Juges

Chapitre 12

Lutte entre frères

Le chap. 12 est le tableau de l’un des plus graves symptômes de la ruine: la lutte et la guerre ouverte entre frères. Autrefois, lorsque le peuple n’avait pas abandonné le premier amour ou que son conducteur montrait plus de puissance spirituelle, cette calamité avait pu être évitée. Le dessein constant de Satan est de désunir les enfants de Dieu. Il sait que notre force consiste dans le rassemblement autour d’un centre commun, et ne pouvant détruire cette unité essentielle que Dieu a établie, il cherche à en anéantir la manifestation, confiée à notre responsabilité. Or, nous le savons, il a parfaitement réussi dans son dessein. Le loup ravit et disperse les brebis.

Dans le livre de Josué, caractérisé par la puissance du Saint Esprit avec Israël, cet effort fut déjoué, lors du conflit suscité par l’autel de Hed. (Chap. 22). Grâce à l’énergie des tribus et au zèle de Phinées, l’introduction de principes sectaires fut évitée. Même au risque d’une guerre entre frères, nous ne pouvons assez nous mettre à la brèche, quand il s’agit des principes divins. Le maintien de l’unité d’Israël, telle que Dieu l’avait établie, avait plus de valeur pour les saints d’alors, que les rapports courtois entre frères.

Plus tard, dans le livre des Juges (8:1), le conflit fut apaisé, lorsqu’Éphraïm se mit à contester contre Gédéon, grâce à l’humilité de ce dernier qui estimait les grappillages d’Éphraïm meilleurs que la vendange d’Abiézer. Au chap. 8, mais bien plus encore, dans le chapitre qui nous occupe, il ne s’agit plus de principes à défendre. Le mécontentement d’Éphraïm a pour cause le sentiment de sa propre importance. Calmé jadis par l’humilité de Gédéon, non pas atteint et jugé dans sa conscience, Éphraïm renouvelle vis-à-vis de Jephthé les mêmes accusations. Une faute non jugée de notre carrière chrétienne s’y reproduit tôt ou tard dans les mêmes circonstances. Ici, l’état d’Éphraïm s’est aggravé, car il avait grappillé jadis, mais aujourd’hui n’avait rien fait, attendant pour agir l’impulsion du dehors. Cela ne le rend pas moins jaloux des résultats que l’énergie de la foi a produits chez ses frères. Il en est de même aujourd’hui, et nous sommes tous en danger de tomber dans ce piège. L’Église, au lieu d’être le témoin de Christ, est retournée au monde; c’est un temps où Dieu prend pour témoins les plus faibles, les plus pauvres, les moins qualifiés parmi le peuple de Dieu. En agissant par eux, Dieu veut couvrir de honte les «puissants» ou les «nobles». Mais il n’y a d’important aux yeux de ces derniers, que ce qui vient d’eux-mêmes; ils ne peuvent ni s’humilier, ni se réjouir de ce que Dieu fait par d’autres, et méprisent tout ce qui n’entre pas dans le cercle que leur mondanité a tracé autour d’eux; l’œuvre continue-t-elle, ils expriment leur jalousie; s’agrandit-elle encore, ils deviennent ennemis et passent à la haine et aux menaces: «Nous brûlerons au feu ta maison sur toi» (v. 1).

Au temps de Debora, Éphraïm était le premier; sous Jephthé, Dieu l’avait compté pour rien. Il ne tirait plus de ses bénédictions antérieures que le souvenir de son importance, et le besoin de la faire valoir. Hélas! d’autre part, nous ne trouvons plus chez Jephthé le désintéressement et l’humilité d’un Gédéon. Il répond par la chair à la chair, par le «moi» blessé au «moi» égoïste d’Éphraïm. Il se défend en se produisant lui-même. «Nous avons eu de grands débats, moi et MON PEUPLE, avec les fils d’Ammon; et je vous ai appelés, et vous ne m’avez pas sauvé de leur main. Et quand j’ai vu que vous ne me sauviez pas, j’ai mis ma vie dans ma main et j’ai passé vers les fils d’Ammon; et l’Éternel les a livrés en ma main. Et pourquoi êtes-vous montés contre moi en ce jour-ci, pour me faire la guerre?» (v. 2-3). Jephthé parle de lui, songe à sa valeur contestée, tombe dans le piège que Satan lui tendait et fait un parti, lui qui, la veille, s’identifiant avec le peuple, avait proclamé son unité à la face des fils d’Ammon (11:12, 23, 27). Aujourd’hui «mon peuple», c’est Galaad en opposition avec Éphraïm!

La querelle s’envenime par des paroles. «Les hommes de Galaad frappèrent Éphraïm, parce qu’ils avaient dit: Vous, Galaad, vous êtes des fugitifs d’Éphraïm, au milieu d’Éphraïm, au milieu de Manassé» (v. 4). Il n’y a pas un seul principe en jeu dans cette lutte; de tous côtés ce n’est que jalousie, importance personnelle, paroles enflammées échangées par des cœurs irrités, et la guerre fratricide éclate au sein d’Israël, par la main d’Israël. Aux gués du Jourdain on se distingue, pour s’entr’égorger, par un Shibboleth, par une formule qui remplace le nom de l’Éternel et n’a rien à faire avec la vérité de Dieu. «Et il tomba en ce temps-là 42 000 hommes d’Éphraïm».

Tenons-nous en garde contre de tels pièges, car s’il est une chose qui appartienne spécialement au temps de la ruine, c’est la guerre dans la famille de Dieu. Ayons des cœurs larges quant à l’œuvre de Dieu dans ce monde. Confiée à d’autres mains que les nôtres, elle doit avoir pour nous la même importance et la même valeur que notre œuvre. Paul, dans les chaînes à Rome, écrivant aux Philippiens, se réjouissait de voir le nom de Christ proclamé, même par ceux qui ajoutaient de l’affliction à ses liens. Ne donnons pas à notre œuvre une importance quelconque; faisons comme Gédéon, et ne mesurons pas la vendange d’Abiézer. Aucun temps, du reste, n’est à l’abri de ces dangers. Au commencement de l’Église (Act.6:1-6), des murmures et des jalousies s’élèvent entre les Hellénistes et les Hébreux. Pour les apaiser, il fallut plus que l’humilité des Gédéons, il fallut encore la grande sagesse des apôtres. Ceux-ci cèdent à d’autres le soin de servir aux tables; ils abandonnent une autorité qui les aurait mis en vue dans l’administration de l’assemblée, pour persévérer dans la prière et s’adonner entièrement au service de la Parole. De tels actes atteignent les consciences et coupent court aux ruses de Satan contre le témoignage.

 

Ibtsan, Élon et Abdon (v. 7-15)

Après Jephthé, sous le règne de trois juges, Israël jouit de la paix acquise. L’un de ces juges est issu de Juda, l’autre de Zabulon, le troisième d’Éphraïm. Ils ne sont pas appelés au combat, mais à maintenir le peuple dans l’état où la victoire l’a placé. Peut-être n’ont-ils pas la même énergie qu’un Jaïr (10:1-5), qui «se leva», nous dit la Parole, mais comme lui, deux de ces juges jouissaient d’un grand bien-être. Les temps de prospérité extérieure ne sont pas les plus bénis pour le peuple de Dieu. On y constate l’importance personnelle des juges, mais non l’état d’Israël. On sait ce que sont et font tels hommes en vue, mais on ignore ce qui se passe dans le cœur et la conscience du peuple. Aussi, à peine le dernier de ces juges est-il mort, qu’Israël retombe dans l’état antérieur (13:1). En certains temps, il s’agit de «surmonter»; en d’autres, de «tenir ferme» (Éph. 6:13). À quoi employons-nous les jours de paix relative que le Seigneur nous accorde? À nous fortifier dans les vérités que Dieu nous a données, ou à nous endormir dans le bien-être, pour nous réveiller inopinément, quand Satan revient à la charge, et nous trouver sans force en présence de l’ennemi? Des gens qui ne sont pas nourris, ne sont pas capables de combattre. Employons les temps prospères à faire la connaissance personnelle du Seigneur et à vivre dans son intimité; nous trouverons ainsi la force pour résister à de nouvelles attaques, et nous éviterons de tomber sous de nouveaux jougs plus cruels que l’esclavage d’autrefois.