut s’accommoder d’une communion partagée. Il est impossible que nous menions de concert nos affections pour le monde et pour Dieu. «Nul serviteur ne peut servir deux maîtres; car ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre» (Luc 16:13). En aimant Delila, Samson faisait profession de haïr Dieu et de le mépriser, quand même, de fait, il lui appartenait. Cette femme s’empare de lui de plus en plus: «Comment dis-tu: Je t’aime, — et ton cœur n’est pas avec moi?» (v. 15). Dès lors son cœur est pris. Il ne tardera pas à lui livrer le dernier mot de son secret. Trois fois les sept cordelettes fraîches, et les cordes neuves, et le fil à tisser, n’ont pu dompter la puissance de l’Esprit. Dieu soutenait encore son pauvre serviteur infidèle, mais son secret livré, le signe de sa dépendance enlevé, le lien de communion qui unissait son âme à Dieu aboli, que lui reste-t-il? Toute sa force s’est évanouie. Les expériences passées des délivrances de Dieu, malgré ses chaînes morales, ne servent qu’à le tromper et l’endormir. Trois fois il s’était dégagé en des moments critiques. Pourquoi pas une quatrième? Le cœur aveuglé se dit: «Je m’en irai comme les autres fois, et je me dégagerai». Mais avec la communion perdue, l’intelligence des pensées de Dieu fait entièrement défaut: «Il ne savait pas que l’Éternel s’était retiré de lui» (v. 20).

Ce n’est point que Samson fût bien à l’aise sous le joug de Delila. «Elle le tourmentait par ses paroles tous les jours et le pressait», et «son âme en fut ennuyée jusqu’à la mort» (v. 16). Voilà tout ce qu’il avait trouvé dans les choses qui l’attiraient le plus. Il aurait bien voulu refuser, mais il n’en était déjà plus capable. Un homme du monde peut trouver sa joie dans le monde, un croyant jamais. Au fond, le cœur de Samson était dans une mesure avec Dieu et l’Israël de Dieu. De là ce combat, cette lutte, cet ennui, cette misère. Notre conscience parle et ne nous laisse pas de repos réel; notre joie est empoisonnée. Il fait enfin le dernier pas, et «lui déclare tout ce qui était dans son cœur» (v. 17). Après cela vient le sommeil: «Elle l’endormit sur ses genoux» (v. 19). L’âme perd tout sentiment de ses relations avec Dieu, et tombe dans un lourd sommeil sous l’atmosphère épaisse de la corruption. Alors l’ennemi embusqué, épiant ce moment, s’avance, enchaîne, aveugle l’homme puissant et se sert de lui comme du plus misérable des esclaves. Sort, hélas! pire que le sommeil! Samson n’est plus qu’un pauvre esclave aveugle, jouet des ennemis de l’Éternel. Il ne faut pas s’y tromper; l’ennemi en veut plus encore à Dieu qu’à Samson, car le Nazaréen vaincu devient le témoin de la victoire apparente du faux dieu Dagon, sur le vrai Dieu. Le manque de réalité des chrétiens est l’arme la plus puissante du monde contre Christ. En méprisant le croyant infidèle, c’est Lui que le monde trouve moyen de mépriser.

Grâces à Dieu, l’histoire du dernier des juges ne se termine pas par cette défaite. Dieu veut avoir la victoire finale en dépit de l’infidélité de ses témoins. Samson retrouve son nazaréat dans cette condition d’amère humiliation. «Et les cheveux de sa tête commencèrent à croître, après qu’il eut été rasé» (v. 22). Samson n’était pas un homme de prière. Dans toute son histoire, on ne l’entend s’adresser à Dieu que deux fois (15:18; 16:28). Ici, tandis que les ennemis fêtent leur triomphe, Samson crie à l’Éternel. J’apprécie chez un homme de Dieu une fin de vie plus brillante que son commencement. Ce n’est pas, sans doute, ce qu’il y a de plus élevé. Le chemin de Christ, l’homme parfait, était un sentier uni d’une égalité absolue, dans les mille circonstances diverses par lesquelles il eut à passer. C’est ainsi que nous le voyons marcher au Ps. 16 et dans les évangiles. Et néanmoins, finir comme Samson, dont la vie présenta tant de contrastes, finir comme Jacob, dont la carrière toute de plans et de ruses humaines, se termine par la vision glorieuse de l’avenir d’Israël et par l’adoration qui reconnaît en Joseph le type du Messie promis; finir ainsi, c’est encore meilleur que de clore sa carrière comme Salomon, dans l’idolâtrie, après un règne magnifique de sagesse et de puissance. Oui, la fin de Samson fut une victoire éclatante. «Les morts qu’il fit mourir dans sa mort, furent plus nombreux que ceux qu’il avait fait mourir pendant sa vie» (v. 30).

Que cette histoire nous enseigne. Soyons de ceux qui n’ont besoin, pour faire l’expérience d’eux-mêmes, ni d’un mauvais commencement, ni d’une mauvaise fin. Paul, un homme sujet aux mêmes infirmités que nous, évita l’un et l’autre, quoique sa marche mît au jour plus d’une faiblesse. Apprenons à régler nos pas sur ceux de notre impeccable modèle; c’était la force de l’apôtre et ce sera la nôtre. Alors Dieu dira de nous: «Ils marchent de force en force, ils paraissent devant Dieu en Sion» (Ps. 84:8).